— Le n°252 de Révolution Socialiste, journal du G.R.S. —
La « nouvelle donne » dont nous parlions dans notre précédent numéro, concerne aussi bien la France que la Martinique.
La nouvelle représentation martiniquaise à l’Assemblée Nationale française est conduite par PÉYI-A, tandis que le GRAN SANBLÉ du M.I.M. et alliés perd sa capacité de cantonner la vie politique martiniquaise à sa confrontation systématique avec le P.P.M. Du coup, les camps politiques au sein de ce qu’on appellera, faute de mieux, « l’anticolonialisme », deviennent moins figés. Cette chance pour le débat politique sera–t–elle saisie ? Il reste à le montrer.
En France, la redistribution des cartes est encore plus profonde. La domination de la vie politique par le vieux clivage entre sociale–démocratie réformiste et droite classique, a cédé la place à un jeu à trois aux évolutions plus incertaines.
L’extrême–droite est installée dans le paysage, en phase avec toutes les formes de néofascismes qui ont fleuri sur la planète.
La droite classique est devenue bipolaire : sa version ancienne n’est plus que le flanc droit affaibli d’une Macronie, elle-même bloquée dans son élan initial.
À gauche, le leadership de Mélenchon et de la France Insoumise a réduit le P.C. et le P.S. à des rôles de partenaires mineurs.
La gauche prolétarienne reste très minoritaire dans les urnes, malgré sa présence réelle, mais aussi minoritaire dans les luttes. La percée électorale de la France insoumise, combinée avec les luttes sociales, a permis l’arrivée remarquée d’un air frais symbolisé par des visages nouveaux, pour notre plus grand plaisir. Une femme de chambre noire, issue du combat syndical, au Parlement : le spectre de la contestation révolutionnaire sourit !
Les potentialités contenues dans cette situation, ne pourront cependant se concrétiser dans un sens positif que si, aussi bien en France qu’en Martinique, on tourne le dos à l’affirmation très contestable de Jean-Luc Mélenchon dans son clip de campagne de l’entre-deux tours : « Avec un bulletin de vote on peut tout changer ».
Non ! Avec un bulletin de vote on peut éventuellement changer une représentation électorale et les conditions de la lutte (éventuellement, car les modes de scrutin faussent dans nos situations, l’expression de la démocratie), mais toute l’histoire du monde prouve que rien de fondamental ne change sans les luttes. Rien n’est plus urgent que de s’imprégner de cette vérité.
Les urgences qui s’imposent à nous, ne nous laissent pas le droit à la moindre hésitation. Le chemin : la lutte ! L’espoir : la mobilisation ! Les perspectives de résistances victorieuses se trouvent dans l’alliance du mouvement social et des forces politiques décoloniales et anticapitalistes.
C’est le mouvement social dans ses différentes composantes (syndicales, associatives) qui doit se hisser à ce niveau d’intelligence et d’initiative car de lui-même, Mélenchon et quelques autres ne tireront pas de leurs têtes qu’avec un bulletin de vote on « fera l’économie de kilomètres de manifestations » (encore Mélenchon !).
C’est parce qu’il y a urgence, qu’il faut mettre les bouchées doubles et balayer les chimères de ce maintien de l’électoralisme.
Chlordécone : la messe n’est pas dite !
« Les services de l’État ont commis des négligences fautives ». La formule du tribunal administratif de Paris prouve, si on en doutait, l’élégance rhétorique dont on est capable dans ces milieux, pour désigner le crime abject nommé chlordécone. Mais pour la première fois, un tribunal pointe la faute de l’État dans cette affaire. Nous y reviendrons.
Par ailleurs, dans le dossier pénal, les avocats viennent de montrer le biais concret par lequel la prescription du crime est fermement contestée. Des témoignages accablants pour les coupables montrent comment le crime s’est perpétué au–delà des dates que le pouvoir veut retenir.
Oui, nous avions raison de ne pas écouter les sirènes nous répétant en 2018, qu’il était trop tard, qu’il fallait en finir avec les protestations, les manifestations, les réunions publiques.
Ténacité du militantisme, persévérance des avocats sont les deux mamelles d’une justice digne de ce nom. Rien n’est joué !
Et il faut aujourd’hui, prendre toute la mesure de ce que signifierait un non-lieu dans ce dossier. Non seulement, cela encouragerait l’État à se limiter aux miettes qu’il a avancées pour sortir de la crise, mais encore cela créerait un traumatisme dont certains ne veulent mesurer ni la profondeur, ni les conséquences.
Si toutes les connaissances accumulées, tous les témoignages émergés, toute l’unanimité des prises de positions, toutes les mobilisations, ne débouchent que sur une impunité générale, comme si rien ne s’était passé dans les écuries coloniales, sauf le braiement de quelques dizaines de milliers de nègres et négresses amenées à l’abattoir pour le simple profit capitaliste de la ploutocratie, alors tout peut arriver. En s’ajoutant aux blessures physiques, la blessure morale sera mortifère.
Aujourd’hui, Martiniquais et Guadeloupéens sont placés devant l’immense responsabilité de se contenter de ce qui a été fait, ou au contraire de produire le sursaut au niveau où il est nécessaire.
Le mouvement ouvrier et démocratique français est aussi confronté à une interpellation objective et subjective : va–t–il retrouver les accents de solidarité que dans les années 50, il avait exprimés avec les 16 de Basse-Pointe, en permettant de les arracher à des condamnations fatales, ou bien va–t–il se satisfaire de quelques envolées oratoires finalement impuissantes ?
Les communiqués de Solidaires, ATTAC, la Confédération paysanne, la C.G.T., la F.S.U., Copernic, sont prometteurs, mais il est temps d’aller plus loin.
Non à l’impunité ! Justice ! Réparation !