— Par Julie Bessard, adhérente de l’Association Martiniquaise de Défense des Animaux de Compagnie (AMDAC) —
« Les animaux ne vont pas en enfer, ils y sont déjà »
Victor Hugo
En Martinique, deux dates importantes approchent concernant nos animaux domestiques :
9 octobre : Assises de la prédation animale à la Préfecture pour lesquelles les éleveurs ont proposé l’éradication massive et systématique des chiens errants, divagants, abandonnés ou fugueurs, sans aucune autre solution effective que la mort au bout de la chaîne. Les quelques attaques en meute de troupeaux justifiant ce traitement massif sans alternative sérieuse, même pour les chiens divagants isolés.
10 octobre : date limite de la remise des demandes pour une dotation de 156 000 euros pour la Martinique provenant du ministère de l’Agriculture, projet adressé aux communes et EPCI, pour la stérilisation des chats et chiens errants toutes les mairies que j’ai contactées disent ne pas être au courant de l’appel d’offre et la plupart ne s’y intéressent pas.
La première question serait de savoir pourquoi veut-on se débarrasser des animaux errants ?
« Ce ne sont pas les nôtres », « ils font du bruit », « ils volent de la nourriture », « ils se reproduisent trop », « ils attaquent les autres animaux ». Tous ces propos nous rappellent que trop bien le discours sur l’immigré, l’autre, le différent, le bouc-émissaire, le souffre-douleur, source de tous les maux. L ’animal, on ne va pas chercher à le sauver, le réparer, le réintégrer, améliorer son sort. Il perd son statut d’animal domestique pour devenir un nuisible.
La cible est repérée.
Malgré les lois de protection, dont celle du 10 Juillet 1976 énonçant que « Tout animal est un être sensible », malgré les solutions de sauvegarde déjà éprouvées ailleurs, malgré les appels à l’aide permanents des associations locales , le théâtre du malheur se met en place.
Depuis plusieurs semaines, en tant qu’adhérente de l’association Martiniquaise des Animaux de Compagnie (AMDAC), je rencontre les habitants de toutes les communes de Martinique pour discuter du sort des animaux domestiques errants, perdus, abandonnés, en divagation.
Je leur demande leur avis sur ces êtres en danger : les chiens et les chats.
Le sujet intéresse, l’éventail des réponses est large et l’état des lieux terrifiant.
Pour vous présenter leurs réponses, je vous propose une typologie.
1° Les exécuteurs :
Ceux que nous n‘entendrons jamais, les tueurs discrets, les empoisonneurs de la nuit. Exécutions de masse, en silence, dans d’atroces souffrances pour ces animaux rarement sauvés du poison, tout y passe, même vôtre animal qui se fait piéger.
– Pas de preuve, pas de plainte – Nous nous souvenons tous des chats de Rivière- Salée, et de Madiana empoisonnés massivement. Parfois les médias en parlent.
Et ça recommence.
Les hostiles, cow-boys désinhibés du massacre, « moi quand je vois un chat, je prends une pelle » se vante un habitant de la Démarche à Schoelcher. Voici l’inventaire macabre de leurs moyens : Fusils, sacs, feu, poubelles, colle, chiens d’attaque, entrave à mort, coups, voitures et longue liste d’atrocités.
2° Les abandonneurs :
Les raisons sont multiples : animal malade, trop vieux, trop jeune, arrivée d’enfant, allergie subite, déménagement, divorce, mort du parent propriétaire, coût de la vie : l’animal n’est plus bienvenu et même, si souvent, le cœur des enfants de la famille est brisé à vie, on va s’en débarrasser, dans la nature ou dans un parking, où l’on s’imagine qu’il saura reprendre son instinct animal de survie, ou tant pis pour lui, il mourra en silence.
Très loin des regards, Anse Céron, Forêt Vatable, Pointe rouge, Pointe Faula, Forêt Montravail, Coeur Bouliki…, combien de chatons non sevrés, de vieux chiens de la famille, de chiennes ou chattes prêtes à mettre bas sont lâchement déposés dans ces no man’s land. Comme des sacs usagés à la décharge de la nature.
« On a été jeter le chat dimanche » me dit tristement une fillette de Saint-Pierre devant ses parents gênés.
Quelque fois, l’animal s’est enfui, chien ayant rongé sa trop courte corde, chat effrayé par un feu d’artifice ou un pétard. On n’ira pas le chercher, il n’est pas identifié, tant pis, on en trouvera un autre. On voit sur les réseaux sociaux des associations de protection animale, se multiplier les signalements de ces chiens et chats repérés en divagation.
Certains propriétaires qui , eux, ont de l’amour et de la conscience vont essayer de les donner dans de vraies famille ou frappent à toutes les portes : vétérinaires, associations, refuge AMDAC chats ou RSP chiens : c’est souvent impossible car ils sont débordés et ne peuvent prendre que peu d’animaux, faute de moyens.Alors ce sera à la SPAM(société protectrice des animaux de la Martinique) qui fonctionnera directement avec la fourrière de l’AGPAM (Association de Gestion et de Protection des Animaux à la Martinique, fondée pour protéger les troupeaux des éleveurs) : 6000 animaux domestiques auraient été euthanasiés par eux en 2023.
