— Le n°262 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —
En fin de compte, les élu-e-s (majoritaires), signataires de l’Appel de Fort-de-France, affichent leur satisfaction. Ils ont vu le ministre de l’intérieur, son sous–ministre des colonies et Macron en personne. Des rencontres sont promises pour examiner tous les problèmes économiques, sociaux, culturels, politiques, institutionnels…, sous l’angle des rapports de la France avec ses colonies (pardon, ses « outremers » !).
Macron leur suggère même, de profiter de la perspective d’une révision de la constitution française envisagée pour fin 2023/début 2024, en liaison avec le processus ouvert en Kanaky. Ainsi la porte serait ouverte, pour des changements statutaires non bridés par le faux choix entre les fameux articles 73 et 74 de ladite constitution.
Ce bel ordonnancement pose en réalité, un double problème : d’abord, il repose sur une croyance dans la sagesse d’un colonialisme censé accepter de desserrer son étreinte par le simple jeu de conversations au sommet entre gens raisonnables.
Or, si on veut avoir une idée de la rouerie du pouvoir macronien, il suffit d’observer ce qu’il fait en ce moment en matière de politique française.
Avec grand bruit, il tente une opération pompeusement baptisée C.N.R. pour faire passer les mauvais coups antisociaux, décidés sous la dictée du grand capital.
Les sigle Conseil National de la Refondation, a été évidemment choisi pour faire penser à l’un des épisodes les plus progressistes de l’histoire de France : le Conseil National de la Résistance, né comme son nom l’indiquait de la lutte armée contre l’occupant nazi. Ce C.N.R. là, avait forgé, à la fin de la deuxième guerre mondiale, un programme progressiste que les gouvernements bourgeois ultérieurs n’ont cessé de vouloir détricoter. (laissons de côté à cet égard, la première année du gouvernement Mitterrand de l’après 10 mai 1981)
À cette tromperie sur le sigle, Macron en rajoute une seconde. Ainsi, il se livre à une grossière tentative de mise sous tutelle de l’opposition politique, comme un exemple de « démocratie participative ». Or, nous savons que la démocratie participative, la vraie, implique au contraire, un partage du pouvoir, au moins sur les sujets concernés avec la population. Rien de tel n’est prévu dans l’affaire du C.N.R. version Macron ! Il envisage de faire semblant d’écouter les partis et organisations choisies par lui au sein de l’opposition, pour faire ensuite ce que bon lui semble, en prétendant avoir « consulté ».
C’est fort logiquement, que le mouvement syndical digne a refusé de jouer ce jeu piégé. Macron reste donc, bien isolé avec son C.N.R. !
Concernant « les outremers », le scénario conçu par Macron n’est guère différent. Il fait mine de répondre à une demande de l’Appel de Fort-de-France, s’engage à mener les discussions, mais au final, il fixera les limites à ne pas dépasser.
Il n’existe qu’une façon de déjouer ce piège, c’est de créer un rapport de forces par la mobilisation populaire.
Mais là, on bute sur un obstacle de taille. Comment les élu-e-s pourront–ils et elles obtenir cette mobilisation lorsque leur propre stratégie se résume à consulter la population sur les conciliabules menées avec le pouvoir ? Certains rêvent de « débats », de « forums » avec « les forces vives ».
Les débats sont évidemment indispensables, quand il s’agit de penser un avenir commun. Mais la seule perspective qui leur donnera crédibilité et intérêt, c’est celle de la création d’un front comprenant d’une part les élu-e-s dignes, c’est–à-dire volontaires pour la résistance et l’émancipation, et d’autre part, les forces du mouvement ouvrier et populaire. Ces forces engagées dans le combat émancipateur, doivent être traitées comme des protagonistes du combat face à l’État et non comme de simples auxiliaires du débat sans aucun pouvoir de peser réellement sur les décisions.
C’est beaucoup demander ? Sans doute. C’est en tout cas, la condition pour ne pas s’embarquer dans une nouvelle période d’illusions sans lendemain.
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Chili : « Une grande partie de la population n’a pas vu son intérêt dans ce nouveau texte »
Nous résumons un article de Franck Gaudichaud sur le vote référendaire au Chili qui s’est soldé par une défaite du camp progressiste.
L’ampleur du rechazo (« rejet ») à l’endroit d’une nouvelle constitution au Chili, est une surprise et une profonde amertume pour les militant.e.s progressistes. Il y a eu une campagne très offensive de la part des grands médias et des milieux conservateurs (série importante de fake news marquant l’opinion publique et les gens qui croyaient qu’on allait prendre leur maison et leur héritage).
Le travail d’explication n’est pas arrivé jusqu’à la base de la société. Les discussions sur les avancées possibles, sur la sécurité sociale, les droits fondamentaux, le retour de l’eau comme bien public, sont restées dans les hautes sphères de la société. Dans cette campagne très polarisée, le projet constitutionnel n’a été imprimé qu’au dernier moment.
C’est une sanction contre le gouvernement Gabriel Boric, marquant la désillusion au sein même de la gauche chilienne, avec certainement des effets sur la suite politique.
L’effet du nouveau système électoral (inscription automatique, obligation de vote) a compté. L’abstention aux scrutins précédents, dépassait les 60 % dans certaines communes. Ce corps électoral silencieux, ce 4 septembre, a rejeté massivement.
La question des droits des Indigènes a excité les secteurs conservateurs et centristes. Pour eux, ils pèseraient plus que ceux des autres Chiliens. Pour eux, la pluri-nationalité ne ferait que diviser le pays.
Le projet renforçait des avancées sur les logements sociaux et le rôle de l’État dans la construction de logements. Ce fut interprété comme la fin de la propriété privée.
Dans les grands centres urbains, notamment Santiago, il y a eu plutôt un vote progressiste et favorable à la nouvelle Constitution. Dans le Nord, la question de la crise migratoire et de la violence des cartels, a beaucoup pesé en faveur du « rechazo ». Dans le Sud, les revendications et le conflit Mapuche ont aussi radicalisé les positions.
La grande révolte populaire d’octobre 2019 a bouleversé la société au Chili, mais il reste des réticences très fortes dans le corps social.
On l’avait vu avec le résultat d’Antonio Kast, alors candidat d’extrême-droite à la dernière présidentielle, qui est arrivé en tête au premier tour et se positionna au deuxième tour en écartant la droite traditionnelle.
Kast a réussi à capter ces peurs sociales bien manipulées. Intelligemment, l’extrême-droite n’a plus exhibé la constitution de Pinochet qu’elle soutenait depuis trente ans. Elle a préféré réaliser une campagne de rejet de la nouvelle Constitution, tout en affirmant tactiquement son adhésion pour un nouveau texte.