— Par Pauline Rouquette —
En France comme dans la plupart des pays – notamment européens -, l’allaitement dans les lieux publics n’est pas illégal mais demeure encore une pratique taboue. Un phénomène qui s’explique principalement par des mœurs patriarcales contre lesquelles s’élève une nouvelle génération de mère allaitantes pour qui donner le sein relève de plus en plus de l’acte militant.
Dans un zoo, une agence Pôle emploi, dans les musées du Louvre et d’Orsay, ou encore dans un parc d’attractions… Depuis que la femme est femme, elle allaite. Mais en 2023, en France (et ailleurs), cette vision dans l’espace public fait débat. Accablées, rejetées voire agressées, on leur indique aussi parfois le chemin des toilettes.
Trente-trois ans après la déclaration d’Innocenti (1er août 1990) pour la protection et la promotion de cette pratique, l’allaitement maternel exclusif est pourtant toujours considéré comme le meilleur régime alimentaire pour tous les nouveau-nés et les nourrissons. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) elle-même recommande un allaitement maternel exclusif jusqu’à l’âge de six mois et la poursuite de l’allaitement (avec une alimentation complémentaire appropriée) jusqu’à 2 ans ou plus.
Or, les études ont montré que l’acceptation de cette pratique est très variable, même lorsqu’elle est protégée par des lois. La présence ou l’absence de législation protectrice est un facteur qui a un impact, et l’attitude négative envers l’allaitement en public est souvent considérée comme responsable des faibles taux d’allaitement dans différentes parties du monde.
« Couvrez ce sein… » (surtout en France)
En France, la loi ne régit pas l’allaitement dans les lieux publics. Mais ce qui n’est pas interdit étant autorisé, les mères peuvent donc allaiter dans des lieux publics aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, quand elles le souhaitent.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, la France a le taux d’allaitement le plus bas au monde, autour de 70 % depuis le milieu des années 2000 (contre 76 % pour le Royaume-Uni, et 74 % pour les États-Unis). Et si le pays a le taux d’allaitement le plus bas dans le monde occidental, il est également parmi les moins tolérants (dans les faits) à l’allaitement public.
En juin 2021, une proposition de loi visant à créer un « délit d’entrave à l’allaitement » avait été déposée en juin par l’ex-députée Fiona Lazaar (LREM) afin de sanctionner « toute personne voulant interdire à une femme d’allaiter ». Mais elle n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
En 2013, une étude de YouGov America affirmait que les femmes françaises étaient les moins tolérantes à l’égard de l’allaitement en public avec 40 % des Françaises qui estimaient que cette pratique était généralement inacceptable, (contre 26 % des Américaines, et 18 % des Britanniques).
« Cette vision très négative de l’allaitement est caractéristique de la France », affirme Anne-Florence Salvetti-Lionne, autrice de « Mes seins, mon choix ! » (Eyrolles, 2022), qui explique l’histoire « compliquée » qu’entretient la France avec l’allaitement par le taux de mortalité très élevé (jusqu’à la Première Guerre mondiale) lorsque les enfants étaient envoyés chez des nourrices qui les allaitaient.
« On a associé l’allaitement à la mort, puis on a eu accès à des laits pasteurisés et des contenants qu’on pouvait stériliser pour nourrir les bébés sans risque », poursuit-elle. « Même si on ne le sait plus, on a gardé en mémoire cette idée d’allaitement associé à la mortalité, et du biberon associé au sauveur ». Si les voisins européens de la France ont eux aussi eu recours aux nourrices, cela a duré moins longtemps (jusqu’à la moitié du XIXe siècle), compare l’autrice.
Désexualiser le sein
Le regard porté par la société sur le corps de la femme demeure le principal frein à ce que les femmes donnent le sein dans l’espace public.
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