Alerte sur la Martinique : une crise (de la vie chère) peut en cacher une autre !

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

Un cap a été franchi en Martinique avec les émeutes et violences de tout ordre qui ont émaillé l’île dans la soirée du 9 octobre 2024 . La fin de la départementalisation selon certains esprits apeurés ? Plutôt selon moi l’ultime étape d’un processus de recomposition , en profondeur, de la carte politique de la Martinique. Et la confiance désormais perdue donnera bien lieu à des conséquences financières fâcheuses pour tous les martiniquais !

La «vraie» crise de confiance ne vient pas de la vie chère , mais des partis politiques Martiniquais et de leur incapacité à créer du sens pour appréhender le réel. Loin d’être un signe de puissance de l’expression d’un peuple en colère , cette crise réitérée est l’aveu d’un échec politique. A ce propos je réitère ma mise en garde de ne pas toucher aux institutions même avec la main tremblante.

Sur le fond de la problématique de la vie chère , il s’agit de débats en Martinique de même nature que ceux traversant l’ensemble des outres-mers qui pour autant ne s’embrasent pas , témoignant certes de la réalité inflationniste accomplie mondialement , mais également de tensions politiques sur la répartition et la régulation des compétences locales en Martinique . Le fond du problème serait en effet idéologique ,politique et identitaire. Si le débat économique est justifié, il est peu souhaitable que celui-ci se déroule uniquement sous un aspect politique , confisqué au niveau national impliquant un prisme contestable.Cette crise de la vie chère est aujourd’hui identifiée, traitée, mais derrière elle exceptionnelle peut se cacher des crises moins visibles, faites de détails parfois plus sournois et qui doivent prêter tout autant attention en lien les évènements actuels de désordres sociaux. Comme disait le président américain George Bush en 2002, « quand quelqu’un souffre, il faut que l’État bouge ». Il y a toujours des gens qui souffrent et l’État s’agite sans cesse.

Alors la Martinique est-elle vraiment si différente de la France des banlieues avec son lot de jeunes sans aucun repères ? Une crise du laissez-faire et de l’immobilisme ? Les faits et les statistiques de l’INSEE et de l’IEDOM parlent d’eux-mêmes. La Martinique est déjà fragilisée socialement et économiquement. Mais c’est d’une autre crise qu’il s’agit . Mais laquelle ?

Politique , identitaire, sociétale ?

A notre sens la Martinique traverse actuellement une crise de confiance qui trouve son origine dans la période actuelle de troubles sociaux et économiques d’une intensité rare, avec des répercussions majeures sur l’avenir de l’île. Ces émeutes et troubles qui ont cours en Martinique , marquées par des barrages enflammés, des pillages et la destruction d’entreprises, ne sont pas apparues de manière soudaine ou inattendue. Elles sont le résultat d’une crise latente liée à la vie chère, mais pas que, un problème maintes fois souligné par les économistes locaux et nationaux. Pourtant, l’État, les élus locaux , les responsables économiques et les institutions en place n’ont pas su anticiper cette explosion sociale et de violence .Aujourd’hui, l’absence de confiance dans les institutions politiques et économiques, couplée à un climat social tendu, menace la stabilité et le développement de l’économie martiniquaise, déjà en difficulté.La Martinique se trouve aujourd’hui à un tournant décisif de son histoire économique et sociale. Alors que des mouvements de contestation secouent l’île pour dénoncer la vie chère, avec des blocages économiques et la destruction de nombreuses entreprises, l’avenir économique de la Martinique semble de plus en plus sombre. L’économie de l’île, déjà fragilisée par des décennies de dépendance et de difficultés structurelles, pourrait entrer dans une phase de récession dès la fin de l’année 2024, avec des conséquences dramatiques pour l’emploi, la consommation, et le développement économique. Le climat actuel est marqué par une radicalisation des revendications sociales et identitaires, exacerbée par un contexte où la population martiniquaise manifeste un soutien massif aux mouvements de lutte contre la vie chère. Cependant, cette solidarité aveugle aux conséquences économiques pourrait précipiter l’île dans une crise dont elle ne se relèvera pas facilement.

En effet, l’activité économique de la Martinique est particulièrement vulnérable aux chocs, en raison d’une économie peu diversifiée et d’une dépendance excessive aux importations. Les blocages actuels risquent d’entraîner un effondrement de l’économie locale, déjà sous pression, alors que les entreprises peinent à maintenir leur production face aux interruptions dans les chaînes d’approvisionnement et aux destructions de biens matériels.Les crises économiques, comme celle qui semble s’annoncer pour la Martinique, s’inscrivent souvent dans des cycles économiques. Lorsque l’économie est en expansion, un cercle vertueux s’installe : les entreprises prospèrent, les salaires augmentent, la consommation s’accroît, ce qui stimule davantage la production.

