— Par Myriam Cottias, présidente du Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage —
L’année 2016 ouvre une nouvelle décennie pour le Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage (CNMHE). Créé en 2006, à la suite de la loi du 10 mai 2001 déclarant l’esclavage atlantique et dans l’Océan indien crime contre l’humanité, les trois comités qui se sont succédés, présidés par Maryse Condé puis Françoise Vergès et moi-même, ont ouvert des voies de réflexion mais aussi permis des réalisations très concrètes.
Récit national et reconnaissance
Plutôt que de demeurer dans le registre de l’accusation ou de la victimisation, le CNMHE, depuis 2013, a oeuvré très concrètement. Il a poursuivi son action pour faire reconnaître l’histoire de la déportation de près de 13 millions d’êtres humains et celle de l’esclavage, des esclaves non pas comme histoire marginale mais comme histoire de France, motrice de son développement économique, politique, social ; partie prenante de l’élaboration des valeurs politiques de la République française ; ciment, malheureusement, des préjugés, des discriminations et du racisme.
Faire reconnaître l’histoire, transmettre le savoir, diffuser les connaissances, valoriser les initiatives citoyennes, fédérer les différentes mémoires autour de la commémoration de l’esclavage, voilà les mots d’ordre principaux du CNMHE.
Cartographier les actions citoyennes
Après la création du site sur tous les lieux de mémoire et d’histoire sur le territoire français et dans l’ancien empire français (www.esclavage-memoire.com), l’une des premières actions pour valoriser les différentes dates de commémoration de l’abolition de l’esclavage, a été de créer le « Mois des Mémoires de l’Esclavage et des Combats pour l’Egalité (27 avril-10 juin) » . Pour cette deuxième édition, près d’une centaine d’événements répartis sur toute la France (Ile-de-France comme Martinique, Guadeloupe, Guyane…) et des manifestations à Londres, Dakar et Chicago, ont répertoriés sur le site www.esclavage-memoire.com. Contrairement à ce que l’on peut entendre ici ou là, quelque soit la date, la commémoration devient une pratique officielle et… citoyenne, avec succès (plus de 30% d’augmentation depuis 2015)!
Pour instaurer le dialogue à partir d’essais, d’ouvrages de littérature, d’histoire sur les Antilles, l’Afrique, les Etats-Unis, confronter les visions avec un large public, le CNMHE a créé pour cela « les Rencontres citoyennes » qui ont réuni plus de 2 000 personnes depuis le lancement en 2014, le plus souvent à Paris mais leur vocation est de se tenir sur tout le territoire ; c’est une nécessité.
Enseigner l’esclavage : la flamme de l’égalité
La convergence des volontés de transmission et de réflexion sur les héritages contemporains de cette histoire tragique a permis au CNMHE de construire le concours pédagogique national « La Flamme de l’Egalité » suggéré par la ministre des Outre6Mer, avec l’appui de l’Education nationale et la fédération de Paris de la Ligue de l’enseignement. C’est un moment historique : pour la première fois, un concours est entièrement dédié aux questions de traite, d’esclavage, des abolitions et de leurs héritages! Dorénavant, chaque année, les classes seront sollicitées pour construire un projet pédagogique (vidéo, livre, poème, musique…) sur le sujet. La première édition sur le thème des « Récits de vies : Restituer la voix des acteurs et des témoins de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions » , a rassemblé une centaine de classes-plus de 2 100 élèves-provenant de 16 académies en Île-de-France, en région et dans les outre-mer. Quatre prix (dont un attribué au collège Paul Kapel de Cayenne) et une mention spéciale (à l’unité locale d’enseignement de Fleury-Mérogis pour leur création intitulée « la société des détenus sans race » ) ont été décernés lors du dernier 10 mai, dans les Jardins du Luxembourg par la présidente du CNMHE, les ministres et le président de la République. C’est un grand succès qui a dépassé toutes nos attentes et qui doit être poursuivi pour que l’histoire de l’esclavage « fasse France » , soit vraiment histoire de France, c’est seulement à cette condition que nous pourrons construire les conditions d’une égalité, pleine et entière.
Perfectionner l’outil du CNMHE
Voilà nos réalisations principales, et c’est en faisant le bilan et en constatant l’étroitesse institutionnelle du CNMHE que, depuis un an, nous avons construit le projet de « Fondation pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage » qui a été annoncée par le président de la République le 10 mai dernier.
Telle que le CNMHE l’a définie, elle constituera une structure de médiation, un carrefour de rencontres d’opinions et d’initiatives diverses : elle impulsera des réflexions sociétales autour de questions « sensibles » ; elle créera des actions fédératives et consolidera un maillage citoyen du territoire ; elle relaiera les actions et les initiatives de mémoire et d’histoire ; elle soutiendra et valorisera la création artistique (en partenariat avec les structures déjà existantes) ; elle nouera des partenariats institutionnels au niveau national, européen et international ; elle soutiendra la recherche et la formation à tous les niveaux.
À l’heure où d’importantes structures de médiation sont créées à l’international (comme le International Slavery Museum de Liverpool, la parade annuelle d’Amsterdam « Keti-Koti » [chaînes brisées], et le Black Heritage Amsterdam Tour) ou vont l’être (comme le National Museum of African-American History & Culture au sein du complexe muséal national du Smithsonian de Washington), la « Fondation pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage » permettra de capitaliser, sur le sol hexagonal, toutes les initiatives de mémoire et d’histoire impulsées à la fois par l’État, les collectivités territoriales, les associations et les citoyens, pour que la marginalité des questions de l’esclavage et de ses conséquences -comme les discriminations et le racisme- se dilue. C’est un projet ambitieux qui est lancé! ; c’est le hurlement d’Aimé Césaire dans Moi Laminaire : « vous n’avez pas le droit de laisser couper le chemin de la transmission » . Une condition : que les projets sur l’histoire et la mémoire de l’esclavage soient réellement inscrits dans une réflexion politique .
Myriam Cottias, présidente du Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage