— Par Janine Bailly —
Admiral T s’annonce pour un premier concert le 14 mai à vingt heures à l’Atrium, aussitôt les réservations s’envolent à la vitesse de l’éclair. Aussi un second concert est-il programmé pour la veille, même heure, même lieu : aussitôt les réservations s’envolent à la vitesse de l’éclair… Bon, d’Admiral T je possède un CD, « Toucher l’horizon » , acheté voici quelques années dans ma démarche de néophyte qui veut « tout découvrir des Antilles » où elle a « émigré ». Vite, je le ressors de la pile, l’enfourne dans le lecteur, et je constate que j’aime toujours, que de petites mélodies tenaces me sont restées gravées au tréfonds de la mémoire. Allez, courage, me voici partie pour le tour des agences Mobile Plus, qui seules délivrent le précieux sésame, voir si par hasard il ne resterait pas quelques billets à acheter… Dans la boutique, mes cheveux blancs ne semblent pas vraiment cadrer avec ma demande : comme il ne reste que quelques places séparées, il m’est fort gentiment donné le conseil d’appeler « les personnes pour qui j’achète les places », afin de savoir si elles acceptent de ne pas assister côte à côte au concert. Ce à quoi je rétorque en riant qu’elles sont pour mon mari et moi, ces places. Me vient alors quelque inquiétude, un léger doute me taraude, et mon rire se fige sur mes lèvres : ai-je bien fait de prendre une telle initiative ? Ne serait-il pas trop audacieux, déplacé, voire un tantinet ridicule, d’assister à mon âge à un tel concert ? Trop tard, la machine a déjà avalé ma carte bleue ! Plus de retraite possible ! Va falloir assumer !
Admiral T, de son vrai nom Christy Campbell, artiste guadeloupéen de reggae/dancehall/rap/hip-hop/zouk, poursuit une carrière internationale et vient de remporter un vif succès au Zénith de Paris avec son « I am Christy Campbell Tour ». Auteur-compositeur-interprète, producteur de musique, joueur de gwo ka et de guitare, styliste avec son épouse pour la marque de vêtements Wok Line, on le connaît aussi pour son rôle dans le film Nèg Maron de Jean-Claude Flamand Barny.
Bon, le soir du concert, jeans et baskets, nous partons bravement pour l’Atrium. De toutes les rues qui convergent s’avance une marée de jeunes gens, garçons et filles, filles surtout, filles sur leur trente-et-un, filles maquillées-court vêtues, filles endimanchées-armées de sourires lipstickés, filles en ballerines ou sur talons haut perchées. La grande salle Aimé Césaire s’emplit peu à peu de cette foule bigarrée, bruissante, bruyante mais étonnamment bien disciplinée : « Où donc sont les jeunes bad-boys que vous m’avez promis ? », aurait innocemment demandé la Jeune Veuve du bon Monsieur La Fontaine. Quant à moi, me voici rassurée, car à l’exception de quelques sourires en coin à nous destinés, nul ne prête attention à la dame respectable que je suis aujourd’hui !
Une demi-heure plus tard, la scène s’illumine et les premiers sons font, au propre comme au figuré, vibrer tout l’Atrium. Suivront deux heures d’un concert-spectacle extrêmement bien rodé. L’artiste « fait le show », se donne à fond, débordant d’énergie et de chaleur, serrant des mains qui se tendent au bord de la scène, descendant dans son public ou lui parlant entre ses prestations. Et l’on vibre à écouter cette voix puissante qui passe de la violence à la douceur, du cri à la tendresse lorsqu’il entonne cette ode au lien qui doit unir les pères à leurs fils, texte émouvant chanté en français exceptionnellement, l’essentiel du répertoire d’Admiral T se faisant en cette langue créole dont il se veut le défenseur. Tout est réglé au cordeau, enchaînement des morceaux, perfection de l’acoustique, jeux de lumières, chorégraphies pour le groupe de danseurs qui accompagne l’artiste. Et c’est merveille de voir toute cette belle jeunesse qui s’est levée pour une danse immobile, et qui d’une seule voix accompagne Admiral T, puisqu’aussi bien, nombreux sont ceux et celles qui connaissent sur le bout du cœur toutes les paroles des chansons entendues. Tendre moment enfin que celui où deux petits bonhommes de dix ans, deux jumeaux déjà habités par le rythme, rejoignent Papa sur scène, l’un des deux usant de la batterie comme un pro, l’autre s’essayant au synthétiseur.
Alors qu’importe ce que pourrait m’en dire quelque esprit chagrin, ce soir-là, oui, j’ai oublié pour quelques heures le temps qui passe, oublié la vie qui tue les enthousiasmes, et trouvé la source où prendre un bain de Jouvence !
Janine Bailly, Fort-de-France, le 18 mai 2015