— Par Dominique Daeschler —
En Martinique depuis plus de deux décennies, Ange Bonello dont le verbe fleure bon son midi natal, sort de sa voiture une pile de housses colorées sous le bras.
Dernière idée du plasticien : transposer sur tissu les motifs et thèmes de ses peintures, histoire d’entrer chez vous en douceur, caché derrière un objet quotidien.
D Daeschler : Vous avez coutume d’annoncer de suite que vous êtes autodidacte. Autodéfense ? Provocation ?
A Bonello : je défends un parcours artistique à travers un parcours de vie. Ce n’est que depuis 2012 que je montre mon travail (galerie Colette Nimard). C’est ma première exposition en solo en 2015 galerie Arsenec baptisée « Arches » qui m’a décidé, grâce à son succès public à penser abandonner un métier à plein temps dans la restauration. J’ai pensé qu’une dynamique allait se mettre en place avec la profession, les lieux de diffusion.
Voir le site de l’artiste: Smart Art Angelo Bonello
DD : Ce n’a pas été le cas ?
AB : Non, il y a eu des reconnaissances de personnes qualifiées, des invitations mais j’ai continué ma route en solitaire.
DD : En allant plus loin dans la rencontre de la Caraïbe…
AB : Oui, il m’a paru indispensable de séjourner en Haïti, d’y rencontrer des artistes, de confronter mon côté Pop Art à l’influence du syncrétisme, à l’apport des religions. La ghetto-biennale et la participation en mars 2017 à une exposition collective (« 509 ») à Petionville ont changé mon regard. La résistance des artistes m’a aidé à franchir le pas, a affirmé mon cheminement.
DD : Quelle influence sur la création ?
AB : Je suis passé aux encres, au papier, au jeu avec la matière. Les premières performances avec la peinture datent de cette époque.
DD : Mais il fallait manger.
AB : Oui. Il fallait surtout partager et pour partager il fallait apprendre. J’ai passé le BAFA, suivi des stages avec Christophe Habeb. Je me suis lancé dans des ateliers de sensibilisation avec ce que jargon culturel appelle « les publics empêchés » et côté performance Annabelle Guérédrat m’a fait confiance pour le premier festival.
DD : En fait vous êtes un modeste « gonflé », vous osez…
AB : Ma culture n’est pas livresque, j’éprouve. En jetant mon corps dans l’espace, je transgressais, je disais avec ma culture kaléidoscope faite d’images grapillées çà et là, se superposant, cherchant instinctivement le sens. Ce passage par le corps a fait surgir des réminiscences d’enfance, de religion qui m’ont permis de rebondir, d’être dans le renouvellement.
DD : Comme si l’accès à un langage propre pouvait vraiment s’affirmer, se montrer,
AB : Je sais ce que je dis avec mon bric à brac. Je juxtapose des images et des situations. Je suis « un Photoshop manuel » !
DD : Est-ce à dire qu’au-delà du jeu ludique des couleurs, des personnages de comics, vous souhaitez que l’on prenne le temps d’une lecture plus approfondie de votre travail ?
AB : L’amusant n’est pas anodin. Il faut aller au-delà du décoratif, prendre de la distance à l’égard des personnages. Le monde d’aujourd’hui avec ses fakes news, ses publicités, ses vedettes de la politique et du show-biz parle sans cesse argent, consommation.
Le détournement de la Joconde, la sortir de son confort muséal, c’st la faire exister autrement, se dire qu’elle existe encore aujourd’hui. Le monde est fait d’addictions. Hier et aujourd’hui ce sont des tensions.
DD : Si le retour au Pop Art est une lecture du monde en pleine conscience d’une liberté débridée, quid de l’évolution sur les relais, les passeurs ?
AB : C’est toujours le point faible. L’Institution est opérante par rapport au marché de l’Art. Alors il faut créer ses propres outils. C’est le site internet (avec traduction en anglais) et tous ces objets que j’aurai l’humour d’appeler « produits d’appel » : les drops pop, les vachettes impertinentes, les coussins. Ma diversité est ma respiration artistique, facétieuse et gagne – pain.
Dominique Daeschler