— Par Jean-Marie Nol —
L’économie guadeloupéenne traverse une période particulièrement difficile, marquée par une dégradation générale des indicateurs économiques. Les données communiquées par l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM) pour le troisième trimestre 2024 confirment une détérioration du climat des affaires et un ralentissement de l’activité dans plusieurs secteurs clés. Tourisme, bâtiment et travaux publics (BTP), commerce, et consommation des ménages : aucun domaine n’est épargné, renforçant une spirale d’incertitudes qui pèse lourdement sur les perspectives économiques de la région. Malgré une légère baisse des prix, cette éclaircie mineure ne suffit pas à contrebalancer l’ampleur des difficultés auxquelles la Guadeloupe est confrontée.
Le climat des affaires, indicateur synthétique de la santé économique, a reculé de 6,3 points au cours du trimestre. Ce déclin est attribué à une série de facteurs, dont les délestages électriques provoqués par un conflit social à EDF-PEI en septembre.Ces coupures d’électricité ont perturbé les entreprises, entraînant une diminution de leur activité, une dégradation de leur trésorerie et une augmentation de leurs charges d’exploitation. À cela s’ajoute l’allongement des délais de paiement des clients, accentuant les tensions financières. La consommation des ménages, déjà sous pression dans un contexte de vie chère, demeure atone, tandis que l’incertitude politique et fiscale à l’échelle nationale complique encore les prises de décision des investisseurs privés.
Le secteur touristique, habituellement moteur de l’économie locale, est lui aussi frappé par une baisse des dépenses des visiteurs. L’industrie et les services marchands, hors tourisme, montrent des signes de ralentissement, tandis que le BTP, vital pour le développement des infrastructures, voit son activité diminuer également. Cette situation pousse les chefs d’entreprise à revoir leurs stratégies : si les projets en cours sont maintenus, les nouveaux investissements sont limités, traduisant une prudence généralisée. Bien que les effectifs soient pour l’instant maintenus, les perspectives pour la fin de l’année restent sombres, avec une anticipation de dégradation des indicateurs financiers et une hausse des prix envisagée.
Le marché de l’emploi reflète aussi cette conjoncture morose. Les offres d’emploi enregistrées par France Travail ont chuté de 11,7 %, signalant un ralentissement de l’activité de recrutement. La consommation des ménages et les investissements privés stagnent, tandis que les importations de biens d’investissement et de biens de consommation durable enregistrent des baisses respectives de 8,4 % et 7,7 %. Ces tendances traduisent un affaiblissement de la demande, tant au niveau local qu’international, ajoutant une pression supplémentaire sur les entreprises guadeloupéennes.
La vulnérabilité économique de la région s’aggrave. Les défaillances d’entreprises ont progressé de 4,4 % sur un an, et les incidents de paiement liés aux crédits aux particuliers ont explosé de 62 % sur les neuf premiers mois de l’année. Ces données mettent en lumière un risque croissant de fragilité financière, tant pour les acteurs économiques que pour les ménages.
En Martinique la situation économique est encore pire car depuis quelques semaines, la liste des sociétés en difficulté s’allonge, ce que confirme le tribunal de commerce de Fort-de-France. Les nombreux actes de vandalisme commis en marge de la mobilisation contre la vie chère engagée le 1er septembre dernier, en seraient la conséquence. La juridiction « ne compte pas ses heures » face à l’explosion des recours, tandis que le MEDEF Martinique alerte d’ores et déjà le prochain gouvernement, en considérant qu’il y a « une urgence économique et sociale » sur l’île.
Ainsi au troisième trimestre de l’année 2024, l’indicateur du climat des affaires (ICA) s’établit en Martinique à 96,1 points, un niveau en deçà de sa moyenne de longue période (100). Il recule de 2,3 points par rapport au deuxième trimestre, ce qui traduit une poursuite du ralentissement amorcé depuis le début d’année. Les perspectives sont orientées plutôt négativement et sont d’autant plus incertaines que le mouvement de protestation contre « la vie chère » affecte le climat social et la visibilité des acteurs économiques depuis le début du mois de septembre. Les entreprises évoluant dans les secteurs du commerce et de la restauration ont été particulièrement impactées par les événements (barrages, pillages) et par les restrictions qui en découlent (1er couvre-feu le 18 septembre et renouvelé à plusieurs reprises), générant des baisses sensibles de l’activité. Le tissu économique dans son ensemble est fragilisé par les exactions commises en marge du mouvement : 142 entreprises ont été pillées ou incendiées selon un premier bilan de la Chambre de commerce et d’industrie de la Martinique. Au-delà de l’impact immédiat, les conséquences pourraient se faire ressentir à moyen terme sur l’attractivité du territoire.
La confiance des chefs d’entreprise est fragilisée et ils sont 13 % à craindre une défaillance de leur entreprise dans les douze prochains mois, un chiffre en progression par rapport aux trimestres précédents. À fin septembre, le nombre de défaillances d’entreprises progresse de 2,1 % en cumul sur un an.
Cette situation s’inscrit dans un contexte national où l’instabilité politique et budgétaire complique la planification économique. Le président du Medef France , Patrick Martin, a récemment exprimé ses inquiétudes dans une lettre adressée au futur Premier ministre, insistant sur les conséquences de cette instabilité sur l’économie réelle et la nécessité d’une visibilité accrue sur le nouveau budget. Selon lui, la France est déjà entrée en légère récession, comme en témoignent des estimations économiques inquiétantes et un record de 66 000 dépôts de bilan cette année.
Face à cette situation, la question de la sortie de crise reste cruciale. La France , déjà confrontée à une dette publique et à des déficits structurels très importants, doit composer avec des marges de manœuvre financière limitées. Une réponse adaptée nécessitera des efforts concertés entre les acteurs publics et privés, à l’échelle régionale et nationale. Des mesures visant à soutenir les entreprises, dynamiser la consommation et relancer les investissements s’imposent dans un contexte de réflexion de la mise en œuvre d’un nouveau modèle économique. Toutefois, ces solutions doivent s’inscrire dans une vision de long terme, intégrant une réforme structurelle des finances publiques et une stratégie économique durable pour réduire les vulnérabilités systémiques.
En définitive, la Guadeloupe et la Martinique se trouvent à la croisée des chemins, confrontées à des défis économiques majeurs amplifiés par un contexte national incertain. La reprise économique passera par une meilleure coordination des politiques publiques, une stabilisation du climat social et des initiatives locales innovantes pour diversifier et renforcer le tissu économique. Faute de quoi, les fragilités actuelles risquent de s’ancrer durablement, compromettant les perspectives de développement pour les années à venir.
Jean marie Nol économiste