— Par Noureddine Boukrouh —
« Le tigre d’aujourd’hui est identique à celui d’il y a six mille ans,
parce que chaque tigre doit recommencer
à être tigre comme s’il n’y en avait jamais eu avant lui.
L’homme n’est jamais un premier homme ;
il ne peut commencer à vivre qu’à un certain niveau de passé accumulé.
L’important, c’est la mémoire des erreurs ; c’est elle qui nous permet de ne pas toujours commettre les mêmes.
Le vrai trésor de l’homme, c’est le trésor de ses erreurs»
(José Ortega Y Gasset).
Dans les années soixante-dix les Algériens regardaient au-dessus et autour d’eux pour estimer au jugé la distance qui les séparait de nations plus avancées qu’eux ou de niveau comparable. Il y en avait peu en Afrique, dans le monde arabe, notre voisinage et même le sud de l’Europe. Aujourd’hui nous regardons au-dessous et derrière en nous demandant s’il y a plus bas sur les degrés de l’échelle ou plus retardataire pour fermer la marche du convoi humain en ce troisième millénaire. Il n’y en a pas, les peuples Burkinabé et Burundais, pauvres parmi les plus pauvres de la planète, étant passés devant.
Les annales de l’Histoire témoignent du phénomène à travers les temps et les lieux : nul n’est prophète en son pays. Les vrais prophètes plus que les faux et les penseurs visionnaires plus que les démagogues ont eu à le constater parfois au prix de leur vie. Mais si on a pu les bannir ou les tuer, on n’a jamais réussi à faire de même avec leurs idées qui ont fini par être reconnues comme vraies chez eux et ailleurs.
Le penseur algérien Malek Bennabi a utilisé pour la première fois la notion de « colonisabilité » dans son livre « Discours sur les conditions de la renaissance algérienne » paru à Alger en février 1949. Confondant entre analyse de la mécanique sociale et slogans politiques revendicatifs les partis du mouvement national y ont vu une trahison de la cause nationale et dressé un bûcher à son intention. On retrouve les minutes du procès en sorcellerie ouvert jusque dans la Charte d’Alger de 1964.
Si tout le monde connait la notion de « colonisabilité », peu en ont saisi la profondeur réelle à l’image de la « relativité » d’Einstein dont nombreux sont ceux qui en parlent et rares ceux qui peuvent l’expliquer. On croit même qu’elle est liée à une période révolue de l’histoire des peuples colonisés et qu’elle a disparu avec leur accession à l’indépendance. C’est vrai dans le cas des peuples burkinabé et burundais, faux dans le nôtre.
On n’est pas colonisé parce qu’on s’est trouvé au mauvais endroit et au mauvais moment comme aiment dire les Américains, mais seulement si on est colonisable ; si on présente les signes avérés de la « colonisabilité » qui est une pathologie mentale, culturelle et sociale rendant une communauté éligible à la colonisation qui peut être durable et récurrente comme dans le cas algérien, ou ne pas avoir lieu par pur hasard comme dans le cas du Yémen, de l’Afghanistan ou des peuplades de la forêt amazonienne et de la savane africaine.
Lire : Pensée de Malek Bennabi: “La colonisabilité “
Il y a des séropositifs qui portent le virus du sida mais à l’état latent, et des constructions sociales et immobilières qui donnent l’impression d’être éternelles jusqu’à la première secousse sérieuse. On l’a plusieurs fois vu chez nous que ce soit en matière d’immeubles (tremblement de terre de Boumerdès) ou de systèmes sociaux (socialisme de Boumediene, libéralisme de Chadli, islamisme du FIS).
Le colonisateur n’est pas un chômeur de l’Histoire à la recherche d’une occupation lucrative ou un sadique faisant le mal pour le mal; il ne va pas là où il y a des êtres colonisables mais uniquement là où il y a des richesses à piller ou une position stratégique à prendre. Jouant de malchance, nous avons toujours possédé les deux. Et comme pour nous punir de n’en avoir rien fait à notre propre usage à travers les âges, l’Histoire s’est souvent amusée à orienter vers nous les pas de congénères qui savent saisir les opportunités en se faisant payer directement sur la bête (Phéniciens, Romains, Turcs, Français) ou contre monnaie sonnante et trébuchante (entreprises et main-d’œuvre étrangères opérant dans notre pays).
Les Algériens se sont libérés du colonialisme à la faveur d’une conjonction de facteurs endogènes et exogènes après avoir connu le déshonneur d’être le premier pays arabo-musulman à être occupé par une puissance occidentale, l’unique à avoir connu une colonisation de peuplement, et le dernier à obtenir son indépendance.
Le problème n’est plus là, certes, mais sommes-sûrs de ne pas être colonisés une autre fois, un jour, après les mandats de Boutef, le pétrole et le gaz de schiste ? En d’autres termes, sommes-nous guéris de notre « colonisabilité » comme peuvent s’en vanter les peuples burkinabé, burundais et d’autres ? Ceux-là sont guéris même s’ils restent pauvres car la psychologie du colonisé, du colonisable, de l’indigène est morte en eux, ils l’ont tuée ; ce sont désormais des citoyens….
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le 16 mai 2015,