— par Dominique Bruch—
Entre tourisme, agriculture spécialisée et importations à tout va, la Martinique sera bientôt au carrefour de son destin, avec l’arrivée de la prochaine assemblée unique. C’est sûr ! Quelque chose va bouger en 2015. Reste à savoir sous quelle forme : passage en revue ….
La Martinique est passée par l’exploitation de toutes les couleurs de l’or : noir (esclavage) 1, blanc (sucre), brun (rhum) 2, puis jaune 3 (banane).
Mais le scandale du Chloredécone, et le coût de production 4, fait chuter rapidement les surfaces de production (35% en 5 ans), avec des surfaces d’exploitation inférieures à 5Ha, à un coût d’outillage agricole supérieur de 50% des prix européens. On constate une chute de 81% du nombre d’exploitations, les ouvriers deviennent des chômeurs urbains 5. Bientôt, la chute probable du dollar verra s’écrouler définitivement la capacité concurrentielle de la banane antillaise. Les subventions européennes empêchent depuis des années le passage à d’autres cultures non subventionnées. Cette situation risque d’empirer rapidement, après l’interdiction de l’épandage aérien 6 des fongicides contre la cercosporiose 7, sans lequel les champs sont voués à une disparition rapide et définitive.
Le manque de production agricole variée augmente l’importation de produits alimentaires finis, beaucoup plus chers que partout ailleurs, et les ajouts de valeur ne profitent pas au pays, ce qui finit d’assécher la capacité d’enrichissement local, “CAF” de la Martinique 8.
Le projet d’assemblée unique en Martinique, voté depuis le 26 janvier 2010, a été “imposé” par le gouvernement ; il n’est toujours pas au point et, sera, peut-être, inauguré en 2014-9. Si la future assemblée n’arrive pas à gérer la conjonction des risque déjà visibles, on risque de voir en 2015, soit une explosion sociale majeure, soit un affaissement profond du terrain économique avec un risque de forte migration des classes moyennes (déjà commencée depuis 2009), avec l’apparition d’une violence locale accrue, ou une convergence des ces trois scénarii qui ferait fuir définitivement les investisseurs.
Evolution des échanges extérieurs en valeur en Martinique (en %) – Source : INSEE – CEROM
Le non marchand soutient l’activité – Contribution des branches à l’évolution de la valeur ajoutée en Martinique (en %) Source : INSEE – CEROM
La croissance plonge -Taux de croissance du PIB en volume (en %) Source : INSEE – CEROM
Tourisme en Martinique
Les îles de la Dominique, Sainte Lucie, Barbade sont devenues, en moins de 15 ans, plus attractives que la Martinique. Les chiffres du tourisme, moroses depuis les années 90, continuent de chuter 10, ainsi que la valeur ajoutée 11, alors que les prix ont augmenté depuis 10 ans, malgré les efforts financés par les collectivités locales. Dans ce secteur, la difficulté majeure trouve sa source dans la confusion permanente entre les mots “service” et “servitude”, entretenue par les syndicats dans les structures hôtelières existantes 12. En 2011, face aux crises en Afrique du Nord, les Antilles avaient redécouvert une bonne affluence dans le premier trimestre 13.
A cette situation chaotique s’ajoute l’arrêt des investissements dans les structures d’accueil : le Méridien en ruine depuis 2009, l’hôtel Batelière 14en redressement judiciaire, abaissement de qualité des autres structures. Il est déjà tard pour lancer des chantiers de construction dans ce domaine, par manque d’investisseurs. Le maigre espoir de saisons touristiques améliorées à grand renfort de publicité métropolitaine 15 depuis 2010 risque d’être anéanti par la crise mondiale qui touche les classes moyennes 16, sans parler des grèves locales.
Taux d’occupation hôtelière sur 2009, 2010, 2011, en % … une moyenne peu rentable Source : INSEE
Le manque de réserve foncière disponible empêche l’implantation des jeunes agriculteurs. L’orientation vers un plan quinquennal (2010-2015) existe sur le papier, mais son action n’est pas visible sur le terrain. Il pourrait modifier les cultures en fonction d’une vision d’avenir et aider à mettre en place une réforme agraire importante, bloquée par le système, avec des élus frileux d’en subir des conséquences politiques 17. En 2015, la “banane dollar” sera bien moins coûteuse que le produit martiniquais, ce qui signera la fin de cette culture importée.
Malgré la maladie endémique liée à son violent passé 18, les politiques et les responsables
patronaux, coincés par de multiples conflits sociaux19, déclarent que “les choses vont mieux”… Mais personne n’ose publier de bilan réel ni de prospectives chiffrées 20, sauf concernant les besoins, comme ceux du Conseil Régional 21, sans publier un prévisionnel d’opérations, faute de visibilité budgétaire, l’assemblée unique de 2014 risquant de provoquer un vrai séisme de gestion des fonds publics 22.
