Amadeo, Tania, Rafa et les autres… ou le déclin du rêve cubain

— Par Roland Sabra —

retour_a_ithaqueSix ans après Entre les murs , Palme d’or au Festival de Cannes en 2008, deux ans après Foxfire, confessions d’une bande de filles, Laurent Cantet nous offre avec Le Retour à Ithaque un petit bijou à l’ironie amère.
A l’occasion du retour d’Amadeo, un copain d’enfance, exilé à Madrid pendant 16 ans ses amis Tania, Eddy, Rafa, et Aldo organisent une petite fête sur les toits de La Havane. On pense très vite à « Vincent, François, Paul et les autres » (1974!) ou encore au film québécois «Le déclin de l’empire américain» (1986) pour découvrir tout autre chose. Laurent Cantet nous emmène loin des affres sentimentaux du film de Claude Sautet ou des tourments de la vie sexuelle de celui de Denys Arcand. Du moins si la nostalgie d’une adolescence est bien présente, elle l’est sur une toile de fond qui progressivement va prendre le pas sur la narration première et devenir le sujet même du film⋅ L’évocation des souvenirs de jeunesse, des amoures défaites à peine ébauchées, des exaltations vite évanouies va laisser place à une tension dramatique insoupçonnée⋅ Les héros ne sont pas ceux que l’on croît et il est des « salauds » tout à fait admirables. Le dévoilement de la réalité des personnages et de leurs motivations va se faire crescendo dans un cocktail  ou se mêlent la tendresse, la rancœur et la violence des illusions perdues. Pourquoi Rafa a-t-il versé dans l’alcoolisme. Pourquoi refuse-t-il de reprendre ses pinceaux ? Pourquoi Tania a-telle consenti à voir partir ses enfants en exil ? Pourquoi Aldo, de retour d’Angola où il a découvert la corruption des généraux, refuse-t-il d’abandonner le régime ? Par quels cheminements Eddy est-il devenu un apparatchik véreux et aujourd’hui menacé de disgrâce? Pourquoi Amadeo est-il parti, pourquoi n’est-il jamais revenu ? Comment a-t-il pu laisser sa femme mourir d’un cancer à La Havane sans être à ses cotés ?

Écrit en collaboration avec l’écrivain Leonardo Padura. Retour à Ithaque est un film très théâtral, unité de lieu avec les toits-terrasse de La Havane et unité de temps avec un début en soirée et la fin au petit matin. Plus que la dénonciation des rouages de toutes les dictatures, qui tiennent la population en l’incitant aux entorses à la loi pour mieux l’assujettir, c’est le mécanisme de l’engagement politique qui en filigrane est démonté. Il repose sur une pensée adhésive qui fait fi de l’analyse rationnelle. Un mot revient comme un leitmotiv sur les lèvres des personnages pour tenter de comprendre le pourquoi et le cheminement de ce parcours de vie : croyance. Ils ont crû aux lendemains qui chantent, ils ont crû qu’ils allaient changer le monde, ils ont eu la foi dans la révolution. Trompés, trahis, désillusionnés, ils sont aujourd’hui désarmés et impuissants devant le présent de leur pays « ce truc bizarre qui ne sait pas où il va » comme le dit Rafa. La confrontation avec les projets d’avenir de leurs enfants, qui les regardent comme des dinosaures n’est pas la moindre de leurs défaites.

Avec peu d’images de La Havane, si ce n’est le Malecon, le vrai, pas ce ridicule ersatz foyalais, des immeubles en décrépitude, une scène d’égorgement d’un cochon élevé en appartement à la façon « Manteca » d’ Alberto Pedro Torriente (mise en scène de Ricardo Miranda à Fort-de-France), la caméra fait surgir l’émotion quand elle s’attarde sur les visages en gros plans, sur les silences des personnages contemplant la ville qui s’agite dans les poussières nocturnes d’une révolution qui s’effondre.

Le film initialement prévu au festival de La Havane le 04 décembre 2014 a été déprogrammé. Allez savoir pourquoi?

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Film de Laurent Cantet a été écrit en collaboration avec Leonardo Padura.
Titre français : Retour à Ithaque
Réalisation : Laurent Cantet
Pays d’origine : Drapeau de la France France
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h32
Date de sortie : 2014

Distribution

Néstor Jiménez : Amadeo
Isabel Santos : Tania
Fernando Hechevarria : Rafa
Pedro Julio Díaz Ferran : Aldo
Jorge Perugorría : Eddy
Carmen Solar : la mère d’Aldo
Rone Luis Reinoso : Yoenis, le fils d’Aldo
Andrea Doimeadios : Leinada, la petite amie de Yoenis