— Par Wladimir Garcin-Berson & William Plummer —
Approuvé par l’Assemblée nationale le 23 juillet dernier, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada est déjà en vigueur depuis septembre 2017. Quelles sont ses implications concrètes, et que lui reprochent ses détracteurs? Nous faisons le point.
Le Ceta (Comprehensive and economic trade agreement), ou AECG dans la langue de Molière (Accord économique et commercial global), approuvé par 266 voix contre 213 à l’Assemblée nationale mardi, est un traité de libre-échange unissant le Canada et l’Union européenne. Toronto est un partenaire important de l’Union européenne: les échanges de biens entre les deux blocs s’élevaient à 64,3 milliards d’euros en 2016, et les 28 sont le deuxième partenaire commercial du Canada derrière les États-Unis. L’Union garde par ailleurs un solde positif dans ses échanges de biens avec ce pays, de l’ordre de 6,2 milliards d’euros en 2016 et 2017.
Plus précisément, le Canada n’est que le quinzième partenaire commercial de la France, qui tire un excédent de 620 millions d’euros environ de ses échanges avec le pays de Justin Trudeau.
● Le Ceta est en vigueur depuis près de deux ans
Négocié durant près de huit ans, le traité a finalement été conclu fin octobre 2016 avant d’entrer provisoirement en vigueur fin septembre 2017, après validation des eurodéputés (408 voix contre 254). Il a, durant cette période, fait l’objet d’un suivi de la part du gouvernement pour identifier ses effets sur l’agriculture et le commerce en France. En janvier dernier, le texte a été jugé compatible avec le droit européen par l’avocat général de la Cour de justice de l’Union, qui avait été interpellé par la Wallonie au moment de l’entrée en vigueur, en 2017.
Comme il s’agit d’un accord mixte, touchant aux prérogatives de l’Union comme des États membres, il devait être approuvé par les parlements nationaux, afin d’être définitivement mis en œuvre à travers l’Europe. Ce qui est désormais chose faite: l’Assemblée a approuvé mardi après-midi par 266 voix, contre 213, la ratification du traité de libre-échange. Les sénateurs, eux, auront à se prononcer à l’automne prochain. La France deviendra ainsi le quatorzième État membre à valider le texte, après l’Espagne et le Royaume-Uni.
● Quels sont les principaux points de l’accord?
D’abord, l’accord permet de supprimer les droits de douane pesant sur la quasi-totalité des produits échangés entre l’Union et le Canada, soit près de 99% des taxes. Pour Toronto, cela représentera, une fois la totalité des droits supprimés, «590 millions d’euros de droits économisés» chaque année, d’après les estimations de la Commission.
Le Ceta est aussi un accord commercial «de nouvelle génération», une expression utilisée par les instances européennes pour souligner le fait qu’il ne se cantonne pas à supprimer les droits de douane. Il facilite également l’accès aux marchés publics canadiens en ouvrant 30% de ceux-ci aux entreprises européennes, contre 10% jusqu’ici. En parallèle, il «ouvre le marché canadien des services» et facilite les investissements européens outre-Atlantique.
Il modifie également les quotas d’importation de produits agricoles canadiens dans l’Union, pour favoriser les échanges tout en protégeant ces filières sensibles par des barrières quantitatives: par exemple, le Canada pourra exporter seize fois plus de viande de bœuf en Europe sans payer de droits de douane (68.000 tonnes environ), ou encore 100.000 tonnes de blé. De son côté, l’Union pourra vendre plus de fromage sur le marché de son partenaire du nord.
En outre, le traité permet de protéger 143 indications géographiques européennes, qui seront désormais reconnues au Canada: «il s’agit de spécialités alimentaires et de boissons provenant de villes et de régions spécifiques», comme le Roquefort, le gouda ou le vinaigre balsamique de Modène, cite l’Union en exemple.
Il met également en place un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États, un tribunal d’arbitrage composé de quinze juges permanents et indépendants qui tiendront des auditions publiques. Ils devront protéger les «attentes légitimes» des investisseurs, une expression imprécise qui suscite des inquiétudes quant au cadre de la mission de cette instance. Seuls les investisseurs, et non les États, pourront le saisir, et il sera possible de faire appel de ses décisions.
