Paris – Elle a été menacée de mort par un responsable saoudien et fait sortir de ses gonds le président des Philippines qui l’a couverte d’injures : à 58 ans, Agnès Callamard a quitté l’ONU mais entend continuer d’être la trouble-fête des autocrates de la planète à la tête d’Amnesty International.
« Je n’ai certainement pas l’intention de me taire !« , assure en riant la nouvelle secrétaire générale de l’ONG.
« Oui, le sparadrap du capitaine Haddock, ce sera nous et au-delà: on va faire beaucoup plus que d’embêter la répression« , promet de son débit de mitraillette la quinquagénaire lors d’un entretien accordé à l’AFP.
« Poil à gratter » des dictateurs et autocrates du monde entier qui en ont fait leur bête noire, « voix courageuse » pour la société civile, cette défenseure inlassable de la cause des droits humains et de l’État de droit a été de tous les dossiers en vue des dernières années.
De l’enquête sur l’assassinat en 2018 du journaliste Jamal Khashoggi, attribué à Ryad, à celle de la mort en 2020 du général iranien Qassem Soleimani dans une frappe aérienne américaine jugée « illégale« , en passant par les lenteurs de la justice française après le meurtre de deux journalistes de RFI en 2013 au Mali…
A chaque fois, la rapporteure spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires sommaires ou arbitraires tire à balles réelles, loin du langage policé de l’enceinte onusienne. A chaque fois, les réactions sont violentes.
– Menaces –
En 2017, le président des Philippines Rodriguo Duterte digère mal ses critiques sur sa politique antidrogue et menace de la gifler après l’avoir couverte d’insultes. Plus récemment, un haut responsable saoudien a menacé à deux reprises de « s’occuper » de Mme Callamard si les Nations unies ne freinaient pas ses ardeurs.
Outre-Atlantique, c’est l’ex-secrétaire d’État américain Mike Pompeo qui s’agace de son rapport « fallacieux » sur la frappe contre Qassem Soleimani et appelle à « se méfier du discours des Nations unies« .
Et le rapport 2020/2021 d’Amnesty International sur la situation des droits humains dans le monde publié mercredi ne devrait pas arranger ses relations avec certains dirigeants étrangers.
Dans ce document de 500 pages, l’ONG en accuse plusieurs d’avoir profité de la pandémie de Covid-19 pour intensifier la répression des droits humains. De la Hongrie aux pays du Golfe en passant par les Philippines, de nombreux pays en prennent pour leur grade.
Sur la France – elle y est née en mars 1963 – Agnès Callamard ne mâche pas ses mots non plus. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian ? « Je ne saurais même pas dire qu’il a pu défendre » les droits humains au « moins une fois« , tançait-elle dans un entretien au Monde l’an dernier.
– « Neutre ? pas possible » –
« La diplomatie française n’est plus ce qu’elle a été sur de nombreux dossiers liés aux droits« , confirme-t-elle aujourd’hui, avant d’adresser un « carton rouge » au gouvernement français dont les politiques détruisent selon elle « à petit feu » des « valeurs qui devraient fonder toute société« .
Des valeurs apprises auprès de sa mère, institutrice, qui lui transmettra le goût de la justice sociale, et de manière posthume auprès de son grand-père, résistant fusillé en août 1944 à qui elle rendra hommage chaque année, enfant, en allant sur le lieu de son exécution.
Une fois diplômée de Sciences-Po Grenoble, elle fera un parcours sans faute qui la conduit aux États-Unis, au Canada ou au Malawi, multipliant les expériences au sein d’HAP International, d’Article 19 et d’Amnesty International, avant d’être nommée en août 2016 rapporteure spéciale de l’ONU.
« Elle n’a pas froid aux yeux et c’est sa force« , souligne une source à Amnesty qui se félicite de l’arrivée de cette « figure » qui « n’hésite pas à interpeller directement les dirigeants sur Twitter comme ailleurs« .
Face à la pression et aux menaces, beaucoup auraient déjà plié bagage. A-t-elle songé, un jour à raccrocher ? « Jamais« , jure cette femme réputée « pugnace » et connue pour son franc-parler.
Au moment d’être prise en photo dans les locaux d’Amnesty France, Agnès Callamard retire ses lunettes rondes et bleues à bord rouge et ajuste son perfecto fuchsia à l’aide d’un scotch. Invitée par le photographe à adopter un « regard neutre« , elle ironise: « Je ne peux pas. Je peux être en colère, énervée ou aimante mais neutre ce n’est pas possible« .
Source : AFP / Orange