L’article L211-27 du code Rural (CRPM) confère à chaque Maire la responsabilité en matière de gestion des animaux errants de sa commune. Les mairies qui en Martinique ne possèdent pas de fourrière, ont passé une convention avec l’AGPAM seule fourrière de la collectivité qui forme un binôme systématique avec l’association la SPAM, et dont les attributions et les intérêts semblent se confondre.
En Martinique, aucun élu à ma connaissance ne s’intéresse au bien-être animal et toutes les communes ne veulent entendre parler que du trappage des animaux pour s’en débarrasser.
En 2021, Robert Badinter demande à l’Assemblée Nationale la création d’un « défenseur des droits des animaux » car, dit-il, les lois de protection existent mais ne sont pas appliquées.
Le numéro national de « Contre la maltraitance animale », le 36 77, ne fonctionne pas pour la Martinique.
4°Les applicateurs :
Quand la présence d’un animal errant est signalée par l’administré à sa commune et que la police municipale répond, le jeu de massacre se met en place avec le troisième intervenant indispensable, le trappeur.
Il vient directement contre paiement, attraper les animaux terrifiés, et coûte que coûte : blessures, mutilations, traumatisme psychologique de l’animal et des spectateurs.
– votre chat qui s’est enfui car a eu peur ou est allé conter fleurette, votre chien qui est allé trop loin, les chats que vous nourrissez par pitié dans le quartier, le chien perdu, il les apporte à la fourrière qui peut alors plus facilement les déclarer blessés donc immédiatement exécutables.
Chiffres estimés non donnés officiellement par des employés souhaitant rester anonymes : 5000 animaux euthanasiés en 2022, 6000 animaux en 2023.
Les mairies se lavent les mains de ce qui est fait aux animaux du moment qu’ils en sont débarrassés pour leurs administrés et, dans l’indifférence générale, la peur, le traumatisme, la souffrance de ces êtres pris au piège s’ajoutent à la mort.
5° Les sauveurs et les prescripteurs :
A l’opposé de cet enfer, des martiniquais résistent à cette mort programmée, face à des mairies sourdes et insensibles aux textes qui leur interdisent de nourrir ces animaux faméliques dépendants des humains. Touchés par le malheur de ces bêtes, ils se mobilisent dans toute la Martinique. Une dame âgée du Robert leur donne parfois juste du pain, car elle n’a pas d’argent pour des croquettes, des nourrisseurs traversent l’île tous les jours pour les nourrir, les soigner. Il n’y a pas un quartier où je n’ai entendu qu’une personne essayait de sauver ces animaux, souvent envers et contre tous, au risque de contraventions, de conflits de voisinage, de menaces, d’intimidations. Il existe deux textes de loi, le premier donnant « interdiction de nourrir » et le second « interdiction de laisser un animal en détresse sans nourriture » . Ils sont contradictoires et les mairies ignorent le second, ne permettant donc pas aux administrés de venir en aide à ces animaux.
Pour les municipalités le message semble être : « N’ayez pas de pitié, laissez les mourir de faim ou aller dans la commune d’à côté, nous sommes débordés, ce ne sont que des animaux ». Ceux-ci sont criminalisés et accusés de tous les méfaits, traités comme des nuisibles à éliminer.
6° Les donateurs, les organisateurs et les éducateurs :
Des associations, des adhérents, des bénévoles, des familles d’accueil, deux refuges ( un pour chats, un pour chiens) , des mécènes, (mais aucun acteur public) se mobilisent comme ils peuvent face aux empoisonneurs, aux tortionnaires, à l’indifférence. Les élus territoriaux qui pourraient aussi mettre en place des politiques actives et respectueuses restent muets, insensibles, voire hostiles. Ils ne cherchent, ne proposent pour la Martinique dont les consciences évoluent , aucune solution, même déjà existante dans d’autres territoires ou pays.
Tant de villes ailleurs dans l’hexagone se labellisent « Amie des animaux », « Droit des animaux », « Bien-être animal ».
En Martinique les chats et les chiens errants ne sont toujours pas considérés comme ayant droit à la vie et au respect. Ils sont « des prédateurs de troupeaux à éradiquer » affirme le représentant de CAP NORD à la réunion du 13 septembre 2024 pour la présentation de l’appel à projet pour la stérilisation.
Spécificité martiniquaise héritée de notre passé d’esclavage qui justifierait cette haine et indifférence envers les animaux ? L’argument est facile pour ne rien faire de plus. Manque de moyens financiers ? Renvoi de responsabilité entre les propriétaires et des pouvoirs publics ?
Mais preuve que la société avance, il y a aujourd’hui environ 30 cliniques vétérinaires en Martinique. Le droit animal sera désormais au programme de la rentrée 2024 pour les enfants du CP. Ces élèves verront l’éthique animale inscrite dans leur programme scolaire d’enseignement moral et civique (EMC).
Comment pourrons nous alors justifier aux enfants Martiniquais une telle situation faite d’ abandons et de violences, d’ indifférence et de mépris, d’irresponsabilités, de cécité et de surdité, de laxisme et de profitation ?
Julie Bessard, Adhérente AMDAC : Association Martiniquaise de Défense des Animaux de Compagnie