– Par Janine Bailly –
Alain Mabanckou a annoncé fin novembre sa nomination au Collège de France, à la chaire annuelle de Création artistique. Il sera le premier écrivain à occuper ce poste. Le 17 mars prochain, il donnera sa leçon inaugurale, suivie une semaine plus tard de cours et séminaires ouverts à tous. Écrivain-enseignant franco-congolais né à Pointe-Noire, Alain Mabanckou a remporté en 2006 le prix Renaudot pour Mémoires de Porc-Épic, qui l’a fait connaître du grand public. En août 2015 est paru au Seuil son dernier roman, Petit Piment.
Petit Piment, c’est au Congo l’histoire d’un enfant qui apprend à grandir, apprentissage conté de l’orphelinat où il fut abandonné jusqu’à l’hospice où se finiront ses jours… la boucle se refermant sur cette parenthèse enchantée/désenchantée qu’est toute vie, puisqu’aussi bien l’asile final est venu remplacer l’ancien orphelinat en ce même lieu détruit !
Et c’est bien de destruction qu’il s’agit, destruction d’un pays voué aux luttes entre ethnies comme aux aléas de la politique — défilent alors sous les yeux de Petit Piment tous les régimes possibles —, destruction des lieux autant que des êtres. On assiste ainsi aux « nettoyages » successifs de la ville de Pointe-Noire, d’où les instances politiques éradiquent d’abord du Grand Marché les bandes d’adolescents qui le hantent, pour ensuite « débarrasser » les rues des « putains zaïroises » devenues indésirables, abattant dans le même mouvement la maison close « pas si close » de la tenancière Maman Fiat 500, maison-cocon dont Petit Piment en veine de famille et de tendresse avait fait son univers d’élection affectif.
Disparition des lieux, effacement des esprits : Petit Piment se venge, de son couteau tuant le maire de la ville, personnage corrompu et responsable de cette épuration, mais Petit Piment, héros ou anti-héros, en perd peu à peu la mémoire et s’égare dans les mystérieux labyrinthes obscurs de la souffrance psychique. La recherche, la constitution et la perte d’une identité sont aussi au cœur de l’histoire, et la désignation des personnages par des surnoms qui les assignent à un seul trait de caractère n’est pas dans ce cas innocente.
Nombreux sont les thèmes abordés par le truchement de l’histoire : l’enfance abandonnée, et qui trouve dans les femmes de hasard des mères de substitution, le rôle prépondérant de la femme dans la société comme dans l’éducation des enfants, l’importance de l’amitié qui soutient et donne la force de continuer, les traitements appliqués à ceux que l’on qualifie de fous, et qui font intervenir la psychanalyse occidentale autant que les esprits ou la magie africaine.
Mais ce qui pourrait sembler sombre et désespéré est par ailleurs empreint de tendresse et de grâce, l’enfance et l’adolescence étant bien des territoires que se partagent la douceur et la cruauté. Une certaine forme d’humour éclaire parfois le récit : décalage né du heurt entre naïveté et lucidité, citations faites en hommage, sans les citer, à des célébrités aussi diverses que Victor Hugo ou Georges Brassens, et que l’auteur attribue à des personnages qui forcément en ignorent et l’existence et l’origine… Quant à l’espoir, il s’incarne dans l’ami retrouvé, ce Bonaventure connu à l’orphelinat, abandonné par Petit Piment lorsqu’il fugue, puis retrouvé à l’asile sous le nom de Ndeko Nayoyakala, et dont les mots clôturent le roman : « Je dessinerai des avions jusqu’au jour où j’en verrai un vrai atterrir devant l’entrée de l’asile pour me sortir d’ici. »
Un propos grave traité de façon alerte, en un style qui marie truculence et poésie, un conte cruel mais sans misérabilisme aucun, sans jugement porté, afin que peut-être nous découvrions le visage d’une certaine Afrique, sans pour autant théoriser ni moraliser. Un récit doux-amer : à lire sans tarder !
Janine Bailly, Fort-de-France
Le 9 décembre 2015