À l’inverse, en période de récession, comme celle qui se profile, un cercle vicieux se met en place. Le chômage augmente, réduisant ainsi la consommation, ce qui pousse les entreprises à licencier davantage, créant un cycle auto-entretenu de déclin. Ce cycle de crise pourrait être particulièrement dévastateur pour une économie insulaire comme celle de la Martinique, déjà vulnérable en raison de sa petite taille, de son isolement géographique et de son extrême dépendance aux importations. La chute de la consommation sur l’île sera sans doute l’un des premiers signes visibles de cette récession à venir. L’augmentation du chômage, inévitable dans le contexte actuel, limitera le pouvoir d’achat des ménages. Cette baisse de la demande intérieure aura un impact direct sur les entreprises locales, en particulier les petites et moyennes entreprises qui constituent l’épine dorsale de l’économie martiniquaise. Face à un marché intérieur en contraction et à des coûts de production qui continuent d’augmenter, notamment en raison des importations de matières premières et de biens de consommation, ces entreprises pourraient être contraintes de fermer leurs portes, accentuant encore davantage le chômage.La fragilité structurelle de l’économie martiniquaise, marquée par une forte dépendance aux importations et aux aides de l’État, ne laisse que peu de marge de manœuvre face à une crise économique de grande ampleur.

Depuis plusieurs décennies, la Martinique bénéficie d’un soutien financier conséquent de la part de la métropole française, qui a permis de maintenir à flot certaines activités économiques et de soutenir l’emploi public. Cependant, dans le contexte actuel de tensions identitaires et idéologiques croissantes sur l’île, il est à craindre que cet appui financier ne soit remis en question. En effet, la radicalisation politique qui s’observe au sein de certains mouvements en Martinique, prônant une rupture avec l’État français, pourrait mener à un désengagement progressif des financements publics. Dans un contexte économique déjà difficile, la diminution, voire la cessation de ces aides, pourrait avoir des conséquences désastreuses.L’État français, confronté à ses propres contraintes budgétaires, pourrait ne plus être enclin à soutenir indéfiniment une économie qui se radicalise politiquement et qui rejette de plus en plus ouvertement le cadre républicain. Cette situation pourrait marquer le début d’une période d’austérité pour l’île, qui, privée du soutien financier de la métropole, serait forcée de réformer en profondeur son modèle économique.

Cependant, une telle transition, dans un contexte de récession, s’avérerait extrêmement douloureuse. La Martinique pourrait se retrouver dans une situation de dépendance accrue vis-à-vis de ses voisins régionaux et des marchés internationaux, sans pour autant bénéficier des outils nécessaires pour compétir efficacement sur ces marchés.

La confiance est un pilier fondamental de toute économie de marché, et son érosion peut conduire à des effets dévastateurs, en particulier dans un contexte insulaire. Dans une petite économie comme celle de la Martinique, la confiance joue un rôle déterminant pour l’attractivité du retour des diplômés expatriés, des investissements, l’innovation, et la croissance.

Les investisseurs, notamment ceux issus de la communauté dite béké, dont les entreprises représentent une part significative de l’économie locale, selon un des responsables du RPPRAC partie prenante de la table ronde des négociations envisagent désormais de désinvestir face à l’instabilité. Ce désinvestissement potentiel et ce retrait du marché est un signal alarmant pour une économie qui repose indirectement largement sur le secteur public et qui souffre déjà d’une faible diversification. La fuite des capitaux et la baisse des investissements risquent de plonger encore davantage l’île dans une spirale de mal ou de sous-développement. L’absence de confiance dans l’avenir est l’un des moteurs de cette crise.

En économie, comme l’a expliqué le grand économiste John Maynard Keynes, les anticipations jouent un rôle clé dans la prise de décisions, que ce soit pour les ménages ou les entreprises. Si les acteurs économiques perdent confiance dans la stabilité politique, dans la capacité des autorités à résoudre les problèmes structurels tels que le coût de la vie, ou dans les perspectives de croissance, ils réduisent leurs investissements et leurs dépenses. C’est exactement ce qui est en train de se produire de façon subliminale en Martinique. Les entrepreneurs hésiteront à prendre des risques, préférant sécuriser leurs capitaux plutôt que d’investir dans une économie incertaine. Les ménages, quant à eux, adopteront une attitude de repli, réduisant leur consommation, ce qui aggravera encore la situation économique.La crise actuelle montre également que la confiance dans les institutions politiques est profondément ébranlée. Les élus locaux et nationaux ont failli dans leur mission d’anticipation et de gestion de la crise de la vie chère. La vie chère, qui constitue le terreau de la contestation sociale, est un problème structurel aux Antilles depuis des décennies. Le manque de politiques publiques adaptées pour alléger la pression sur les ménages, ainsi que l’inaction face aux inégalités criantes entre les différents groupes sociaux, ont conduit à une explosion de la colère. Les citoyens martiniquais ne font plus confiance à leurs dirigeants politiques pour améliorer leur quotidien, et cette défiance s’étend aux institutions économiques et financières de l’île.En outre, la crise de confiance touchera aussi les institutions bancaires et financières.

