Le Théâtre Aimé Césaire a ouvert ce mercredi, en beauté et en sourires, sa saison 2015-2016. C’est à Regardez mais ne touchez pas !, courte pièce méconnue de Théophile Gautier, qu’est revenu cet honneur. Cette comédie de cape et d’épée en trois journées, représentée pour la première fois à Paris en 1847, et jamais rejouée depuis sa création, fut rééditée en 2011 à l’occasion de la mise en scène de Jean-Claude Penchenat pour la Compagnie Abraxas.
La pièce prend comme point de départ une réalité historique : nous sommes au temps de Philippe V d’Espagne, qui a bien épousé en secondes noces Élisabeth Farnèse, nièce du duc de Parme, et dont le premier ministre évoqué dans le texte se nomme en effet Giulio Alberoni. Bien qu’il ait concerné l’épouse précédente, Marie-Louise de Savoie, l’incident sur lequel s’ouvre l’intrigue est relaté dans le Dictionnaire de la conversation et de la lecture, inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous :
« Une loi bizarre défendait en Espagne de toucher à la souveraine. Un jour la jeune reine étant tombée de cheval, et son pied s’étant engagé dans l’étrier, fut entraînée dans la cour du château. On trembla pour sa vie. Mais la loi condamnait à mort tout homme qui oserait toucher la reine. Deux nobles Espagnols se déterminèrent néanmoins à exposer leur vie pour sauver ses jours ; il arrêtèrent le cheval, dégagèrent le pied, et prirent la fuite. Marie-Louise, revenue à elle, demanda ses libérateurs ; on lui expliqua tout, et elle fut obligée d’obtenir leur grâce pour les remercier. »
Mais sur cette toile de fond, historique et géographique—l’Espagne est suggérée par la musique, par le choix du rouge et du noir, et par des éléments de costume immédiatement reconnaissables, éventails, peignes, capes—Théophile Gautier brode un réjouissant pastiche, parodiant allègrement et avec truculence, tout en leur rendant hommage, le roman de cape et d’épée autant que le drame romantique à la Hugo. Sont convoqués des ressorts auxquels le théâtre nous a habitués, le quiproquo par exemple, le faux-semblant, la verve d’un personnage dit secondaire mais en quelque sorte aussi meneur de jeu, ici la camériste de la reine, etc.
La belle originalité de ce spectacle tient à la modernité de la mise en scène de Jean-Claude Penchenat. Un décor minimaliste, en fond de scène, mur gris ouvert de plusieurs arches, permet des entrées-sorties virevoltantes, un peu à la manière du théâtre de boulevard traditionnel mais sans portes qui claquent, et le personnage s’y montre ou s’y dissimule. Trouvaille astucieuse, un personnage supplémentaire, Désiré Reniflard, tiré du Voyage en Espagne de Théophile Gautier, vient présenter la pièce avant qu’elle ne débute. Il restera sur le plateau tout au long du spectacle, intégrera les didascalies au déroulement de l’intrigue, sera tout à la fois régisseur, souffleur, accessoiriste, bruiteur, caricatural joueur de castagnettes, ou encore figurant drolatique sous le casque de l’alguazil. Il réprimandera, avec une pointe d’agacement, et de façon fort injonctive, les acteurs afin qu’ils prononcent correctement les termes espagnols ou qu’ils se dirigent à l’endroit convenu, entraînant alors le rire complice d’un public conquis. Cette figure inventée par le metteur en scène apporte la distance nécessaire au spectateur, qui goûte ainsi toute l’ironie du propos, de même que certains clins d’œil, regards appuyés, ou tirades dites face au public sans regarder le protagoniste auquel elles s’adressent sans pour autant être des apartés, tissent le lien entre la salle et le plateau. Et l’on se souviendra aussi, un brin émus, des films de cape et d’épée aujourd’hui majoritairement tombés en désuétude, du feuilleton Zorro sur l’écran de télévision, ou des jeux et duels à l’épée de bois de notre enfance.
L’aspect chorégraphique ajoute encore au plaisir de la représentation, élégantes envolées de capes, frappes de pieds en cadence sur la scène, déroulés habiles et brusques d’éventails, ballet rythmé des entrées et sorties par les arches du mur. Ainsi se mêlent dans cette représentation la grâce et le burlesque. Et si le texte ne m’a pas particulièrement enthousiasmée, il est des répliques qui donnent le ton et que je ne suis pas prête d’oublier, ainsi : « Alors je ne vois pour vous d’autre position sociale qu’amoureux, c’est un état nocturne et ambulant », ou : « — À propos… est-elle jolie ? — Elle a des armoiries charmantes. », et encore : « — L’échafaud vous attend… — Oui, mais je ne l’attends pas, moi… je me sauve au plus vite ! »
Merci donc à ce spectacle qui nous a permis d’oublier, l’espace d’une soirée, les vicissitudes du temps !
Fort-de-France, le 08/10/2015