Rencontres pour le lendemain, Carte blanche à Jocelyne Béroard
— Par Mikaella Rojas Fanon —
Jocelyne, c’est d’abord une jolie fleur. Silhouette gracile qui émerge aux côtés d’un pianiste en route vers sa légende, et qui ravit nos sens en incarnant une fleur éprise d’un oiseau. Jocelyne, c’est la compassion sans limites qui fait appel à l’astre solaire, et qui réclame un peu de chaleur et de lumière pou…
Tjè a moun ka soufè
Tjè a moun ka pléré
(…)
Tjè a moun ki mové
Tjè a moun ki pa janmen enmé dan vi a yoi
Jocelyne, c’est notre Soleil en exil, celle qui sait parler à nos âmes endolories par la grisaille de cet endroit mystérieux qu’on appelle « Là bas ». Quand Jocelyne crie cet interminable « Yéééééééékrik !ii », au Zénith, le public qui lui répond sans faillir a, pour la plupart, quitté les Antilles depuis longtemps, et probablement jamais assisté à une veillée funèbre traditionnelle au pays. Certains, de plus en plus nombreux au fil des ans, sont même nés en France et comprennent à peine le créole. D’autres, étudiants fraîchement débarqués comme moi-même dans la froidure du pays de la personne, ne voient pas la fin de l’hiver. Pourtant, tous répondent en chœur à l’incantation rituelle. La voix de Jocelyne nous plonge au cœur de nous-mêmes, lors des grandes messes du Zénith.
Jocelyne, c’est aussi la voix retrouvée des femmes dans la musique. Avant elle, pendant quelques décennies, les femmes étaient plus souvent que rarement cantonnées au répertoire grivois et à quelques caricatures animalières.
Avec elle, elles réclament et obtiennent le respect en tant qu’artistes à part entière, chantent leurs aspirations nouvelles, et ne veulent plus être que des doudous.
Jocelyne reprend le flambeau de Léona Gabriel, ne se pose jamais en revendicatrice hargneuse, jamais contre l’homme, ou alors… tout contre lui, toujours avec amour, respect mutuel et poésie. Jocelyne nous chante l’homme rêvé, dous kon Siwoiii, s’abandonne à l’émoi amoureux avec une passion à chaque fois renouvellée. Parce que quand Jocelyne chante l’amour, van ka rété, lanmè ka pé, pou kouté, an chanson ki an tchè’y dépi lontaniv, épi ki ka ba nou bon frisson !
Jocelyne, c’est l’amour fusionnel, c’est l’amour qui nous emporte et nous fait chavirer, tutoyer les nuages :
Man dakô ba servolan fil pou i pé monté
Séré dèyè nuaj, jwé zwèl épi la linn
Dansé anlè zétwal é volé, volééééééév
mais c’est aussi l’amour lucide, celui de la femme qui n’oublie pas de rester elle même dans la relation amoureuse, qui sait interpeller son homme avec finesse et humour, et qui lui demande Sa ki tala ? quand son œil s’égare.
Jocelyne chante l’amour, dans ce qu’il a de sublime comme dans ses impasses, l’amour en tandem, dans Tan pivi ou un amour qui finit dans Débouya Sistèmvii, et quand elle évoque, toujours avec pudeur qui la caractérise, la douleur d’une rupture, cela devient Ké sa lévéviii, l’hymne national du Gwo Pwèl, comme elle aime à le dire.