L’idée que l’économie martiniquaise ne repose plus sur la confiance est une affirmation qui, bien que radicale, semble de plus en plus justifiée. La crainte d’une faillite de certaines institutions, liée à la contraction de l’activité économique, pourrait inciter les déposants à retirer leurs fonds des banques locales, créant ainsi une véritable crise de liquidités. Dans une économie insulaire où les marges de manœuvre sont limitées et où les entreprises dépendent largement du crédit, un tel phénomène pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Il est également important de souligner que cette crise de confiance survient dans un contexte économique mondial marqué par une incertitude croissante. En France hexagonale , la gestion de la dette publique devient un enjeu crucial. Les perspectives d’une nouvelle crise de la dette, ou du moins d’une contraction des finances publiques, pourraient restreindre fortement la capacité de l’État à intervenir pour soutenir l’économie martiniquaise. En période de crise, la confiance des ménages et des entreprises dans la capacité de l’État à soutenir l’économie est essentielle. Si cette confiance s’érode, les effets peuvent être dévastateurs, comme cela a été le cas lors des crises financières précédentes. La Martinique, en tant que région éloignée et économiquement fragile, pourrait souffrir de manière disproportionnée des effets de cette contraction.

La question de la cohésion sociale est également indissociable de celle de la confiance. Dans une société divisée par des inégalités historiques et des tensions raciales et économiques, la confiance entre les différents groupes sociaux est un facteur clé pour assurer la paix sociale et la prospérité économique. En l’absence de cette confiance, les conflits se multiplient et la violence devient un moyen d’expression pour les citoyens les plus marginalisés. Cette fracture sociale, qui s’aggrave avec chaque émeute, chaque barricade, et chaque entreprise incendiée, rend la situation encore plus complexe à résoudre. La perte de confiance dans les institutions, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales, risque de précipiter la Martinique dans une situation de chaos durable.Il est évident que la solution à cette crise ne pourra pas se limiter à des mesures économiques ponctuelles sur la vie chère .

Une refonte en profondeur du modèle économique et des politiques publiques, visant à restaurer la confiance des citoyens dans leurs institutions, est indispensable. Il s’agit notamment de lutter contre la vie chère, d’encourager l’investissement local par la création d’une nouvelle banque de développement et de promouvoir une économie plus inclusive, qui permette à tous les Martiniquais de bénéficier des fruits de la croissance. La confiance doit être restaurée non seulement entre les citoyens et leurs dirigeants, mais aussi entre les différentes composantes de la société martiniquaise. Cela passera par un dialogue social renforcé, une véritable reconnaissance des injustices passées et présentes, et une volonté politique forte de construire un avenir commun.En définitive , la Martinique est aujourd’hui confrontée à une crise de confiance majeure qui menace son avenir économique et social à brève échéance .

La situation actuelle, marquée par les émeutes et les destructions, est le symptôme d’un mal plus profond : un Mal être identitaire, une société divisée, une économie fragilisée, et des institutions politiques qui peinent à regagner la confiance des citoyens. Si rien n’est fait pour inverser cette tendance, les conséquences pourraient être désastreuses, non seulement à court terme, mais aussi à moyen et long terme. Il est urgent que les responsables politiques et économiques prennent la mesure de la gravité de la situation et agissent en conséquence, avant que l’économie martiniquaise ne s’effondre complètement sous le poids de cette défiance généralisée. C’est là une éventualité tout à fait envisageable. Le risque d’une crise économique prolongée est donc réel. Sans une intervention rapide et coordonnée pour stabiliser la situation et amorcer une reprise économique, l’île pourrait s’enfoncer dans une spirale de déclin. Les destructions d’entreprises, les blocages économiques, et l’instabilité sociale risquent de décourager les investissements, tant locaux qu’internationaux, et de pousser de plus en plus de jeunes Martiniquais à quitter l’île en quête de meilleures opportunités ailleurs. Ce phénomène, déjà observé par le passé, pourrait s’intensifier, aggravant encore davantage la situation démographique et économique de la Martinique.La perspective d’une récession économique à court et moyen terme semble donc inévitable si la situation actuelle perdure. Les conséquences sociales et politiques de cette crise seront également profondes, avec un risque accru de fragmentation de la société martiniquaise, déjà traversée par des tensions identitaires. Le défi pour l’île sera de trouver des solutions locales pour relancer l’économie tout en maintenant un équilibre politique et social. Sans cela, la Martinique pourrait se diriger vers une période de grande instabilité, tant sur le plan économique que sur le plan politique, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour son avenir.

« Apatoudi vlé, se pé ki mèt’ « .*

Traduction littérale :Ce n’est pas tout de vouloir, c’est pouvoir qui est le maître.

Moralité : Vouloir n’est pas pouvoir.

Jean-Marie Nol, économiste