Enfin, l’Union promet que l’accord permettra de mieux protéger les consommateurs en faisant converger les normes vers le haut.
● Que défendent les promoteurs du Ceta?
Pour la Commission européenne, le Ceta représente avant tout un coup de fouet pour les échanges commerciaux et l’économie. Il permettra de dynamiser les échanges commerciaux, les investissements, l’emploi, d’améliorer les normes bénéficiant aux consommateurs, le tout en protégeant l’environnement. Tout un programme. Dans un rapport daté de 2017 sur les conséquences économiques de l’accord, la Commission estime que le Ceta permettra d’augmenter les échanges annuels «d’au moins 8%», pour un montant atteignant «12 milliards d’euros par an d’échanges commerciaux d’ici 2030». Le Ceta devrait bénéficier aux entreprises du vieux continent, qui pourront obtenir des marchés publics au Canada, et dont les exportations devraient être renforcées par la suppression des droits de douane.
En France, le gouvernement, qui soutient le texte, considère qu’il permettra d’exporter «plus» et «mieux». Lundi après-midi, Emmanuel Macron a estimé que la ratification du Ceta allait «dans le bon sens». Pour le chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian, le document participe à la «mise en place d’un filet de sécurité» pour garantir «des débouchés commerciaux à notre économie». Il permettra à l’Union et au Canada de «faire face ensemble aux défis d’aujourd’hui». En septembre 2018, un premier rapport de la Commission soulignait les effets positifs de l’accord, entré provisoirement en vigueur un an plus tôt, avec des exportations françaises vers le Canada en hausse de 5,3%, alors que les importations de produits canadiens avaient baissé de 9,9% en parallèle.
● Que lui reprochent ses détracteurs?
Les arguments avancés par les anti-Ceta sont nombreux. Les détracteurs du traité mettent en avant le péril que celui-ci pourrait représenter notamment pour les agriculteurs et éleveurs français. Pour ces derniers, nul doute que le traité va instaurer une concurrence «acharnée et déloyale». Selon eux, la pression sur les prix entraînera leur baisse aux dépens des producteurs et la France assistera à l’importation massive de produits de moins bonne qualité.
Le traité pourrait aussi avoir des répercussions sur la réglementation sanitaire. «Au niveau européen, on a un cadre qui est très protecteur des consommateurs, que ce soit de l’impact de leur consommation sur leur santé, ou également des normes environnementales. Outre-Atlantique, on a un principe qui est inverse, celui de la ‘certitude raisonnable du risque’ […] C’est la raison pour laquelle on craint qu’il y ait un nivellement par le bas des normes dont bénéficient aujourd’hui les citoyens européens», expliquait la semaine dernière au micro d’Europe 1 le directeur de l’action politique chez UFC-Que choisir, Cédric Musso.
Autre point mis en avant par les détracteurs du Ceta: la perte de souveraineté nationale avec l’instauration de tribunaux d’arbitrage. Ces derniers constituent des juridictions d’exception devant lesquelles les investisseurs étrangers peuvent contester des mesures nationales et/ou européennes qu’ils jugeraient incompatibles avec les clauses de protection des investissements. Enfin, le traité de libre-échange apparaît pour beaucoup comme un non-sens environnemental.
Les voix qui s’opposent à ce traité de libre-échange sont, elles aussi, nombreuses, et – fait relativement rare – de tous bords politiques, que ce soit de droite ou de gauche. Le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure a justifié la semaine dernière le refus de son groupe de ratifier le Ceta notamment par le «défi pour la démocratie» que représente selon lui le traité entre l’UE et le Canada avec le mécanisme des tribunaux d’arbitrage. De son côté, Christian Jacob, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, craint une «déstabilisation de la filière bovine» par le Ceta, justifiant ainsi le refus de LR de ratifier le traité de libre-échange. Lundi matin, l’ancien ministre de l’environnement Nicolas Hulot a appelé les parlementaires à avoir «le courage de dire non». Le texte suscite des réticences même au sein des rangs de la majorité LREM-MoDem.
Source : LeFigaro.fr