Illustration : Épidémie dansante de 1518
« Le virus est plus que jamais présent : il crée chez certains une angoisse perceptible, un visage douloureux chez d’autres, et aussi un insupportable sentiment de frustration devant le rétrécissement de la vie festive, voire devant l’amoindrissement de l’existence banale.
En 1941, Albert Camus lancé dans la perspective de son célèbre roman La Peste, écrivait un texte intitulé Exhortation aux médecins de la peste, qui loin d’être une martingale érudite, pose la question de l’attitude à avoir face à une épidémie. Bon sens et finesse constituent les marques des conseils avisés de l’écrivain-philosophe.
Il recommande aux médecins un certain nombre de précautions, ce que nous appelons aujourd’hui les gestes-barrières : ainsi le vinaigre à passer sur les mains correspond à la solution hydroalcoolique de nos jours, ne jamais regarder le malade en face afin de ne pas être dans la direction de son souffle et enfin de ne pas se placer dans le sens du vent pour les mêmes raisons. Camus insiste enfin sur un dernier point : « pour que le corps triomphe de l’infection, il faut que l’âme soit vigoureuse. » Donc on ne se débarrassera pas de l’épidémie sans une très haute et stimulante hygiène de l’âme. Et puisque, dit-il, « le fléau aime le secret des tanières », « portez-y la lumière de l’intelligence et de l’équité. » Exigence absolue.
C’est cette exigence qui fait défaut à un certain nombre de commentateurs qui, confortablement installés dans leurs fauteuils, se lancent dans des plaidoyers contre les mesures de protection visant à protéger les Martiniquais contre ce virus dévastateur tant d’un point de vue sanitaire qu’économique et social. Rien ne trouve grâce à leurs yeux, d’où dénonciations des couvre-feux, diatribes contre le confinement, réquisitoires contre les masques. Et il va de soi qu’ils n’ont en tête ni les dangers que représentent pour les autres les contaminés asymptomatiques ni le travail admirable mais harassant des médecins, infirmières et autres travailleurs des hôpitaux dans les conditions difficiles de notre CHUM.
Incapables d’une once de lucidité, ils réalisent la plus remarquable des réussites : le déni lié à l’existence même de l’épidémie. « Ce n’est qu’une petite grippe » ou « on manipule les chiffres », prétendent-ils. Leur idéologie dans ce domaine est à rapprocher de celle de Trump dont le journaliste Jean-Luc Hees souligne avec raison qu’il a fait de l’Amérique « un taudis moral et intellectuel.» C’est que ces esprits vides, inspirés souvent par les théories complotistes, vont chercher en primesaut leur trop-plein dans le mimétisme de ce qui se passe en Europe et, peut-être aussi, aux Etats-Unis.
Il convient de préciser que les poncifs et les indigentes contestations de ces irresponsables n’ont rien à voir avec les nécessités des propriétaires des petits commerces qui demandent, de manière légitime, de pouvoir recevoir leur clientèle avec l’exigence nécessaire. Ces propriétaires ne remettent pas en question les mesures de protection. Ils ont même quelquefois beaucoup investi afin d’assurer la sécurité de leurs clients.
Aujourd’hui, au-delà du fait de l’annonce d’un très prochain vaccin, n’oublions pas que la mondialisation et son corollaire, l’envahissement par les humains de certaines zones de la planète jusqu’alors réservées aux animaux et les contacts qui en découlent nous promettent d’autres coronavirus. Les chercheurs en prévoient au moins trois ou quatre à venir. Cela exige de nous une éthique sans faille. Autrement dit, une nécessaire hygiène de l’âme ».
André Lucrèce, Ecrivain, Sociologue