— Par Michèle Arretche —
Difficile de suivre Ange BONELLO. C’est un artiste en mouvement perpétuel depuis que nous l’avons découvert à la galerie de Colette NIMAR en janvier 2012 ! Ses activités se déroulent sous nos yeux, en vidéo, en photos, en posts pluri quotidiens sur Facebook ou Instagram.
Et pour être plus mobile encore, en vue d’un départ toujours repoussé, voilà qu’il délaisse la sculpture, la peinture sur toile pour adopter le papier et l’encre de chine, à la plume, qu’il sait difficile mais noble et élégante.
Mon attention est soudain happée par ces dessins en noir et blanc qui naissent de sa main sous nos yeux et l’un d’eux particulièrement, celui dont nous allons parler, me conduit à prendre rendez-vous avec lui.
Me voici donc dans son atelier face à une pile d’une trentaine de feuilles Montval 300g, 29,7/42 cm.
Dans un bel équilibre plastique, bien centré au milieu de la feuille, un personnage mi-humain, mi-pantin, grosse tête petit corps est face à nous ; il nous regarde, les bras en croix, dans une posture de crucifixion.
L’artiste insiste sur le regard. Il nous révèle que c’est par les yeux qu’il commence son dessin, yeux très écartés, asymétriques donnant à son personnage un aspect avenant voire touchant malgré sa différence.
Ange a reçu une forte éducation religieuse, cela se sent dans tout son travail.
Son atelier, en fait une simple table face à la télévision, met l’artiste en contact permanent avec le pouls du monde.
Nous sommes en août 2016, la France est en plein psychodrame du burkini. La tragédie des migrants ne résonne t’elle pas en lui en raison de ses propres épopées familiales ?
Notre personnage va donc être doté d’une seconde peau, consubstantielle, reflet de son inconscient.
Très souvent chez Ange, en particulier dans ses sculptures que nous avons vues à l’exposition « ARCHES » à l’Atrium de Fort de France, salle André Arsenec en avril 2015, les personnages ont des choses sur la tête, plusieurs couches, sans doute leurs pensées. Ces édifices s’érigent verticalement jusque dans la stratosphère.
Ici le personnage est lié par les bras à cette construction qui est censée l’élever mais on le voit au fil des dessins, elle va plutôt le plomber. L’artiste exprime ainsi une dissociation symbolique. « Le bonheur est là, mais on n’y arrive pas ».
Restons dans la narration et faisons un arrêt sur image sur un dessin de cette série, celui qui m’a interpellé :
Notre petit bonhomme est surmonté d’un dais fleuri sur lequel se tient le couple de paysans de l’Angélus de Millet. On pense à toutes les reproductions de cette icône de la peinture populaire qui ornent les vieilles maisons traditionnelles de la Martinique ;
« L’Angélus est un tableau que j’ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l’angélus pour ces pauvres morts. » Jean-François Millet
Cela, bien sûr, fait écho à Salvador Dali, qui, fasciné par ce tableau, lui a consacré un livre entier « le Mythe tragique de l’Angélus de Millet ». Dali y écrit que les paysans figurant sur le tableau n’étaient pas simplement en prière suite à l’Angélus, mais qu’ils se recueillaient devant un petit cercueil. En 1963, sous son insistance, le Louvre fait radiographier le tableau, ce qui révèle, à la place du panier, un caisson noir, que le peintre surréaliste interprète comme le cercueil d’un enfant de 6 ans.
Dali ira plus loin : « il reprend le tableau de Millet selon son imagination, selon les pulsions qu’il perçoit. Il mêle l’érotisme aux thèmes paranoïaques tout en restant fidèle à sa technique picturale. Dans cette version de 1934, il reprend les deux figures en les introduisant dans un contexte mystique. On n’est désormais plus dans le réalisme de Millet mais dans l’imagination de l’artiste surréaliste qui semble avoir peint un paysage sorti de l’un de ses rêves. Il change le statut de l’homme en nous montrant son crâne, alors que la femme garde son statut primaire. Cela traduirait la position supérieure, voire prédatrice de la figure féminine, qui est décrite par Dali comme une « mante religieuse » prête à dévorer le personnage masculin. De plus, l’artiste donne forme à ses désirs sexuels car l’homme cacherait sous son chapeau une érection. Érection que nous retrouvons symbolisée par la brouette qu’il place au dessus du personnage masculin. » In Luca Pelliccioli : le surréalisme de Dali dans le monde artistique et diplomatique du XXème siècle
Mais revenons à l’Angélus d’Ange !
A l’arrière du couple on voit une tente et un « TITULUS » « WELCOME TO JUNGLE »
Nos paysans sont donc des migrants. Ils observent le sol et espèrent que cette terre sera un lieu d’ensemencement, que les liens entre les fleurs entraîneront des rencontres, un enracinement.
Mais c’est une terre qu’ils ne peuvent travailler, rien ne poussera dans cette jungle, l’arbre derrière la tente n’a ni feuilles ni fleurs, la boutique du camp ne vend que des savonnettes ou des cartes téléphoniques.
Sur le plan plastique on voit une sorte de tissu fleuri, rempli au pinceau à l’encre noire, les fleurs bien dessinées ressortent en négatif par le blanc du papier, reliées soigneusement les unes aux autres par une ligne blanche finement rayée, comme un réseau de cordages.
L’aspect de tissu est accentué par la façon dont ce dais est attaché soigneusement aux bras de notre malheureux pantin.
Mais l’artiste nous affirme qu’il ne s’agit en aucun cas d’un tissu, mais d’un morceau de terre, de sol, de planète issu de l’imaginaire du personnage, terre à laquelle il est obstinément lié. Il ne peut que subir le poids du monde.
Ce « Burkini – Dais – Planète – Charge » aux fleurs connectées va nous suivre encore quelques temps au fil des dessins, puis il va disparaître et laisser place à des végétations luxuriantes qui poussent à même la tête de notre « Pantin – Personnage – Ange Bonello ».
Avec un beau travail plastique, une grande précision graphique, pouvant faire penser aux dessins d’André MASSON revenant de la forêt d’Absalon avec Aimé CESAIRE et André BRETON, Ange nous entraîne dans son jardin secret.
Mais cet épisode d’une dizaine de dessins patients ne va pas durer ; je vous l’ai dit, il est difficile de suivre Ange BONELLO, il vole !
Brusquement la couleur va surgir, la jungle va redevenir tropicale et l’humour, la dérision viendront prendre le contre pied de cette parenthèse en noir et blanc !
Tout ce travail est à découvrir à la nouvelle édition de POOL ART FAIR MARTINIQUE, à Fond Rousseau SCHOELCHER, le dernier week-end de novembre 2016.
Michèle ARRETCHE, 24 septembre 2016