— Vue par José Alpha —
La récréation d’Antigone de Sophocle par Aurélie Dalmat (Théâtre Tam) qui a associé au projet, la plume du Théâtre en langue créole de G.E. Mauvois, raconte avec les dispositifs du Théâtre antique grec fidèlement reconstitués, les conséquences néfastes de l’exercice d’un pouvoir absolu incarné par le Roi Créon.
Celui-ci refuse net toute égalité de traitement aux sépultures de ses deux neveux, Etéocle et Polynice, victimes d’un duel fratricide dont l’enjeu politique était l’héritage du trône de leur père Œdipe. A la disparition de ses deux neveux, Créon a donc succédé à Œdipe et règne en maitre absolu sur Thèbes. Mais, Antigone fille d’Œdipe et de Jocaste, se révolte contre la décision de son oncle Créon, celui qui incarne le pouvoir et l’exerce avec tyrannie. Il a en effet décrété de ne donner une sépulture décente qu’à Etéocle, refusant la mise en terre de Polynice. Pourquoi ?
Les multiples adaptations de cette tragédie politique écrite par Sophocle en 441 avant J-C, qui suscitent encore de nombreuses analyses, ont pourtant un point commun qui nous interpellera toujours : celui de la lutte contre le despotisme, de la résistance à la tyrannie, « du contrôle du tyran à qui, pourtant, on confie le pouvoir ». Une démarche universelle développée dans toutes les sociétés qui subissent la dictature, même inavouée.
L’opposition d’Antigone (Steffy Glissant) à la suffisance de Créon (Eric Delor), est directe, claire et parfaitement justifiée pour un public majoritairement humaniste. Les émouvantes interventions chantées et jouées du Coriphée (Jean Caude Maran et Christian Charles), qui pourtant conseille le Roi, sont raillées par le despote. Elles rythment intelligemment l’action jusqu’à la douleur de Créon. Celui-ci est définitivement le tyran qui subira la sentence divine. Son fils Hémion se donne la mort après avoir affronté le dictateur, quand il apprendra que sa cousine et amoureuse a été enterrée vivante.
Les créations des comédiens sont correctement dirigées même si quelques fois, le jeu trop hiératique gène leur créativité comme c’est le cas pour Créon dont la progression vers la folie du pouvoir, est parfaitement suivie par l’assistance. Les images sont belles ; elles sont bien servies par la scénographie là aussi, trop fidèle à l’architecture du Théâtre grec avec le théatron qui s’étage sur la pente d’une colline, l’orkêstra étalé en demi-cercle de chaque côté du public, le fond de scène peint, ici un écran, sur lequel sont projetées en silhouettes de belles scènes de guerre et de feu, mais également la trajectoire des nuages, du soleil et de la lune. L’action est réduite et précise, elle va à l’essentiel et les unités de sujet, de temps et de lieu sont respectées pour qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli tienne le théâtre rempli (Boileau)
On serait tenté de suivre le projet du metteur en scène de faire de l’Antigone de Sophocle, en 2015, une habile et originale revisite du répertoire du Théâtre antique européen.
La volonté semble avoir abandonner ce choix, alors que la mise en bouche du créole martiniquais (un peu prétexte ici) de G.E. Mauvois, ajoutée à la geste socio politique commune aux peuples des Antilles et de la Caraïbe, seulement ébauchée ici, auraient été très justement supportés notamment par la sensible création musicale et esthétique des chants et danses Bèlè, par les pratiques qui entourent l’inhumation des défunts, et puis, la pratique hystérique du pouvoir bien connue dans l’histoire politique des peuples qui se sont libérés de l’esclavage.
Autant d’éléments favorables à une transposition innovante et résolument contemporaine qui parle aux générations et particulièrement à la jeunesse invitée à identifier, comme une mise en garde, la menace tyrannique portée par la soumission et la crainte.
Antigone affronte l’autorité despotique de son oncle en toute liberté. Elle demande l’égalité de traitement d’une sépulture pour ses deux frères, certaine d’être dans son bon droit. Elle sera arrêtée pour transgression du décret du Roi alors qu’elle met en terre le cadavre de Polynice banni par Créon. La simplicité argumentaire, sa profondeur et la solitude du tyran, en font une œuvre universelle.
Les épopées comme les textes ne sont-ils pas disponibles à l’universalité culturelle ? Avec la sensibilité du Bèlè, la geste créole, les velléités et autres convoitises qui caractérisent nos sociétés, Sophocle, Mauvois et Dalmat pouvaient en effet transcender nos peurs de désobéissance artistique et d’insoumission esthétique.
Mais l’adaptation présentée ici n’atteste que de l’agréable démonstration de la connaissance qu’a le metteur en scène du Théâtre antique européen. La revisite de cette légendaire tragédie s’imposait vraiment comme l’a fait, du reste, le metteur en scène belge Ivo Van Hove avec Juliette Binoche dans le rôle-titre, actuellement en représentation au Théâtre de la Ville de Paris. Et puis l’inattendue et captivante revisite de La Flute enchantée de Mozart par la Compagnie Isango Portobello de Cape Town, qui fut présentée à l’Atrium en 2012 dans le cadre du Festival de Fort de France, après avoir reçu le Laurence Oliver Award en 2008 au Young Vic à Londres.
La tragédie ne s’adresse pas au bon sens, mais à la sensibilité. Or c’est bien la sensitivité qui caractérise l’être. Je fus tout de même touché.
José Alpha, 10/10/2015
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