Aimé Césaire à la Gare Saint-Lazare

 

Par Raymond Destin, membre de l’association des Amis d’Aimé Césaire d’Ile de France —

 

C’est un vendredi, le 9 octobre 1931 que Aimé Césaire débarque du train venant du Havre. Il revient d’une traversée maritime à bord du bateau « le Pérou », qui a commencé en Martinique, 15 jours plus tôt, le 24 septembre, pour rejoindre Paris où il est inscrit au Lycée Louis Le-Grand.

A la cinéaste Euzhan Palcy, il confia plusieurs années plus tard, que ce fut à la Gare St Lazare qu’il vécut son premier contact avec les Français. Mais au lieu d’y trouver des blancs, il découvre avec étonnement l’importance de la communauté antillaise. « De foule, dit-il, il n’y avait que nos compatriotes, tous venaient accueillir ceux qui arrivaient et que le train amenait à la Gare Saint-Lazare(…) ; la gare était un point de ralliement extraordinaire et on rencontrait là des gens qu’on n’avait pas vu depuis vingt ans, depuis trente ans… »

C’est donc tout naturellement que José Alpha de la Cie Téat’ari a organisé avec la SNCF contactée au mois d’octobre de l’année dernière, le retour du poète et homme politique martiniquais dans ce lieu public chargé de souvenirs. « Nous avons choisi la Gare Saint-Lazare pour y installer notre première manifestation du Centenaire Aimé Césaire. Parce que les quais de la Gare Saint-Lazare constituent l’espace scénique de l’anthologie théâtrale, Paroles et Silences, que j’ai créée à partir des textes poétiques et politiques d’Aimé Césaire, René Ménil, André Lucrèce, Amadou Hampaté Bâ et Khalil Gibran » précise José Alpha, metteur en scène. « Le nègre Pongo », issu du Cahier d’un retour au pays natal, incarné par Jean Claude Duverger, y raconte l’histoire de celui qui fut l’infatigable rebelle de la colonisation, défenseur des droits de l’Homme, l’une des plus grandes consciences du XXème siècle, selon l’Unesco.

De nombreux antillais ont assisté vendredi 22 mars dernier, à la Gare Saint-Lazare au premier acte de l’ouverture de l’année du centenaire de la naissance du poète français (1913-2008). Invités par la Cie Téat’Lari et la direction régionale de la SNCF à célébrer le poète mais aussi l’élu national porteur notamment de la loi de départementalisation en 1946, et porte parole de la loi de décentralisation en 1982, des personnalités politiques et culturelles, tels André Lucrèce, écrivain sociologue, Jocelyn Régina, conseiller général de la Martinique, Michelle Césaire, la fille d’Aimé Césaire, Danièle Apocale, déléguée outre-mer de la ville de Paris, et Sophie Elizéon, déléguée interministérielle à l’égalité des chances des Français d’Outre-mer, ont exprimé leur vive satisfaction à la tenue d’une telle évocation mémorielle.

Le groupe de danse ethnique Difé Kako et Igo Drané ont ouvert la manifestation sur un rythme de béliya magnifiquement posé par la grâce de danseuses dirigées par Chantal Loïal. Des chants dansés et martelés avec les tambours, les pieds et les « voix égales » qui ont fait reprendre le refrain : « sé pa nèg sèlman, sé idantité mwen man lé ».

Deux cheminots de la SNCF apparaissent ; ils portent à bout de bras, sous les applaudissements du public, un grand portrait de Césaire. L’émotion est à son comble. Le meuglement de la conque de lambi et le roulement grave des tambours bèlè, marquent la solennité de l’instant. L’esprit de l’homme vertical est dans les lieux.

Le public est alors invité à se déplacer par le quai 27, vers la salle des expositions de la gare. André Lucrèce, écrivain martiniquais, y a donné une conférence : « Césaire, poète de la Nature et de l’Humain ». Un entretien riche et argumenté qui découvre un des aspects mal connus du génie césairien. André Lucrèce révèle la relation établie par le poète entre la Nature exubérante de la Martinique, ses lieux d’enfance à Basse-Pointe, les « végétaux de sa poésie » tels le raisinier du bord de mer (le cocolobe), le Caicédrat, l’arbre totem symbole de l’Afrique, et le caractère « bien trempé » de cet homme silex qui fit de son fer de lance, l’insurrection contre toute forme d’asservissement, d’injustice et d’intolérance.

Le deuxième acte du programme Aimé Césaire à la Gare Saint-Lazare se tiendra jeudi 28 et vendredi 29 mars, sur les quais de la gare par le tournage pour la télévision de la pièce théâtrale Paroles et Silences, dont la diffusion est prévue exclusivement le 26 juin, jour culminant de l’anniversaire du poète, sur toutes les chaines Outre-mer de France Télévision.

 

R. Destin

 Les cheminots Destais et Neller, portant à bout de bras, le 22 mars à la gare St Lazare,  l’image d’Aimé Césaire sous les applaudissements du public.