« Moi Dispositif Vénus », création d’Adeline Flaun : pour les grands, on vous dit !
– par Janine Bailly –
De la dystopie, imparfaitement aboutie et selon laquelle, dans une société futuriste le corps physique idéalisé des femmes serait devenu la “marchandise” suprême, irriguant de ses potentialités sexuelles des réseaux sociaux exclusivement dédiés au commerce et de la chair et de Vénus, on retiendra avant tout qu’elle permet un dispositif d’écrans orientables et mobiles, sur lesquels se projettent des silhouettes aux formes exacerbées, se mouvant en dimensions agrandies, et qui sur le plateau prennent à intervalles plus ou moins réguliers le relais de la comédienne, une voix langoureuse susurrant alors ce que, selon les clichés en vogue, sont censées dire à leurs “clients” de virtuelles péripatéticiennes… Une phrase revenant en leitmotiv, – dont je n’ai pas gardé les mots mais le sens – pour affirmer qu’ensemble “elle et lui” ont passé un bon ? un beau moment ?
De l’histoire intime aux accents peut-être autobiographiques ; de ces moments éparpillés, contés plus que joués et qu’il faudrait remettre bout à bout dans l’espoir de reconstituer ce qui, dans la réalité, serait une vie, mais au théâtre une intrigue ; de ce spectacle un brin en forme de manifeste, et qui des femmes voudrait tout dire, trop dire, parcourant le chemin qui mène d’une enfance blessée à une maturité par avance redoutée ; de ce spectacle, composite à tel point qu’il finit par manquer de construction dramatique et qu’en dépit d’un dispositif “d’avant-garde” jamais il ne quitte le terrain de la réalité transcrite en son premier degré ; de tout cela donc, étiré sur une heure et demie, on retiendra la volonté de dire, sans fard et non sans un certain courage, habillée ou demi-nue, les choses du sexe, consenti ou non, douloureux ou non, tarifié ou non, mais en apparence le plus souvent agressif, à l’opposé des sentiments et d’une quelconque aspiration à devenir l’être “aimé d’amour” – ainsi le disait Édith Piaf – rose romanesque et tendre… Comme une lointaine réminiscence de Virginie Despentes, – sans la force démesurée ni la capacité d’invention cependant – jusque dans l’évocation de possibles amours / relations lesbiennes de rencontre…
Enfin, surfant sur le nom de Vénus, la Vénus sortie des eaux, le spectacle discourt en se se référant à la mythologie, plaignant celle-ci qui, déesse venue au monde dans son âge adulte, s’est vue hélas privée de son enfance, femme tout de suite, femme sans préambule, corps sublime mais bientôt tout de go destiné à la procréation… Car victime toujours doit apparaître la femme, victime et en colère… fût-elle céleste ! Quitte à plonger dans nos racines mythologiques, la comédienne évoquant à plusieurs reprises dans sa narration les liquides ou sucs du corps, il eût été loisible de relier le propos à la légende selon laquelle la Vénus romaine, héritière de l’Aphrodite grecque, est issue du sang d’Ouranos – de son sperme, disent d’autres sources –, Ouranos le dieu blessé par son fils, le Titan Cronos, qui pour protéger sa mère Gaïa, trancha à son père les testicules et les jeta à la mer… Tout un symbole ! Quelques gouttes tombées dans l’eau suffirent à engendrer la déesse, d’évidence “blonde”, “aussi blanche que l’écume des vagues”.
De lien entre les trois propositions que j’évoque ci-dessus, je n’en ai guère trouvé, mais sans doute n’en fallait-il point chercher, se laisser porter plutôt par les images, les sons, et parfois même par les mots. Regarder aussi, se laisser conduire par ces passages où danse le corps d’Adeline Flaun, quand les gestes prennent avantageusement le relais d’une parole par trop convenue, aujourd’hui tellement entendue qu’elle en perd parfois de sa force revendicatrice et libératrice… Car non, toute enfance n’est pas malheureuse et griffée ; non, sexe et amour, ce n’est pas exactement pareil ; non, toutes les femmes ne se croient pas humiliées d’être soumises au flot menstruel, comme il est aussi des mères qui savent expliquer et dédramatiser pour leur fille l’âpreté de ce moment ; non, tous les hommes et toutes les relations soient-elles uniquement sexuelles ne sont pas à mettre dans le même panier – et j’ai apprécié que l’appel final à la sororité inclue aussi l’autre sexe ; et non, comme on l’a bien vu récemment dans le superbe film « Deux », qui chante les étreintes tissées, les baisers échangés entre deux femmes vieillissantes, l’âge qui vient ne signifie pas que ruine des corps ni début des amours mortes… Parole de mère-grand qui défie le méchant loup !
Fort-de-France, le 24 mars 2021