Aimé Césaire et Gaston Miron

— Par Gary Klang —

 L’idée de cet article me vint de Gaston Miron lui-même qui m’invitait à la comparaison :

« La lecture de Césaire me bouleversera en raison d’une parenté à mon insu très proche…»

Malgré des différences, il y a de grandes similitudes entre le poète du Québec et celui de la négritude, deux écrivains engagés, investis d’une mission sacrée : exprimer l’être de leur peuple à partir d’un sentiment d’aliénation, analysé brillamment par Hegel que cite Miron :

«Aliénation : traduction de  Entfremdung.  Hegel : dépossession.  Ne plus s’appartenir.  Devenir étranger à soi-même »

Miron est étranger dans sa province, et Césaire, dépossédé de son identité dans le département français de la Martinique, en étrange pays dans son pays lui-même. Une des raisons pour lesquelles il parle si souvent de Toussaint Louverture, du Roi Christophe et d’Haïti qui, elle, a arraché son indépendance aux troupes de Napoléon, acquérant ainsi un sentiment profond de devoir accompli qui lui permettra de supporter bien des malheurs. Césaire est un homme en colère et Miron, un être qui porte sa tristesse en écharpe, d’où le sentiment de faim et de soif qu’ils expriment dans leurs poèmes :

« Nous avons soif de toutes les eaux du monde

Nous avons faim de toutes les terres du monde » (Miron)

« Ce que je veux

c’est pour la faim universelle

pour la soif universelle » (Césaire)

En plus de cette souffrance qui caractérise les deux poètes, il y a une autre similitude, Mallarmé, qui à première vue ne leur ressemble en rien.  Miron écrit Corolle ô fleur (sur un ton faussement mallarméen).

Et concernant Césaire, une anecdote. Dans le Paris des années 60, lorsque j’étais étudiant à la Sorbonne, mon ami Hervé Denis, qui avait joué sous la direction de Jean-Marie Serreau La Tragédie du Roi Christophe, m’invita avec mon ami Davertige à faire la connaissance du grand poète martiniquais. Cette rencontre eut lieu dans une petite salle sombre et triste de la Cité universitaire et fut d’autant plus mémorable que Césaire nous dit ce jour-là que Mallarmé était un poète d’une grande limpidité. Diantre ! Jusque-là, Mallarmé comme Hegel étaient pour moi d’une grande opacité. Mais il y a plus étrange. A la mort de Césaire, j’entendis à la télévision Jean-Marie Le Pen (vous avez bien lu) exprimer son admiration pour Césaire et citer de longs extraits de son oeuvre. Il ajouta en terminant que le chantre de la négritude lui rappelait Mallarmé ! La phrase de Césaire me revint tout de suite à l’esprit et je me demande depuis lors ce qu’il y a de commun entre ces deux poètes que tout semble séparer.

De grâce, si avez la clé de l’énigme, donnez-la-moi.

 Gary Klang