Antigone : entre péplum et bande dessinée

— Par Roland Sabra —

antigone3C’était une « scolaire ». une représentation pour un public de collégiens et lycéens. Une de ces représentations que parfois les comédiens redoutent. Nombre d’entre eux se souviennent avec douleur de pièces interrompues par le chahut de la salle. Public intransigeant à qui « on ne la fait pas », du genre « ça passe ou ça casse ». Public généreux et spontané dans ses appréciations, ses interrogations, son questionnement comme en témoigne le dialogue qui s’installe à la fin de chaque représentation entre le plateau et la salle. Ce jour là ils étaient conquis. Les autres fois aussi parait-il. On veut bien le croire. Du grand spectacle. Du spectacle en grand. En grandes dimensions. Les plateaux de la salle A. Césaire et de la salle F. Fanon de « Tropiques-Atrium » étaient pour la première fois dans l’histoire de la bâtisse réunis et la scène offrait une profondeur de champ inédite. Les chœurs innombrables en toges installés avant l’ouverture sur les balcons latéraux contribuaient à cette impression d’un public cerné par la tragédie avant même que la narration en soit faite puisque la révolte contre la tyrannie est le devoir de tout un chacun à toute époque et en tout lieu. Surtout, peut-être, quand on a vingt ans.

La mise en scène et la scénographie fidèle à son esprit ont été pensées pour eux. Entre péplum et bande dessinée, on ne fait pas dans la dentelle, les traits des personnages sont poussés et provoquent les rires dés le début, dès qu’Ismène communique ses effrois à sa sœur. Créon est moins le porte-voix de la raison d’État que la caricature d’un tyran quelque peu abruti par la charge d’une fonction dont il ne mesure ni l’étendue, ni la profondeur et encore moins la hauteur. Après l’énoncé de son verdict qui condamne Antigone à la mort il esquisse quelques pas de danse, une ébauche de sirtaki ! Le rire dans la salle n’est pas celui déclenché par le « Dictateur » de Chaplin ce n’est pas un rire sous-tendu par une critique politique, non c’est un rire emprunt de pathétique et de bouffonnerie. Créon, en surjeu à longueur de tirades, emprunte au registre du pitre quand Tirésias, en voix off, embarque pontifiant vers la grandiloquence. D’une manière plus générale des comédiens on peut dire que dans l’ensemble ils font plutôt bien, même à leur corps défendant, ce pourquoi ils sont convoqués par les choix de la mise en scène… Choristes et danseurs créolisent les vers et les pas et s’intègrent tant bien que mal dans le fil du propos. Comédiens aguerris et comédiens débutants, vieille garde du SERMAC et jeunesse pleine d’avenir de la section théâtre du Lycée Schoelcher tous participent du bonheur d’être sur scène.

antigone1La force du travail présenté est d’avoir été construit en direction d’un public spécifique, sa faiblesse réside dans la difficulté à en atteindre d’autres. La mise en scène ne recule devant rien jusqu’à faire du messager une carpette sur la laquelle Créon s’essuie les pieds au mépris de tout ce qu l’on pouvait enseigner aux guerriers grecs de l’époque. La scénographie fidèle, on l’a dit, fait couler de grosses larmes sur la face de la lune! Les fils qui montent vers les cieux nous rappellent que les hommes ne sont que les marionnettes des dieux ou les jouets du fatum. Le siège du pouvoir n’a pas les pieds sur terre. L’épouse de Créon est enceinte d’un creux, un vide celui de ses enfants emportés par la mort. La douleur et les pleurs sont soulignés, surlignés comme comme un film muet. Et la scénographie d’aligner les images comme d’autres enfilent les perles. Et pourtant la magie opère. Par moments. Par moments seulement. Sans doute l’esprit d’enfant qui en chacun de nous sommeille nous convoque devant l’extravagance de ce qui nous est jeté au visage. L’excès tient à la forme et non pas au propos qui lui, plutôt ténu, ne se découvre que tardivement. Si Créon refuse d’être l’esclave d’une femme, Antigone, elle, dit non à l’esclavage de l’injustice. Le fil qui conduit la lecture de la pièce est celui d’une dénonciation du statut de la femme dans la société grecque et ce qui en perdure aujourd’hui encore de par le monde. Si la tyrannie est condamnée c’est avant tout parce qu’elle est celle des hommes sur les femmes. L’analyse critique du pouvoir est évacuée, cachée par le paravent d’une dénonciation du virilisme, cette maladie infantile de la masculinité, sans que pour autant la vision proposée puisse être dite féministe. A circonscrire la tyrannie sur ce registre la lecture proposée désarme le citoyen de tous moyens de se prémunir et de lutter contre les dictatures. Y aurait-il une femme politique pour expliquer à une femme comédienne et metteure en scène que tout pouvoir porte en son sein les germes d’une dérive totalitaire ?

La fougue, le tempérament, l’énergie, la démesure de la metteure en scène, toujours bienvenus, convoquent une richesse de moyens pour une lecture appauvrie d’Antigone. Par exemple l’explication sur la soi-disant « naturalité » du passage du français au créole, du texte de Sophocle à celui de Mauvois est un peu courte. Débats entre langue du dedans et langue du dehors, langue de l’intime et langue de l’extime (Michel Tournier) sont passés sous silence, comme en témoignent les rires répétés du public lors des passages du français au créole. Pourquoi ces rires alors que ce qui est présenté est censé relever de la tragédie ? Pourquoi le créole prêterait-il à rire?

antigone4Il est vrai que la violence du propos de Sophocle à son époque n’a sans doute pas la même portée aujourd’hui. Si son Antigone s’oppose à Créon au nom de valeurs familiales et religieuses transcendantes le conflit chez Anouilh, qui écrit son texte sous l’Occupation en 1942, porte sur raison d’État et position morale. Son Antigone est un appel à la résistance face à Pétain. Il ne s’agit pas de reprocher à Aurélie Dalmat de ne pas avoir fait du Anouilh avec Sophocle, non mais on peut regretter qu’elle soit restée dans un entre-deux de ne pas avoir suffisamment montré qu’  « Antigone accomplit un acte inutile mais nécessaire : inutile parce qu’il ne peut plus empêcher la souillure de la cité, nécessaire parce qu’il peut de ce fait se situer sur le plan du principe et non de l’utilitarisme. »

La force du travail aurait été plus grande mais se pose alors, et encore, et toujours, la question du rapport entre la fin et les moyens. Les voies du grand spectacle sont-elles celles qu’emprunte le questionnement ethique?

Fort-de-France, le 12/10/2015

R.S.

Antigone : Steffy Glissant
Ismène : Jann Beaudry
Créon : Éric Delor
Tirésias dansé : José Chalons
Tirésias voix : Erick Bonnegrace
Le Garde/Le Premier messager : Guillaume Malasné
Euridyce : Astrid Mercier
Hémon : Mike Fédée
Le Coryphée : Christian Charles-Denis & Jean-Claude Maran
Le Choeur : Chorale Ensemble vocal Résonan’s de Fort-de-France, Choeur de Carabin du Lorrain, Choeur des Îles du vent du François
La Messagère du palais : Guilène Quiquine
Les Gardes de Créon : Laurent Troudart & Francky Joseph

Vendredi 16 octobre
Samedi 17 octobre

Dimanche 18 octobre à 14H

 

Scolaires le 8, 9, 12, 13 & 15 à 9H

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