Plus de 90 % des Antillais présentent des traces de ce perturbateur endocrinien. Cet empoisonnement, qui touche aussi les écosystèmes, a été décidé en connaissance de cause au plus haut niveau, souligne Stéphane Foucart dans sa chronique.
— Par Stéphane Foucart —
Chronique. S’agit-il d’un scandale d’Etat ? Ces mots sont si galvaudés qu’il faudrait sans doute plutôt parler de crime, ou de honte d’Etat. L’affaire du chlordécone revient à intervalles réguliers dans l’actualité nationale, suscitant de brèves bouffées d’indignation, avant de retourner invariablement à l’oubli. Cette semaine, l’enquête publiée par Le Monde, sous la signature de notre collègue Faustine Vincent, a remis l’affaire en lumière, mais, dans quelques jours, le flot des événements l’ensevelira de nouveau.
Aux Antilles, au contraire, elle ne disparaît jamais des esprits. L’inquiétude et la colère sont là pour durer. A juste raison. Le chlordécone est ce pesticide très persistant, utilisé massivement dans les bananeraies ultramarines entre 1972 et 1993 – il était alors interdit à peu près partout ailleurs. Il imprègne aujourd’hui, sur de vastes territoires de Guadeloupe et de Martinique, les sols, les eaux de surface et souterraines, la faune domestique et sauvage, les écosystèmes marins côtiers.
Les Antilles contaminées pour quatre siècles
Les humains ne font pas exception. Plus de 90 % des Antillais présentent des traces de ce perturbateur endocrinien, parfois à des niveaux tels que des conséquences sanitaires graves sont une quasi-certitude. Des travaux suggèrent un doublement du risque de cancer de la prostate pour une grande part de la population masculine, un effet négatif sur la cognition et la motricité fine des enfants exposés in utero… L’essentiel du désastre n’est pas documenté ; une part immense de ses dégâts est – et demeurera – littéralement incalculable. Un chiffre donne en tout cas toute la mesure du problème : la contamination des Antilles durera quatre à sept siècles – le temps que la molécule se dégrade.
Saisir la situation dans toute son ampleur et son étrangeté produit un sentiment de sidération. Et ce d’autant plus que cet empoisonnement a été décidé en connaissance de cause. Dans une analyse des archives du ministère de l’agriculture publiée en 2009, Matthieu Fintz, alors sociologue à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), a montré que, dès la fin des années 1960, la persistance des substances organochlorées dans l’environnement et la chaîne alimentaire était non seulement bien connue des experts de la défunte « commission des toxiques » (ou « ComTox »), mais qu’elle était aussi une source d’inquiétude….
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