— par Marie-José Sirach —
Stéphane Braunschweig présente Soudain l’été dernier, de Tennessee Williams, première création depuis qu’il a pris ses fonctions de directeur du Théâtre de l’Odéon.
Nous ne connaîtrons jamais les circonstances exactes de la mort de Sebastian Venable. Le suspense demeurera entier, jusqu’à la dernière réplique. Où est la vérité ? Qui ment ? Violette Venable qui, du haut de sa stature familiale et sociale, toise le monde qui l’entoure ? Ou Catherine Holly, sa nièce, témoin de la mort de son fils sur la plage de Cabeza del lobo ? L’affrontement est rude, rugueux. Mrs Venable se drape dans sa douleur de mère, les piques qu’elle envoie distillent du poison dans les têtes et jusque dans les veines de Catherine, déjà sous l’emprise médicamenteuse depuis que sa tante l’a fait interner. Ce n’est pas une enquête policière mais une enquête psychique, une double confession psychanalytique – celle de la mère et de la nièce – confiée par Mrs Venable au Dr Cukrowicz, jeune psychiatre dont les travaux de recherche sont financés par cette dernière. On pense que l’affaire est bouclée, que le jeune médecin va céder aux arguments de la mère…
Les mots disent à la fois le pouvoir et l’impuissance
L’écriture dense, intense de Tennessee Williams éclaire par à-coups les zones d’ombre, reconstituant un à un les morceaux du puzzle familial dont il semble sans cesse manquer un morceau. Derrière la façade policée de la demeure, des non-dits, des rancœurs cumulées, des envies de meurtre dissimulées. Racisme, homophobie, inceste, cannibalisme… tout est poisseux, glauque. La relation mère-fils, fusionnelle plus que de raison. Celle qu’entretiennent la tante et sa famille, belle-sœur et neveu, particulièrement perverse et toujours intéressée, tous étant prêts à sacrifier Catherine sur l’autel de l’héritage. L’argent, le pouvoir qu’il confère, qui tire les ficelles, faisant de chacun des protagonistes des petits monstres d’égoïsme, cupides et veules. Mais c’est là le premier niveau. Tout est plus complexe. Moins évident. Les masques tombent peu à peu, mot à mot, et révèlent des êtres esseulés, des mères mal-aimantes et des enfants mal-aimés. Les mots disent à la fois le pouvoir et l’impuissance. Catherine est et sera à jamais le grain de sable qui fait s’enrayer la machine qui permettait de sauver les apparences. Catherine, être à la fois fragile et fort qui, en dépit des pressions, ne démordra pas de sa version. Ni le sérum de vérité, ni la menace d’une lobotomie ne la feront fléchir. Le docteur Cukrowicz va recevoir la parole de la tante et de la nièce sans jamais juger, et son écoute va bouleverser la donne, inverser les rapports de forces et de domination qui régulaient ce petit monde.
Stéphane Braunschweig signe la mise en scène et la scénographie. C’est dans le jardin imaginé par la victime que ce huis clos familial va se dérouler. Des plantes tropicales exubérantes enveloppent les protagonistes…
Lire la Suite & Plus => L’Humanité.fr
Jusqu’au 14 avril, au Théâtre de l’Odéon. Location : 01 44 85 40 40. Du 25 au 29 avril au Théâtre du Gymnase à Marseille. Du 11 au 14 mai au Piccolo Teatro à Milan.