— Par Roland Sabra —
Il était un peu plus de 18 heures vendredi 25 janvier 2013 dans ce qui fut la salle de classe d’Aimé Césaire au lycée Schoelcher quand a débuté la première manifestation organisée dans le cadre de la commémoration du centenaire de la naissance d’Aimé Césaire. Après l’allocution de bienvenue de Raymond Alger, Proviseur, la centaine de participants s’est dirigée selon un parcours de pas blancs dessiné au sol vers le vernissage d’une fresque réalisée par deux élèves grapheurs et intitulée « Word Power. On y voit en position centrale la tête du poête et une bulle de bande dessinée avec une pensée. «une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation DECADENTE »
La petite troupe est ensuite allée d’un pas lent vers la salle de théâtre, Aimé Césaire, du lycée. La compagnie Téat’Lari y donnait « Paroles et silences » . Des interventions qui précédèrent le spectacle on retiendra celle de Yves Bernabé, IPR de lettres, qui exprima le vœu pieu que cette année du centenaire soit l’occasion de lire ( vraiment?) Césaire, , plutôt que celle d’en parler, et la lecture d’un beau texte de Christian Charles le directeur de la compagnie Téat’Lari. Après l’incontournable morceau du tambouyé de service et de ses danseurs de bèllé, la pièce de théâtre pouvait commencer. On lira, avec intérêt comme toujours, le compte-rendu qu’en fait Selim Lander. Pour notre part nous avons été sensible au travail effectué par le metteur en scène José Alpha depuis les toutes premières représentations il y a déjà quelques années de cela. De toute évidence José Alpha sait remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier. Ce travail opiniâtre est une de ses qualités. La difficulté réside non pas dans le travail d’addition, de rajouts, de compléments mais dans l’inévitable soustraction qui parfois fait défaut. Il y a des ajouts réussis, comme l’intégration des danseurs de rap sur un morceau de Casey dont on aurait préféré un autre extrait plus fort, plus percutant. La confrontation entre le balayeur antillais de la gare Saint-Lazare et les jeunes rappeurs, sorte d’affrontement entre deux formes de déclassement social, l’une ancienne et l’autre plus actuelle est un filon à exploiter. Ce d’autant plus que la force et la beauté des textes de Casey entrent en résonance avec le verbe césairien. Deux révoltes qui puisent aux même racines ne portent pas les mêmes fleurs mais leur assemblage n’est pas exempt d’harmonie ni de beauté.
Jean-Claude Duverger est avant tout un conteur, aussi lorsque Aimé Césaire, sollicité par José Alpha pour un complément africain à sa pièce, indique comme piste à explorer le conte de « La querelle des deux lézards » de l’écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ, on comprend son bonheur. Dans les premières versions de la pièce le conte était dit en français, puisque rédigé en français. C’est à cette version que faisait allusion Aimé Césaire. Jean-Claude Duverger en a fait une traduction créole et c’est celle-ci que nous avons entendu. Ce qui pose un problème, non pas de compréhension, mais de cohérence avec le reste du spectacle. Dire ce conte africain en créole dans une pièce consacrée à Aimé Césaire c’est sous-entendre chez le poète un rapport de proximité entre le créole et le français à l’intérieur même de son œuvre. Rapport dont on peut dire, sans pour autant être un grand césairien, loin s’en faut, qu’il est certainement plus problématique que cette juxtaposition ne pourrait le laisser croire. Par ailleurs si ce moment du spectacle est jubilatoire, pour le spectateur, c’est aussi le moment ou Jean-Claude Duverger se laisse aller à son plaisir. Il y a un relâchement chez le comédien dont il aura bien du mal à se défaire par la suite. Quand un comédien prend du plaisir à ce qu’il fait sur scène, le risque est grand de le voir jouer pour lui-même et non plus pour le texte ou pour la salle. Si la performance de Jean-Claude Duverger est de grande qualité dans l’ensemble, avec une belle énergie, l’assurance qu’il affiche en scène décrédibilise un peu le personnage de l’humble balayeur qu’il est sensé incarner. On n’y croit pas beaucoup. Il a été en d’autres temps plus convainquant dans ce rôle.
En un mot comme en cent, si le travail présenté est de qualité il mériterait d’être resserré autour de l’invraisemblable, l’incroyable pertinence, pour aujourd’hui et pour demain de l’œuvre de Césaire, comme y invitent les extraits plutôt bien choisis que l’on écoute et se récite dans l’instant même de leur énonciation, avec un effet toujours réitéré de sidération. Ajoutons que l’accompagnement musical n’est pas en reste quant à la réussite l’ensemble.
S’il y eut des temps forts et d’autres un peu plus faibles c’était sans doute le fait d’un assemblage un peu hétéroclite d’activités relevant d’une fête de patronage et d’autres d’un registre beaucoup plus professionnel, la soirée était agréable et l’on ne peut que féliciter, la direction du lycée, le comité de pilotage et toutes celles et tous ceux, élèves et autres qui font souffler ce vent d’air frais sur l’honorable bâtisse.
L’histoire nous a montré qu’après l’immobilisme brejnévien survient la Pérestroïka.
Pas sûr que le parallèle plaise à tout le monde, mais nous sous en accommoderons aisément car il est connu que l’on ne peut contenter tout le monde et son père.
Fort-de-France, le 26/01/2013
R.S.