Julie Ostan-Casimir est Psychologue clinicienne (Paris ,1978), Docteur en psychologie de l’enfant et de l’adolescent (Paris, 1983), Docteur en psychopathologie et psychologie clinique (Toulouse, 2006). Elle publie « Adolescents dans la tourmente », Troubles des conduites et des comportements, aux K. Editions,nov. 2013 ( ISBN : 9782918141341)
Entretien autour de son livre :
_Madinin-Art : 1) Vous êtes Psychologue clinicienne, et vous travaillez en Institut Médico-pédagogique (IMP) et en Institut Médico-professionnel (IMPRO) ?
Julie Ostan-Casimir : Oui, Je suis Psychologue clinicienne et Madinin-Art a déjà publié un entretien à propos de mon ouvrage, sorti en 2009 : « Ces enfants en échec scolaire massif ». Je présente des enfants, orientés vers ces Instituts, autrement que réduits à un manque, à une insuffisance. Aujourd’hui, je souhaite parler d’adolescents dans la tourmente.
M’A : Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Julie Ostan-Casimir : J’appartiens à des équipes pluridisciplinaires, et ce livre dédié à mes collègues, m’a semblé un moyen pour dire des difficultés du terrain, mais surtout exprimer la richesse de l’expérience clinique. Une enquête sur le terrain me permet de faire le lien entre la théorie et la pratique. Il est important de notifier qu’il n’est aucunement question de généraliser l’étude à tous les adolescents qui souffrent d’un trouble, voire à stigmatiser toute la population jeune en Martinique.
M’A : Pourquoi ce titre : « Adolescents dans la tourmente » ?
Julie Ostan-Casimir : Nous assistons dans les Régions à une suite de désordres à des degrés divers, mettant en cause des adolescents. L’ouvrage s’intéresse à la période. Face à l’angoisse que rencontre l’adolescent, le passage à l’acte est un moyen d’expression auquel il a recours plus particulièrement, les actes prenant différentes significations.
Il ne s’agit pas de développer de façon exhaustive la période adolescente, sa pathologie.
Comprendre la période, ses remaniements et leurs conséquences, pour mieux appréhender les modes de fonctionnement psychiques de certains qui manifestent un trouble des conduites et du comportement est l’objectif de l’ouvrage. Le fonctionnement est analysé au sein de l’organisation de la personnalité du sujet, expression de sa constitution psychique.
J’amène des éléments de réflexion pour analyser l’activité de penser des sujets, l’estime de soi, les relations sur un plan non conscient à soi et avec les autres, particulièrement les parents, l’adolescent devant se séparer nécessairement des attaches de l’enfance, les parents en premier pour instaurer de nouvelles relations, choisir de nouvelles personnes.
Si le sujet présente des défaillances dans sa construction, une estime de soi déficitaire, des sentiments de ne pas être aimé, accepté, il pourrait avoir des difficultés pour se réorganiser, pour constituer une image satisfaisante de lui-même, développer des relations et mettre en place des chaines signifiantes qui donnent sens aux situations.
Tourmentés, des adolescents évitent de penser (j’emprunte le concept de « phobie du penser »), luttent contre leur propre activité, vécue anxiogène, quelquefois dangereuse, source d’anxiété et d’angoisse. Des conduites viennent donc notifier des difficultés dans les rapports, signifier un profond malaise affectif. Elles indiquent aussi que la tension interne n’arrive plus à être contenue et ne s’accomplit que dans la décharge motrice.
M’A : Qu’entendez vous par « troubles des conduites et des comportements » ?
Julie Ostan-Casimir : Je fais référence au manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM IV), et à la classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent. Toutefois, l’histoire des adolescents révèle la complexité des situations qu’ils vivent et dépasse le caractère descriptif et apparemment simple des classifications.
M’A : Vous introduisez une analyse de la dynamique familiale et sociale de l’île ?
Julie Ostan-Casimir : Oui. J’ai souhaité introduire cette analyse afin de mieux considérer les relations dites œdipiennes, la période étant marquée par l’avènement de la puberté, l’éruption pulsionnelle, l’agressivité, la sexualisation des liens. Il ne s’agit pas de parler de la relation avec papa-maman, mais bien de réfléchir sur des rapports humains communs dans lesquels, amour, haine, désir, séduction, jalousie, rivalité, dépendance, indépendance écrivent leur présence. Et dans ces inter liens, vient s’ériger le tabou de l’inceste.
M’A : Vous abordez le problème de la délinquance, de la violence de l’agressivité ?
