— par Roland Sabra —
Une mise en scène de Vincent Goethals
D’après « Amour, Colère et Folie » de Marie Vieux-Chauvet
Adaptation José Pliya
Le projet est original et séduisant. A partir d’un roman « Amour, Colère et Folie » de l’auteure haïtienne Marie Vieille-Chavet il s’agit de confier à trois metteurs en scène la charge de présenter un des volets de ce triptyque. José Plya, directeur général de l’Archipel, Scène nationale de Guadeloupe est chargé de l’adaptation et c’est le metteur en-scène français Vincent Goethals à qui est revenu l’honneur d’inaugurer la série avec « Amour. », joué les 17 et 18 novembre 2007 à Fort-de-France à l’Atrium.
Le roman « Amour, Colère et Folie », découvert par Simone de Beauvoir, est édité en 1968 et aussitôt interdit de parution en Haïti par Duvalier. Devant les menaces on ne peut plus précises, La famille de l’auteure n’hésite pas à racheter les exemplaires déjà vendus et à les détruire et obtient de l’éditeur la suspension de la vente avant de racheter là aussi le stock quelques années plus tard.
Il faut dire que le livre est une dénonciation du régime de violence et d’oppression, de compromis nécessaires et de lâchetés, de courage et de veuleries engendrés par un univers dominé par la folie et l’arbitraire.
Née en 1900,Claire est donc la sœur aînée « mal-sortie », un peu trop noire donc, d’une famille de l’aristocratie mulâtre. Elle a deux sœurs, qui contrairement à elle ont la peau blanche.
Toujours vierge à 39 ans, Claire, s’achemine vers une vie de vieille fille, quand est arrivé de France le séduisant Jean Luze pour épouser Félicia, la soeur cadette. Sitôt vu, sitôt élu objet d’ «hainamoration» il devient la plaque projective des fantasmes sexuels inassouvis de Claire.
Une des forces du roman est de mêler et d’entremêler au plus intime de l’expérience, haine la plus féroce et passion extrême, déterminismes individuels et déterminismes politiques. On ne saura jamais dans l’assassinat qui clôt le roman ce qu’il en est du geste passionnel et du geste politique, le « macoute » éliminé était lui aussi un objet d’investissement libidineux. Marie Vieille-Chavet décrit admirablement toutes les ambiguïtés, politiques, sociales raciales de la classe mulâtre, ni blanche, ni noire mais profondément aliénée à des modes de représentations directement issus du colonialisme.
Voilà ce que josé Plya à essayé d’adapter pour que Vincent Goethals tente de le représenter sur scène.
Sur la gauche de la scène un fauteuil à partir duquel Claire en se levant pourra observer à travers des persiennes ce qui se passe dans la rue. Sur la droite un micro de music-hall. Il y a des modes comme ça au théâtre. Cet automne à Paris, Eva Vallejo et Bruno Soulier dans un texte de Patrick Kermann « Mastication des morts » au Rond-Point et Joel Pommerat dans « Je Tremble » aux Bouffes du Nord utilisaient le procédé.
Au milieu de la scène un paravent blanc mobile en forme de S va servir de toile de projection aux images du vidéaste guadeloupéen, JanLuk Stanislas censées prendre le relais de la parole de Claire quand celle-ci évoque la situation politique et sociale d’Haïti.
Si le passionnel et le politique sont étroitement intriqués ils n’en n’existent pas moins à titre séparés. Il y a donc chez Claire au moins deux niveaux de discours, chaque niveau étant lui-même traversé de contradictions. Amour et haine, progressisme révolutionnaire et conservatisme réactionnaire. C’est là toute la difficulté de représentation à laquelle s’est heurté le metteur en scène. La violence sociale et politique sera imagée par une avalanche et une accumulation d’effets visuels et d’effets sonores qui frôleront plus d’une fois la démesure. Quant à la représentation des tourments sexuels et métaphysiques de Claire c’est un danseur au corps toujours désaxé, parfois nu, qui s’y collera. On le devine facilement, vidéaste et danseur sont utilisés comme illustration et viennent souligner par là-même ce que le metteur en scène n’a pas pu, n’a pas su restituer du roman de Marie Vieux-Chauvet.
La visée de cette surenchère sonore et visuelle est donc d’en jeter plein la vue , et les oreilles, au spectateur quitte à verser dans l’esbroufe et le leurre ou peut-être de compenser ou détourner l’attention de la faiblesse de l’interprétation de la comédienne Magali Comeau Denis, que l’on avait déjà vu, un peu en difficulté dans « Voisins Complices » où elle était confrontée à la présence massive de Syto Cavé. Outre le fait qu’elle butait régulièrement sur le texte et mangeait un peu trop souvent les mots elle a, par une palette de jeu assez étroite, versé dans une hystérisation du rôle de Claire et l’a réduit à celui d’une pasionaria introvertie et frustrée. A la fin de la pièce, comme si la bande son et les images ne suffisaient pas, le micro sera requis pour amplifier et souligner la dramaturgie du soulèvement populaire. La dimension cynique de froide calculatrice machiavélique, si elle est évoquée n’est pas incarnée, si l’on peut dire. La complexité du personnage est escamotée au profit d’une outrance scénique. Mais ses excès, ses cris, ses rages, sont en parfait accord avec le déversement sonore et visuel, l’ensemble de cette stratégie étant très clairement (!) de la jouer à l’épate. Et ça marche! Le spectacle s’est terminé par une ovation debout!
Si l’on peut se laisser prendre à ce théâtre de « m’as-tu-vu » qu’il soit permis de dire que ce battage, un peu grandiloquent est inutile et que le plaisir de lire le texte ou de l’entendre simplement mis en voix, est infiniment plus intense.
A vouloir trop en faire on manque l’essentiel ou si l’on préfère, on sait qu’en matière d’amour qui trop embrasse mal étreint.
Fort-de-France le 17-XI-07