— Le n°266 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —
Répondant à un journaliste, Serge Letchimy lâche : « Nous irons à Paris. C’est le début des négociations ». Tout est dit. « L’appel de Fort-de-France » débouche sur son objectif : une négociation entre les élus des dernières colonies et l’État.
Nous ne saurions reprocher aux élus majoritaires de « négocier » avec le pouvoir, même si nous savons que leur majorité a été acquise au sein d’une minorité de la population, quand on se réfère au nombre de suffrages exprimés. Mais cela reste leur droit et même leur devoir.
Il n’empêche que la manière pose deux sérieux problèmes tant de forme que de fond, et qui se rejoignent. Nous ne parlons pas ici des critiques exprimées par les majoritaires d’hier, dont la démarche pour aboutir à la « Déclaration de Basse-Terre », n’avait pas montré une volonté plus grande d’associer l’ensemble des élus. Ce soi-disant « coup de tonnerre » avait été conçu dans le dos des non initiés.
Notre critique porte sur deux choses que nous jugeons fondamentales:
1. Les dirigeants de la C.T.M. (Collectivité Territoriale de Martinique) s’assoient tranquillement sur un héritage des progressistes de presque tous les pays concernés par cet Appel de Fort-de-France. Cet héritage date de plus d’un demi-siècle. On pourrait dire qu’il entre dans le patrimoine immatériel du mouvement anticolonialiste. Il s’appelle la Convention du Morne–Rouge et se résume d’un mot : l’Assemblée constituante.
Avant de « négocier » au nom du peuple, ces précurseurs (qu’ à l’époque certains des plus âgés d’entre nous, trouvaient bien modérés !) réclamaient avec juste raison l’élection au suffrage universel à la proportionnelle intégrale d’une Assemblée constituante chargée de rédiger des statuts à négocier ensuite avec le pouvoir.
C’était une manière de dire que les élu-e-s en place, aussi légitimes soient-ils ou elles en général (bien que..!), n’avaient pas été mandaté-e-s par la population sur un projet connu de rapports avec le pouvoir. Cinquante et un ans plus tard, et au moment où ce dispositif est, soit mis en place, soit réclamé dans un très grand nombre de pays au monde, on reste êstébékwé devant la cécité des élu-e-s d’aujourd’hui quant aux avantages apportés par cette proposition.
Cette démarche pour une constituante permettrait à chaque courant existant dans l’opinion, de développer ses propositions afin de recueillir les suffrages nécessaires pour avoir des élu-e-s. Elle permettrait à la population de savoir exactement ce qu’on prétend négocier en son nom, et de dire par le vote, ses préférences.
Elle donnerait une force bien plus conséquente aux élu-e-s partant « à Paris pour négocier », et du même coup, réduirait la suspicion à l’égard « des politiques » et permettrait au peuple d’avoir le dernier mot dans un référendum final.
2. A défaut de cette formule (qui reste encore dans la démocratie représentative puisqu’on élirait une représentation chargée de rédiger puis de négocier etc.), l’équipe de Letchimy aurait pu au moins faire de la démocratie consultative, c’est–à–dire faire précéder le « début des négociations » de la rencontre avec les forces populaires pour au moins prendre leur avis dans un débat approfondi qui serait l’a.b.c. de la pédagogie politique et sociale. Le congrès des élu-e-s serait–il contradictoire avec un congrès du peuple dont on a parlé aussi à plusieurs moments de notre histoire ? Bien sûr que non. Au contraire, un tel congrès réduirait, sans les supprimer pour autant, les frustrations liées au refus de l’Assemblée constituante. Les réunions citoyennes organisées par la C.T.M. tant au Grand Carbet (30 septembre), au Morne-Vert (4 octobre), au Saint-Esprit (6 octobre) sans compter celles qui suivront, pour intéressantes qu’elles puissent être, ne s’adjoignent pas la parole des structures sociales organisées (syndicats, associations de quartiers, collectifs de lutte), et se détournent de la mobilisation de leurs énergies.
Visiblement, les majorités changent, mais la démocratie n’est toujours pas au rendez-vous.
Devant une telle situation, le mouvement ouvrier et populaire est face à ses responsabilités. Va t–il rester sur le bas côté, en commentant, en critiquant, en comptant les points, en mettant des jumelles pour voir si, ils et elles se « serrent les mains », ou va t–il lui même s’auto–convoquer dans un congrès, dans des assises, dans des États généraux du peuple, pour définir en toute indépendance sa propre vision des choses et donner avec force un avis qu’on ne lui demande guère ?
On connaît notre réponse. Et notre question : y a t il des volontaires pour le mettre en œuvre avec nous ?
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La lutte contre la misère sociale et la passivité écologique est insoluble dans les vaines polémiques
La Martinique n’a pas pris loin son goût immodéré pour les polémiques de peu d’intérêt. La « mère patrie » lui donne régulièrement l’exemple.
La dernière en date concerne les propos de Jean-Luc Mélenchon qui appelle les futur-e-s manifestant-e-s du 16 octobre à faire mieux que les Parisiennes de la révolution française qui avaient, par la marche des 5 et 6 octobre 1789, ramené le roi à Paris, impulsant la lutte commencée le 14 juillet 1789. Il n’en a pas fallu plus pour déclencher les foudres de plusieurs de ses alliés au sein de la N.U.P.E.S.. Manman ! Nous ne sommes pas comptables du style mélenchonien que l’on aime ou pas. Mais de là, à le présenter comme un socialiste au couteau entre les dents, rêvant de têtes de roi ou d’aristocrates promenées au bout de piques, il y a tout de même une sacrée marge ! L’affaire a l’air tellement outrancier, qu’on est obligé de se demander si ce n’est pas un moyen d’affaiblir la puissance contestataire d’une manifestation encore à venir, en fournissant au passage un prétexte à la propagande antipopulaire du pouvoir.
À 7000 km de là, nous sourions ironiquement sur les frissons que procure encore un événement fondateur de la République, et qui a fait la gloire universelle de la France. Pauvres héritiers !
Battons-nous avec vigueur, pour que les vaguelettes de cette polémique n’atteignent pas nos côtes. Les problèmes posés en France de vie chère, de bas salaires, de menaces sur les droits des sans emploi ou des retraité-e-s, de détérioration des services publics, de persécution des non vaccinés, d’inaction pour sauver le climat et la biodiversité, sont encore plus graves chez nous.
Nous nous félicitons de la rencontre jeudi 6 octobre de plusieurs organisations syndicales, politiques, associatives, pour poser les bases d’une indispensable mobilisation. Nous serons partie prenante de ce qui se décidera dans l’unité !