— Par José Alpha —
En écoutant André Lucrèce, écrivain et sociologue, le 31 mars dernier à l’Atrium de Fort de France en ouverture des Rencontres théâtrales 2009 en Martinique, sur « le Théâtre de Shakespeare et la cérémonie de la violence », la question de l’utilité de la représentation théâtrale dans notre société, s’est imposée à deux niveaux.
Le premier : comment expliquer la crise qui maltraite depuis trop longtemps le théâtre public en Martinique, comme ailleurs du reste ? Le second : quels ressorts permettront à la théâtralisation du drame humain de répondre au besoin de théâtre que la vie collective produit à une densité si haute ?
A travers la rencontre exposée par le conférencier entre la violence des situations, des intrigues et des personnages dans le Théâtre de Shakespeare et la « sauvagerie sociale que chaque société tend le plus souvent à surmonter en se lançant le défi dans des œuvres de civilisation comme le théâtre », deux écrivains témoins de leur époque, William Shakespeare et Antonin Arthaud, séparés par plus de 3 siècles, mais disparus tous deux à l’age de 52 ans, ont en effet raconté les actions des hommes et peint chacun à leur manière, les moeurs de leurs époques respectives.
Selon André Lucrèce, « ce qui intéresse Arthaud pour lequel le monde moderne est en effet un monde catastrophique, qui provoque angoisse et inquiétude, représenté dans son Théâtre de la Cruauté, (…) c’est précisément la « cruauté » sociale présente chez Shakespeare comme expression de la conscience d’une époque, l’expression du conflit primordial et permanent qui déchire le monde, car il s’agit bien d’un conflit de valeurs ».
En paraphrasant Antonin Arthaud, le conférencier a précisé avec pertinence, que la seule manière de mettre en scène les grandes forces de système qui écrasent l’homme après avoir tissé leurs toiles d’araignée, c’est de faire en sorte que le côté logique et discursif de la parole disparaisse sous son côté physique et affectif. Telle est « la grande recommandation d’Arthaud si l’on veut pratiquer un théâtre qui puisse restituer la violence des forces qui traversent l’esprit humain. »
Tandis que les mots de Shakespeare servent une technique fondamentale: celle de la visualisation qui nous met en prise directe avec la tragédie avec son accélération du temps et ses unités de personnages et de caractères, André Lucrèce, conclue en nous renvoyant à l’actualité de notre pays. « Ne sommes-nous pas au cœur de l’enjeu même de la civilisation, au cœur du déchirement du monde moderne, entre réalisation inédite et désenchantement ?» Tous ces crimes dits « passionnels », ces meurtres, ces viols, ces massacres d’enfants, objets de stupeur et d’effroi, ne nous amènent-ils pas à une réflexion sur la folie des hommes et sur leur prétention à fréquenter celle des dieux, demande le sociologue ?
C’est alors qu’apparaît l’évidente réponse à la question de l’utilité de la représentation théâtrale dans notre société contemporaine, autant que les solutions portées à la question de l’éloignement du public. Ce qu’il faut c’est de permettre au théâtre de retrouver le contact populaire en le portant davantage dans les lieux publics ouverts, de le pratiquer comme un outil d’éducation, de formation et de divertissement populaire qui traite les enjeux du présent et qui place l’expérience collective avant celle du particulier et de la singularité. Ainsi apparaîtront « les voies du dénouement de la crise ». Cette conférence devrait être, à mon sens, programmée autant dans les institutions éducatives que dans les formations culturelles et artistiques et portée par l’édition à la connaissance du plus grand nombre.
le 05 avril 2009