Julie Ostan-Casimir : Le trouble des conduites est facteur de risque de délinquance. La notion a comme intérêt de délimiter un cadre, afin de ne pas inscrire le jeune dans un parcours, de ne pas le stigmatiser par un comportement qui ne serait qu’accident de parcours. Il y a à laisser une marge d’erreur possible à des jeunes qui ont besoin de faire des expériences. L’activité délictueuse peut-être pour certains un rite de passage, reflet d’une crise qui se révèle, sonore, retentissante et tumultueuse. La délinquance ne fait pas le délinquant.
Sur un plan général, je me suis appuyée sur les recherches de l’Observatoire de la Santé en Martinique, pour présenter des statistiques concernant la consommation de produits toxique dans l’île, des jeunes. Il est question d’expérimentation et d’usage régulier.
M’A : Et l’agressivité ?
Julie Ostan-Casimir : Le concept est approché, ainsi que celui de « violence ». Les notions sont souvent confondues, toutefois le terme « violence » est notamment utilisé dans le champ juridique, le champ médical, psychologique, retient plus particulièrement celui de « agressivité ». Un modèle théorique, original à mon avis, donne un sens particulier aux notions. La violence se rapproche et se distingue à la fois de l’agressivité. Dès la naissance, la violence instinctuelle est mise en action. Pour Bergeret, la violence est liée à la notion même de vie. Violence naturelle, force vitale, elle n’a pas de connotation agressive. Ainsi selon l’auteur, le système de défense de Ghandi, est inscrit dans l’histoire comme un proto-type de non-violence, alors qu’il s’agissait d’un modèle violent sans dérapage agressif.
Lorsque la violence est mal intégrée et que le sujet passe les différents stades de son évolution, sans pouvoir l’élaborer, les conflits et difficultés qu’il rencontre dans son évolution rendent certaines étapes marquantes, avec des fixations qui maintiennent le fonctionnement imaginaire au niveau violent. Il apparait que l’agressivité issue de la perversification pathologique de la violence, devenue support d’une partie du désir et du plaisir, se manifeste par une érotisation sadique.
M’A : Pourquoi l’enquête sur le terrain ?
L’enquête inscrit des sujets ordinaires qui intègrent un groupe dit « contrôle » et des sujets qui intègrent un groupe dit « expérimental » qui souffrent de troubles du comportement. Les sujets sont évalués à l’aide de tests et entretiens. Les différences dans les évaluations ouvrent le lecteur aux modes de fonctionnements des sujets dits ordinaires, aux difficultés psychiques que rencontrent des jeunes, les histoires de vie racontées venant les préciser ; l’enquête intègre des jeunes qui ont subi précocement des apports éducatifs pauvres, des défauts d’encadrement, une insuffisance d’interactions affectives.
Pour l’évolution de l’enfant, un adulte doit nécessairement s’adapter dés la naissance à l’immaturité du bébé. La mère d’une façon générale sert de médiatrice. Elle est glorifiée, sacralisée, dans nos régions. Elle est la maman-doudou, fait figure de maman-sacrifice. C’est la maman « atoumo », qui guérit tous les maux, sur laquelle en contrepartie sont portés tous les mauvais mots. Des personnes jeunes ou adultes tuent ou se font tuer, car un autre a proféré de « gros mots sales » sur la personne de sa maman.
Seulement, la fonction de la mère reste tributaire de son mode de fonctionnement, de sa constitution psychique, des soutiens affectifs et moyens économiques dont elle dispose.
Il est observé sur le terrain, la difficulté qu’il y a pour des mères à faire face aux aléas de l’existence.
Dans cette enquête, des classes sont obtenues, fonction des profils.
L’analyse est surtout un moyen pour :
*Exposer l’intérêt du bilan psychologique, avec présenter les tests dont un projectif.
Le courant cognitif développemental est aussi mis à profit, pour déterminer le degré de décentration cognitive et les répercussions sur le processus de socialisation. La méthode, mais aussi les moyens mis en place par les auteurs, afin d’essayer de réajuster et d’augmenter le niveau des sujets dans le domaine moral et relationnel, sont exploités.
* Introduire des vignettes cliniques, des histoires de vie et ouvrir des perspectives. Il y a lieu de discuter du fonctionnement adaptatif des sujets, en termes de contrôle et de résilience du moi.
En définitive, l’enquête vient souligner les difficultés psychiques rencontrées par des adolescents, mais elle vient aussi signifier des évolutions, des possibilités d’ouvertures, exploitées par le suivi et l’accompagnement personnalisés des professionnels.
M’A : Pour quel public avez-vous écrit ce livre ?
Ce livre est à la portée du plus grand nombre. J’ai fais de gros efforts suite aux remarques de collègues, de personnes extérieures au domaine pour tenter de réaliser un travail de réflexion accessible à tous. Un résumé est établi en fin de chaque chapitre, et un glossaire est proposé en fin de l’ouvrage, pour donner sens aux concepts spécifiques. Des histoires de vie viennent aider à la compréhension.