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Le projet “Pointe Simon”
Le vieillissement de la population européenne, sa richesse et l’attirance vers les tropiques de la communauté Européenne constituent une vraie opportunité de création d’emplois et de gestion immobilière, au sein des DOM 23. Encore faut-il reprendre la main sur la gestion du foncier et sur la formation, ce qui prend du temps et des moyens qui risquent de manquer d’ici 2015, sauf si le secteur privé consent à investir en masse, comme pour le projet “pointe Simon” 24, financé par des capitaux venus de Trinidad, mais réservé à une tranche particulièrement riche de population. La reconversion d’hôtels en résidences de long séjour pour retraités présente une vraie opportunité immobilière, le foncier étant très limité et les places en forte demande.
Des opportunités sont à saisir dans le domaine des épices, des plantes médicinales, de l’extraction de molécules à forte valeur ajoutée pour la fabrication de médicaments ou de produits cosmétiques, des essences aromatiques via la vente par internet.
La récente augmentation des ZEE maritimes nationales 25 présente des opportunités de pêche et de transformation embarquée pour le marché local, déficitaire de 10.000 tonnes/an. 26
La découverte récente de gisements pétroliers au large de la Guyane pourrait relancer l’activité de raffinage local et le redéploiement agricole susciterait la reprise des industries de transformation pour la consommation locale de plus en plus “moderne” dans son style de consommation (Prêt A Consommer) et pour l’intérêt des anglo-saxons pour la “french touch” venue des Antilles 27, avec les segments logistiques appropriés : conservation durable, transport maritime (trace carbone) et distribution en Europe et en Amérique du Nord.
La conjonction de la crise mondiale, la chute de plus en plus probable du dollar et la situation structurelle locale nous préparent à une crise majeure, prévisible d’ici 2015 : elle risque de toucher la population locale au quotidien (appauvrissement structurel, chômage, risque migratoire, instabilité sociale).
Elle présente cependant de bonnes opportunités d’investissements diversifiés, sur un marché de consommation captif et limité, avec des capacités d’innovation réelles qui devraient intéresser des investisseurs européens compétents et prudents sur les choix, immobiliers, industriels, logistiques.
1. “Quand l’Africain était l’or noir de l’Europe”, Bwemba Bong, Editions Menaibuc, 2005, Pyepi Manla
2. Une source parmi bien d’autres : “Le Rhum”, L’Or des Îles
3. “Bananes : batailles autour de l’or jaune”, 29.01.09, TerraEco
4. La production martiniquaise est tellement insignifiante qu’elle n’apparaît même pas dans les statistiques. Source : UNCTAD (voir aussi TER 2009/2010, édité par l’Insee)
5. Source : Insee, TER 2009-2010. op.cit. Page 138
6. On pourra prendre comme référence, parmi d’autres, cet article : “Epandage aérien en Martinique : entre le chantage des bekes et l’incurie des élus de la majorité”, 04.12.11, Montray Kréyol, mais les expériences d’arrêt d’épandage ont signé l’arrêt définitif de la culture bananière dans les îles voisines (Saint Vincent, Sainte Lucie, Dominique).
7. “La cercosporiose noire détectée sur un bananier”, 22.09.10, France-Antilles
8. Source : INSEE, “Les inégalités aux Antilles : 10 ans d’évolution” ISBN : 2-11-063309, Sciences et Vie n°115, août 2010.
9. “Martinique et Guyane : collectivité unique mais pas avant 2014”, 07.04.11, Zinfos974
10. Conjoncture tourisme en Martinique. Source: INSEE
11,Répartition de la dépense touristique par poste. Source : INSEE
12. “Grève dans les trois hôtels de Karibéa Resort”, 15.04.11, DOMactu, puis “Le personnel de Karibéa Resort en grève”,
14.04.11, France-Antilles
13. “Martinique: janvier 2011, fréquentation en hausse dans les hôtels”, 03.11, Veille info tourisme
14. “Mobilisation des salariés de l’hôtel Batelière”, 01.03.11, DOMactu
15. Voir la pub télévisée nationale sur 12 chaines : YouTube
16. Une source parmi d’autres : Carte Martinique
17. “Crise de la banane ou crise de l’agriculture coloniale”,
05/06.2004, PatriYot
18. L’esclavage, pourtant aboli depuis 1848, n’est toujours pas “digéré”, tellement les conditions de l’abolition ont été prises sans préparation économique et sociale, au point que le “non-dit” reste la source principale du “mal être” d’un grand nombre deMartiniquais. Source : “I l ne faut pas pardonner, il ne faut pas oublier”, 11.05.05,
19. “Conflits sociaux: les chefs d’entreprise témoignent”, 03.05.11, France-Antilles
20. Voir le bilan IEDOM 09, page 186 : perspectives.
21. Source : Conseil Régional de Martinique
22. “Projet de loi pour la collectivité: Claude Lise s’abstient”, 13.05.11, Politiques Publiques
23. L’express, dossier spécial DOM, n°3120, 20-26.04.11
24. Source : La Pointe Simon
25. Source : Senat.fr
26. Source : INSEE, TER 2009-2010, page 146, op.cit.
27. La définition du mot “Antilles”, largement controversée et attribuée à tort aux îles françaises ces 50 dernières années, est en fait l’appellation la plus ancienne : voir Wikipedia
Extraits de : MAP Mars 2012 – Une publication quadrimestrielle de LEAP