Mais quand vient l’heure de la reconciliation, le trop plein d’amour déborde et se déploie dans la pleine puissance d’une sincérité bouleversante :
Pé ké pwan kat chimen pou palé ba vou, jòdi
Two lontan tjè an mwen ka fòlmanté
Toubonnman
É chak fwa nou ka bo pou di bonswa
Lésé lodé’w tou sèl ki rété la
Tout kò mwen ka élé an lannwit nwé-a
Rétéix
Jocelyne, c’est aussi toute la gouaille du parler créole, celle qui décrit une mauvaise journée en une phrase, une punaise sur laquelle elle marche en sortant de son lit du mauvais pied, et c’est tout un univers qui se dessine et dans lequel on se reconnait immédiatement. C’est notre rapport particulier à l’espace, notre manie culturelle de donner une adresse avec une imprégnation charnelle à notre géographie : ce n’est pas « Manman mwen ka rété tel koté », c’est :
Pran an papyé é an kréyon
Pou man pé ba’w an ki fason
Ou pé twouvé san ou garé
Koté manman mwen ka rété
Lè ou pasé bèlvédè-a
Viré a goch monté monn-la
Gran kaz blan an sé pòkò sa
Chèché tala ka soukwé ax
Jocelyne, c’est le fou rire des Milans, qu’on enchaîne avec les bonnes amies, surtout les bons amis, car les plus grandes makrelles, ici dans, ce sont surtout les makros. C’est le mariage de Jiloxi, où même Mysyé labé rivé an rita.
Jocelyne, c’est le jeu avec la langue, le jeu entre la langue et la vie de tous les jours, de tous les instants : ka ki ni, a bi abi, sé la vi, épi plézixii…
C’est aussi le lyannaj avec la Guadeloupe, des sonorités qui se forgent et qui empruntent l’une à l’autre au fil du temps et des bons moments passés ensemble. C’est une expression entendue au détour d’une soirée entre amis, et qui devient la goutt dèyè pô kô mannyéxiii. L’Autre vit toujours et à chaque instant dans le regard aimant de Jocelyne.
Et même s’il lui arrive de hausser le ton pour réclamer le respect, et de demander Pa Kriyé Mwen Chair laxiv, elle se ressource inlassablement dans l’optimisme et la foi en la vie. C’est celle qui vous dit :
Lévé Tèt Ou
Wouvè dé zyé’w épi gadé dwèt douvan’w
Gadé la ou ka machéxv
J’ai grandi avec Kassav’ et avec ta voix. Elle a accompagné mes premiers émois adolescents et mes premiers pas de femme. Mes interrogations, mes doutes, mes traversées du désert comme mes retours vers la lumière… Paske…
Dé lè man tou sel asiz an kabann
Mwen ka sonjé’w, sé’w mwen ka tann
Tou sa ki fè mwen monté désann
Mé an lavwa toujou di mwen pa fann
Epi bat lavi-ya pou aprann
Ki bonnè sé an bel flè ki pannxvi
Vwa tala, sé ta’w la ! Merci Jocelyne, de faire partie de nos vies, de faire partie de ma vie, dont tu chantes les hauts et les bas depuis aussi longtemps que je puisse m’en souvenir. Mèsy pou lymyè a !
Mikaella Rojas Fanon, St-Esprit, 15 mars 2016
Rencontres pour le lendemain, Carte blanche à Jocelyne Béroard
i# Soleil, 1980, repris par Jocelyne en 1987, dans l’album Vini pou
ii# Tim tim bwa sèk, album Zouk’ la (1984), interprété au Zénith en 1986
iii# Siwo, 1er album solo de Jocelyne (1986)
iv# Inspiré de Pa biswen palé, album JP Marthély & Patrick St-Eloi (1985)
v# Sa ki ta la, album Siwo de 1986
vi# 2ème album solo, Milans, 1991
vii# Album KASSAV Difé, 1995
viii# Album KASSAV Difé, 1995
ix# Anlè, album Milans, 1991
x# Kaye manman, album Siwo, 1986
xi# Jilo mayé, album Milans, 1991
xii# Kakini, album Milans, 1991
xiii# Kaye manman, album Siwo, 1986
xiv# Album All U Need Is Zouk, 2007
xv# Lévé tèt ou, album KASSAV Tékit izi, 1992
xvi# An limyè, 3ème album solo, Madousinay, 2003