— Propos recueillis par Marc Vignaud —
L’ex-ministre de Juppé est sévère sur les revendications du Medef. Fin des 35 heures, baisses de charges… Deux mauvaises idées, selon ce grand libéral.
Être libéral ne revient pas à défendre le patronat. Pas pour Alain Madelin en tout cas. L’ancien ministre libéral, aujourd’hui à la tête d’un fonds d’investissement, estime que le Medef a tout faux. La TVA sociale qu’il réclame, ou sa version gouvernementale – le crédit d’impôt compétitivité-emploi ,- revient à faire « payer aux consommateurs une part de leurs salaires ». Quant aux 35 heures, elles sont négociables dans chaque entreprise depuis 2008 ! Les vraies solutions libérales seraient ailleurs.
Le Point : Deux candidats pour la présidence du Medef sont toujours en lice. Pierre Gattaz et Geoffroy Roux de Bézieux. Mais pour vous, quel que soit le choix des chefs d’entreprise, cela ne changera pas l’ADN du patronat français…
Alain Madelin : Chaque candidat a ses qualités, entre un Medef d’entreprise familiale et patrimoniale – dont on a besoin (Pierre Gattaz, NDLR) – et un Medef d’entrepreneuriat (Roux de Bérieux, NDLR). La question est de savoir quelle est la doctrine de l’organisation. Je suis un peu triste de la voir s’enfermer dans des revendications difficiles à défendre.
Par exemple ?
Sur la compétitivité, il faut mettre l’accent sur celle de l’État qui doit gagner en productivité. La compétitivité des entreprises passe, elle aussi, par des gains de productivité et donc l’investissement. Or le patronat – il est vrai écrasé par les impôts et les charges – essaie simplement d’obtenir une baisse du coût du travail.
S’il est écrasé par les charges et l’impôt, cette demande est légitime, non ?
Si vous comparez à d’autres pays, dont l’Allemagne, le coût du travail a effectivement augmenté en France. Mais ce n’est pas sous le poids des charges et de la fiscalité. Simplement, les salaires ont augmenté plus vite que les gains de productivité. Le patronat demande donc à l’État de reprendre de l’argent aux salariés via l’impôt pour le redonner aux entreprises. Par exemple, sous la forme d’une TVA sociale, ce qui revient à faire payer aux consommateurs une part de leur salaire. Or, le surcoût du travail par rapport à la productivité résulte d’un mauvais dialogue social. Il faut aborder le coût du travail avec beaucoup de prudence, car la situation n’est pas la même d’une entreprise à l’autre ni d’une branche à l’autre. L’exemple de Toyota montre qu’on peut produire des voitures en France au coût du travail français tout en étant compétitif. Je ne vois pas en quoi le crédit d’impôt compétitivité-emploi, qui fait surtout baisser le coût du travail à La Poste ou dans la grande distribution, est de nature à améliorer la compétitivité de la France. C’est pourquoi, à mes yeux, le Medef ne devrait pas dire qu’il faut baisser les salaires pour être plus compétitif – ce qui a été fait, c’est vrai, en Grèce ou en Espagne -, car, à ce compte-là, on ne baissera jamais assez le salaire des Français. La preuve, le gouvernement a eu beau faire un énorme cadeau de 20 milliards aux entreprises, certains réclament pas moins de 50 milliards de plus. Cela veut dire qu’on n’en fera jamais assez. Le Medef devrait défendre l’augmentation de la productivité pour que la France puisse s’offrir notre coût du travail. Il doit plaider pour une politique de réinvestissement massif. Cela passe par une compétitivité de la fiscalité du capital. Or lorsque même l’ancienne majorité s’est mise à dire qu’il fallait aligner la fiscalité du capital sur celle du travail, on n’a pas trop entendu le patronat.
Vous dites en somme que le gouvernement a tout faux, qu’il faut faire exactement l’inverse de ce qu’il a entrepris…
Oui, les mauvais gouvernements suscitent de mauvais patronats. Pourquoi ? Sachant que le Medef ne peut pas obtenir de réforme de fond, il se rabat sur des réformes beaucoup plus médiocres qu’il a des chances d’obtenir. Je comprends que le Medef se dise « les réformes sont tellement difficiles à mener qu’il faut trouver tous les prétextes pour reprendre de l’argent. Récupérons de l’argent grâce à la TVA sociale, grâce aux investissements d’avenir, par le crédit d’impôt compétitivité… » J’aimerais bien qu’il se réclame un peu plus du « laissez-nous faire » plutôt qu’il se tourne à chaque instant vers l’État, dont il se plaint par ailleurs parce qu’il ne lui laisse pas assez de liberté. L’accord intervenu avec les partenaires sociaux le 11 janvier sur le marché du travail est excellent de ce point de vue : non pas tant pour ses acquis concrets que par la méthode : celle d’un vrai paritarisme.
Une autre revendication des patrons, qui remonte beaucoup du terrain, c’est de mettre définitivement fin aux 35 heures…
D’abord je rappelle que les entreprises reçoivent plus de 22 milliards d’allègement de charges sociales (dont beaucoup au titre de la réduction du temps de travail, NDLR) auxquels elles n’entendent pas renoncer ! Les entreprises à fort taux de main-d’oeuvre sont donc encouragées au détriment des entreprises plus capitalistiques, ce qui n’est pas forcément bon pour la compétitivité. Deuxièmement, la loi de 2008 sur le temps de travail est exemplaire : elle privilégie l’accord d’entreprise sur l’accord de branche et l’accord de branche sur la loi pour la fixation de la durée du travail. La souplesse contractuelle existe donc déjà, même si elle peut être perfectionnée. Tout abandon de la durée légale du travail serait incompatible avec le droit européen et empêcherait de fixer le seuil au-delà duquel le salarié est payé en heures supplémentaires. La vraie question est celle du fonctionnement du marché du travail qui ne permet pas une bonne allocation des talents ni une bonne formation professionnelle. Ce fonctionnement fausse la formation du prix du travail via le smic et les effets de seuil liés aux allègements de charges sur les bas salaires.
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Le Point.fr – Publié le 07/06/2013 à 16:52 – Modifié le 07/06/2013 à 17:16