— Par Selim Lander —
Molière a eu une carrière compliquée. Aussi talentueux qu’audacieux, il se heurtait fatalement aux jaloux et à tout ce que la France – en fait Paris – connaissait de conservateurs en tout genre. C’est miracle qu’il ait, bon an mal an, bénéficié de la faveur d’un monarque absolu comme Louis XIV. Néanmoins, quand il avait lancé dans le public une pièce sujette à controverse, comme ce fut le cas du Tartuffe, il était opportun de calmer le jeu avec une comédie qui ne pouvait choquer personne.
Tel fut le cas d’Amphitryon, conte mythologique qui raconte les amours de Jupiter avec une humaine, Alcmène, fort éprise de son mari Amphitryon. Jupiter profite du départ d’Amphitryon à la guerre pour prendre son apparence et se faire aimer d’Alcmène. Il est accompagné de Mercure qui prend, quant à lui, l’apparence de Sosie, le valet d’Amphitryon, et qui est chargé d’empêcher que les amours du dieu des dieux ne soient perturbées par le retour intempestif du guerrier ou de son véritable serviteur.
Tel est l’argument d’une pièce dont on devine que le ressort principal tient à l’incertitude dans laquelle se trouvent soudain plongés Amphitryon et son valet à partir du moment où ils se découvrent « doublés » – à tous les sens du terme – par un inconnu. Incertitude et quiproquo pour les comparses, à commencer par Alcmène qui ne comprend pas pourquoi son vrai mari (le général Amphytrion) se comporte si différemment à son retour du faux (le dieu Jupiter).
La pièce est écrite en vers (7, 8 ou 12 pieds) et en rimes variables. On a plaisir à écouter les alexandrins prononcés sinon comme du temps de Molière (ce font il faut se féliciter) mais en respectant (discrètement) les diérèses, évitant ainsi (sauf en quelques occasions qui s’entendent immédiatement) des vers boiteux.
Le décor est plutôt réussi sur le plan esthétique : une estrade qui remplit la plus grande partie de la scène représente la terre, tandis que des mobiles suspendus constitués de sphères de diverses tailles évoquent l’univers des dieux. Le début de la pièce se déroulant chez les dieux, les mobiles sont baissés au niveau de l’estrade ; ils remontent ensuite pour dégager la vue sur la terre. Tout cela est cohérent, comme il est incongru, au contraire, à la fin, de faire disparaître Jupiter et Mercure dans une trappe au lieu de les enlever vers les cintres comme le faisait Molière.
Qu’est-ce qu’on attend au théâtre ? Nous l’avons déjà écrit mille fois (enfin presque !). Répétons-le pour ceux qui n’ont pas coutume de nous lire : un bon texte + une bonne mise en scène + de bons comédiens. Cela n’est pas facile à réunir, dira-t-on ? Peut-être, sauf pour le premier point : les répertoires classiques comme modernes abondent de chefs d’œuvre. Amphytrion fait-il partie des chefs d’œuvre de Molière ? Pas que l’on sache. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas le monter aujourd’hui. Il peut y avoir en effet un intérêt historique à montrer des pièces anciennes peu connues, surtout quand elles émanent d’un auteur éminent dont les textes oubliés suscitent la curiosité. Qui ne voir cependant le risque que cela présente ? Tout le monde ne manifeste pas un intérêt passionné pour l’histoire du théâtre : si l’on offre aux spectateurs un texte non exempt de faiblesses, le metteur en scène et les comédiens auront beau faire, beaucoup seront déçus. Or qu’est-ce qu’une comédie qui traîne en longueur (au début) et où l’on ne rit pas, ou fort peu (tout au long) ? Les applaudissements, à la fin, ne trompent pas : s’ils furent, certes, polis, ils ne cachaient pas une certaine déception.
Rien à redire du jeu des acteurs. On leur a su gré de « bouler » quelque peu les trop longues explications du prologue. Sinon, ils ont dit les vers agréablement, comme déjà noté. On a apprécié également les déplacements sur le plateau, les interruptions meublées par deux chansons en off, la belle prestance d’Alcmène et de ses deux époux (le vrai comme le fou) et le comédien qui joue Sosie pour son talent comique.
En tournée à Tropiques Atrium le 29 avril 2016. M.e.s. Guy Pierre Couleau.