Que cherche la branche extrémiste du patronat ?
Tribune de Philippe Pierre-Charles, secrétaire général CDMT
Il faut bien parler d’une branche extrémiste du patronat par comparaison avec ceux qui, bon an mal an, échangent, discutent, négocient, signent des accords avec ou sans grève. Il est même des médiateurs qui se félicitent de réussir… à cent pour cent la conciliation des parties après conflit.
La branche extrémiste quant à elle défraye plus souvent la chronique, car ses hauts faits provoquent des remous à répétition et s’étalent dans la presse avec une navrante banalité. Dans ses entreprises, en plus des compréhensibles tensions de classe, règne un climat de guerre sociale larvée. Les négociations annuelles obligatoires (NAO) se concluent rarement, les grèves durent ou se répètent, les huissiers, gendarmes ou policiers, ne sont jamais loin ; les tribunaux sont mobilisés ; leurs avocats prospèrent ; les entraves au dialogue font partie de leur arsenal ordinaire. C’est aussi le temps où des patrons de plus en plus nombreux refusent carrément les médiations, narguant ainsi sans crainte l’inspection du travail, voire le tribunal, comme à la SME !
Même s’il n’est pas aisé de les départager, il semble que le patron des magasins Roger Albert-Nocibé occupe en ce moment le haut du pavé. « Il y a toujours une nouveauté chez Nocibé » dit la pub de ce négoce du haut de gamme. Promesse tenue : cette année, la nouveauté c’est … le licenciement de représentants des salariés ! Pour l’une des deux victimes, le patron assuré de l’impunité pousse la coquetterie jusqu’à lui nier la qualité de membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), se dispensant ainsi de l’obligation légale de l’autorisation de l’inspection du travail. Or la salariée était jusqu’ici régulièrement convoquée à ce comité !
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le bataillon des patrons extrémistes ne se compose pas véritablement d’employeurs « en difficulté « . On en est souvent très loin, et dans bien des cas il est clair que ce sont les attitudes patronales qui entraînent des baisses de compétitivité et de chiffre d’affaires, et qui altèrent durablement l’image de leur entreprise. Prenons le cas de Monsieur Albert, la difficulté c’est tout simplement qu’il ne sort pas d’un schéma datant du temps des bitasyon où le rôle assigné à l’ouvrier était de trimer sans oser regarder les profits du maître des lieux, en se contentant de dire « mèsi mêt » à chaque miette accordée. Il s’agit évidemment d’une difficulté dont il est seul responsable, car on se doute bien que le commerce de luxe s’accommode mal du désagréable climat de conflictuel entretenu par son archaïsme social.
Les choses s’aggravent quand on observe la contagion des méthodes belliqueuses Albert-Nocibé sur d’autres enseignes.
À la clinique Sainte-Marie, on n’avait encore jamais vu de patron user de la méthode des autolicenciements au moyen de ruptures soi-disant conventionnelles, violant la loi interdisant de procéder de la sorte à des licenciements « économiques » (?!) déguisés.
Au Crédit moderne, les NAO se passaient entre gens courtois avec à l’occasion de brefs débrayages. Aujourd’hui voici venu le temps des huissiers, des assignations, et pour tout dire du mépris. Comment qualifier autrement cette façon du patron qui au terme d’une négociation prétexte la fatigue pour ne pas signer un accord verbal et, le lendemain soir, d’en transformer le contenu lors du passage à l’écrit pour ensuite refuser d’en rediscuter en réunion ?
Qui peut croire une seconde à des problèmes économiques des trois entreprises citées ? Qui peut croire que la SOMES est victime de ses difficultés économiques quand on sait que le patron, plus « géreur » que manager, se permet l’irruption dans une réunion de grévistes, avec la ferme conviction que « zié bétché brilé zié nèg » ?
Et en quoi, les difficultés de l’hôtellerie, affirmées par le groupe Fabre, justifient-elles le refus de la direction de mettre en place un Comité de groupe pour permettre aux salariés d’y voir plus clair ? En quoi les difficultés alléguées par Monplaisir ou par les distilleries ou les grandes surfaces et ailleurs, sont-elles une justification du non-respect de la loi en matière de requalification des contrats précaires à répétition sur de longues années ? D’ailleurs, les agissements des extrémistes paraissent si insensés que dans bien des cas on peut légitimement se demander s’il ne s’agit pas de tactiques justifiant des « restructurations », des « plans sociaux » ou carrément des dépôts de bilan artificiellement provoqués.
Il est bien vrai que le toupet desdits extrémistes et de leurs imitateurs est puissamment encouragé par un gouvernement qui tire à vue sur les travailleurs, déchiquette constamment le droit du travail, fait des courbettes aux patrons, et par des tribunaux souvent acquis à la criminalisation du mouvement syndical. Bien vrai aussi que trop peu d’élus, chefs de partis ou les deux à la fois, ont la curiosité d’aller sur le terrain social pour constater par eux-mêmes ce qui s’y passe, trop occupés qu’ils sont par un quotidien plus immédiatement utile. Se demandent-ils par exemple quelle est la pertinence des mesures en faveur du retour au pays des jeunes diplômés, quand on sait qu’en même temps ceux qui y sont déjà émigrent avec amertume, après la désillusion des contrats à durée déterminée (CDD) à répétition, les temps partiels, après la ronde désabusée de formations sans perspective. Mais l’ignorance en la matière n’est pas une vertu. En tout cas, ces responsables n’auront ni les mains, ni la conscience bien nettes, lorsque l’accumulation de matières inflammables devant laquelle les patrons extrémistes promènent avec légèreté leur allumette enflammée, provoquera la fatale explosion. Nul besoin d’être un grand sociologue pour comprendre que cette issue est inscrite dans la situation ainsi créée, comme le tonnerre dans le ciel orageux.
Les chefs de file de diverses officines patronales, à l’instar de certains politiques et cadres administratifs qui nous rabâchent à longueur de journée les dommages collatéraux réels ou imaginaires de février 2009, risquent d’être alors à la recherche de « partenaires compréhensifs » pour tenter de canaliser la colère résultant des comportements irresponsables ici dénoncés.
Vont-ils en trouver ?
Fort-de-France le 2 juillet 2015
Philippe Pierre-Charles
Secrétaire général CDMT