La conférence donnée lundi 28 décembre au parc de Tivoli avec la sortie récente du livre de Marie-Andrée Concy « Santé verte, la médecine traditionnelle créole », est pour nous l’occasion d’inviter à sa lecture et d’aborder la problématique de la pharmacopée traditionnelle martiniquaise dans son rapport avec la médecine moderne.
Si nous sommes solidaires des initiatives visant la promotion de notre « médecine et pharmacopée traditionnelles » (MPT) et du réseau caribéen Tramil, ainsi que de leur acharnement et lutte pour exister , légitimer et valider institutionnellement leur activité à côté de la médecine allopathique, nous devons néanmoins interpeller et remettre en cause l’organisation dominante actuelle à l’échelle mondiale, du secteur de la santé et des intérêts financiers qui lui sont liés.
Toutefois, si l’utilisation et la valorisation des pratiques et produits traditionnels s’est poursuivie et a conduit à une forme de légitimation larvée auprès des institutions de santé, notamment auprès de l’OMS, il reste qu’en dépit de leurs avancées et de leur lutte pour être reconnue, cette médecine et pharmacopée traditionnelles font face à une grande adversité qui pourrait être résumée ainsi : pot de terre contre pot de fer, ou médecine de riches contre médecine de pauvres…
Une lutte et un affrontement de fait, car même si les partisans de chacun des deux grands groupes de médecine préfèrent parler de nos jours de complémentarité plutôt que d’affrontement, la réalité est différente et saute aux yeux.
Dans l’état actuel des choses, la médecine moderne adossée à l’industrie pharmaceutique, ou plus exactement l’industrie et les laboratoires pharmaceutique, avec la médecine moderne comme alliée nécessaire, fait tout pour limiter la MPT, et ne va nullement se laisser déposséder d’un type d’activité qui fait de ce secteur de la santé tel qu’organisé, l’une des industries mondiales les plus rentables, et surtout la base de la richesse et de la toute puissance des lobbies capitalistes de la santé. Dès lors, ce ne sont pas, dans l’état actuel des rapports de forces, les concessions relativement modiques faites aux médecines traditionnelles – en dehors du circuit de la médecine des pays riches – qui changeront grand-chose à la domination de la médecine moderne.
Il suffit de voir, avec la pandémie du Covid 19, comment l’ensemble des pays capitalistes dominants se sont mobilisés pour mettre en place des stratégies pour tenter de freiner la diffusion de l’épidémie, notamment mettre en place des mesures dures pour éviter des scandales sanitaires majeurs, et permettre ainsi de mesurer les enjeux.
Un branle-bas de combat international inconnu s’agissant des pays du Sud, alors que depuis des décennies, leurs populations qui connaissent un certain nombre de maladies endémiques, meurent bien au-delà du nombre de morts liés au Covid, car ne bénéficiant pas du même traitement. Preuve s’il en était besoin, de ce que représentent, au niveau des dominants, les vies respectives des populations du Nord et du Sud, avec la nette « démonstration de l’égoïsme des pays riches, capables de prendre des mesures radicales uniquement quand leurs populations sont concernées ».
Une donne qui montre, s’agissant de MPT, que pour la médecine dominante liée au système capitaliste mondial, il est de son intérêt de laisser une fenêtre ouverte aux médecines traditionnelles qui ne la concurrence pas (ou peu), ces dernières s’adressant à l’immense majorité de la population mondiale en état de pauvreté et de non solvabilité, et donc sans trop d’impact sur la domination et les profits du secteur libéral dominant.
Ensuite, sur la prévention et l’éducation sanitaire. Même si les deux protagonistes en question évoquent la prévention (et l’éducation sanitaire) comme domaine essentiel pour une bonne santé, force est de constater que dans les deux cas (pour des raisons différentes), le curatif prime le préventif.
Ce que montre d’ailleurs très clairement l’exemple français avec la diminution, dans le budget de la santé 2021, de la part consacrée à la prévention et au secteur de santé publique, pourtant à l’origine depuis le milieu du XXème siècle, de l’augmentation de l’espérance de vie.
Enfin, sur la maladie chronique qu’est le capitalisme, des défenseurs et militants MPT, on serait en droit d’attendre, à défaut d’une remise en cause du système capitaliste, un signalement fort des causes socio-économiques, environnementales de la mauvaise santé, de la dégradation de celle-ci, aussi bien chez nous, qu’à l’échelle mondiale.
Comment en effet, aussi bien dans les pays riches (dans certains secteurs essentiellement) que dans les pays pauvres, ne pas voir la relation entre d’une part l’existence et la ténacité de certaines maladies, et d’autre part les conditions déplorables de vie et de travail de l’immense majorité des populations des deux catégories de pays ?
Comment par exemple, ne pas lier directement le développement du stress aux conditions inadmissibles de vie et de travail de l’immense majorité des populations surtout des pays développés ? Comment encore ne pas relier la réapparition d’un certain nombre de maladies dans certains milieux notamment, aux multiples dégradations sociales et écologiques de leur quotidien de vie ? Comment toujours, en milieu où les médecines traditionnelles sont plus développées qu’ailleurs, ne pas voir que le règlement du choléra, du paludisme…a à voir avec la question de l’accès à l’eau potable pour tous et toutes ? Comme avec l’absence d’accès aux services de santé, à l’assainissement…
Aussi, sans une remise en cause du système libéral de santé et du mode de prise en charge de la médecine et de la santé tant chez nous qu’à l’échelle mondiale, ne risque t’on pas en se contentant essentiellement de faire droit légitimement aux médecines et pharmacopées traditionnelles, de simplement poser un emplâtre sur une jambe de bois.
Que valent dans les conditions sociales actuelles de plus en plus dégradées pour le plus grand nombre, les soins et la bonne santé, si en lieu et place d’une molécule chimique, on utilise des plantes (rimèd razyé… dont l’efficacité thérapeutique n’est pas nécessairement discutable) sans rien toucher aux conditions de travail et de vie quotidiennement plus insupportables, et si les politiques mises en œuvre continuent de faire de faire la part belle aux lobbies et laboratoires pharmaceutiques. A savoir que l’on continue de faire de la santé une marchandise comme une autre, donnant ainsi la priorité au profit sur nos vies.
Aujourd’hui, ne pas discriminer la pharmacopée et médecine traditionnelles vampirisés pour les seuls intérêts du capital et leur donner les moyens de leur développement ; agir pour l’obtention de droits nouveaux pour la population, et pour une prise en compte des causes économiques, sociales et environnementales de la maladie et de la mauvaise santé ; cesser de faire de la santé une marchandise… tout cela nécessite de remettre en cause l’organisation libérale actuelle de la santé, et d’opter vers un véritable service public de santé, dont la nationalisation de l’industrie pharmaceutique constitue une des facettes majeures.
Max Dorléans (GRS)