Le traitement lexicographique du créole dans le « English Haitian Creole Legal Glossary » de Jean-Robert Cadely et Joelle Haspil
— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —
« (…) Il n’est pas de production de connaissance robuste et fiable hors du collectif de scientifiques qui s’intéressent aux mêmes objets, faits et questions. La connaissance scientifique doit être mise à l’épreuve et vérifiée par des collègues ou pairs compétents, à savoir ceux qui sont préoccupés par les mêmes questions ou sont pour le moins familiers de la démarche scientifique concernant la matière spécifique (…). » (« Les sciences et leurs problèmes : la fraude scientifique, un moyen de diversion ? », par Serge Gutwirth et Jenneke Christiaens, Revue interdisciplinaire d’études juridiques, volume 74, 2015/1).
Publié en 1999 par Educa Vision Inc dont le siège social se trouve en Floride, le « English Haitian Creole Legal Glossary » de Jean-Robert Cadely et Joelle Haspil est l’un des ouvrages bilingues anglais-créole du domaine juridique parus aux États-Unis. Dans notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » (Le National, Port-au-Prince, 21 juillet 2022), nous avions répertorié 64 dictionnaires et 11 lexiques, soit un total de 75 ouvrages auquel désormais il faut adjoindre le 76ème, le « New Jersey Judiciary Glossary of Legal (and Related) Terms – English/Haitian creole » (juillet 2023), le 77ème, le « Haitian–Creole Glossary of Legal and Related Terms » du National Center for Interpretation (University of Arizona Press, 1998) ainsi que le 78ème, le « English Haitian Creole Legal Glossary» de Jean-Robert Cadely et Joelle Haspil. Sous réserve d’une future évaluation analytique, plusieurs autres ouvrages pourraient éventuellement s’ajouter à notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » ; ce sont : (79 ?) le « Leksik Angle/Kreyol pou entèprèt ayisyen nan tribinal », de Joelle Haspil, Éditions Fardin, 2004 [1999] ; (80 ?) le « Criminal law forms in Haitian Creole / Fòm pou lwa kriminèl » (Massachusetts Court System, février 2016) ; (81 ?) le « Haitian Creole Legal Document Translations » (Trustworthy Haitian Creole Legal Translations for Documents), du Creole Solutions Company, non daté, accessible en ligne.
Dans la stricte observance des règles méthodologiques de la lexicographie professionnelle, nous avons procédé à l’évaluation de l’ouvrage élaboré sous les auspices du New Jersey Courts, le « New Jersey Judiciary Glossary of Legal (and Related) Terms – English/Haitian creole », et cette évaluation porte le titre « Le naufrage de la lexicographie créole au « New Jersey Judiciary Glossary of Legal (and Related) Terms – English/Haitian Creole » (Rezonòdwès, 16 septembre 2023). Selon le même modèle, nous avons également effectué une présentation analytique du « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » du National Center for Interpretation (University of Arizona) sous le titre « Le traitement lexicographique du créole dans le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » (Madinin’Art, 26 septembre 2023).
Première partie / Éclairage notionnel préalable
Il est utile de rappeler que toute science doit dénommer avec clarté son objet, ses méthodes et les notions qui circonscrivent le champ de connaissances qu’elle explore. Ainsi, les notions de « glossaire », « glose », « lexique », « dictionnaire », « vocabulaire » (général ou spécialisé) appellent un éclairage notionnel préalable afin de bien évaluer une production lexicographique unilingue ou bilingue. Les ouvrages bilingues anglais-créole du domaine juridique parus aux États-Unis portent tous, sauf une exception, le titre générique de « Glossary » alors même qu’ils sont des lexiques bilingues anglais-créole, des répertoires de termes simples ou complexes anglais suivis de leurs équivalents créoles : ce type de listage alphabétique de termes créoles ne fournit pas de définitions. Le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française définit comme suit le terme « lexique » : (1) « Ensemble des mots d’une langue » [équivalents anglais : (a) « lexicon » et (b) « vocabulary »]. « Les termes lexique et vocabulaire peuvent aussi désigner l’ensemble des mots connus et utilisés par une personne ou une collectivité » ; (2) « Répertoire de termes appartenant à un domaine, accompagnés de leurs équivalents dans une ou plusieurs langues, et qui ne comporte pas de définitions » [équivalent anglais : « lexicon »]. En ce qui a trait au terme « lexique », TermiumPlus, la banque de terminologie du Bureau de la traduction du gouvernement canadien, fournit trois fiches : (1) le terme anglais « glossary » a pour équivalent français « lexique » ainsi défini : « Répertoire bilingue ou multilingue de termes appartenant à un domaine de connaissances, et ne comportant pas de définitions » ; (2) le terme anglais « lexicon » a pour équivalent français « lexique » ainsi défini : « L’ensemble des mots d’une langue [ou d’un auteur] » ; (3) le terme anglais « lexis » a pour équivalent français « lexique » ainsi défini : « Comme terme linguistique général, le mot « lexique » désigne l’ensemble des unités formant la langue d’une communauté, d’une activité humaine, d’un locuteur, etc. À ce titre, « lexique » entre dans divers systèmes d’opposition selon la façon dont est envisagé le concept ». Dans les fichiers du portail IATE, la base de données terminologique de l’Union européenne, le terme « glossary » a pour équivalent français « glossaire » et « lexicon » est traduit par « lexique ».
Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française (GDT) définit le terme français « glossaire » à la suite du terme anglais « glossary » : (1) « Dictionnaire, dans une langue déterminée de mots vieillis, rares, nouveaux ou mal connus ». Cette définition de « glossaire » débute par la mention « dictionnaire », ce qui signifie que le « glossaire » appartient à la catégorie « Dictionnaire » plutôt qu’à celle de « lexique » qui lui, tel que précisé auparavant, « ne comporte pas de définitions ». Le GDT note, pour cette définition générique du terme « glossaire », qu’« Un glossaire peut se présenter soit sous la forme d’un document autonome, soit sous la forme d’une annexe à un document ou à une partie de document ». Le GDT précise que le terme « glossaire » ainsi défini appartient au domaine générique de la linguistique et au sous-domaine « répertoire lexicographique et terminologique » ; il a été normalisé en 1983 par l’Association française de normalisation, l’AFNOR. Le GDT consigne également une fiche terminologique portant sur (2) le terme anglais « glossary » qui est suivi de la mention « terme associé » : « gloss » ; l’équivalent français de « glossary » est « glossaire » ainsi défini : « Répertoire des termes tirés d’un corpus pour leur difficulté de compréhension et pour lesquels il est donné un synonyme connu ou une explication ». Cette définition de « glossaire » ne l’assimile donc pas à la catégorie « lexique », elle comprend l’incluant initial « répertoire » et elle n’inclut pas le trait définitoire « bilingue », ce qui illustre bien que selon la tradition lexicographique la plus ancienne un « glossaire » est un document unilingue. Cela est attesté par la mention « terme associé » de la précédente définition, et « gloss », dans le Larousse bilingue anglais-français, a pour équivalent français « glose ».
Le dictionnaire Larousse définit ainsi le terme « glose » : (nom féminin, bas latin glosa, du grec glôssa, langue) : « Explication de quelques mots obscurs d’une langue par d’autres mots plus intelligibles » ; « Commentaire servant à l’intelligence d’un texte ». Pour sa part, le dictionnaire USITO de l’Université de Sherbrooke définit ainsi le terme « glose » : « Courte annotation portée sur la même page qu’un texte, destinée à expliquer le sens d’un mot inintelligible ou difficile, à éclaircir un passage obscur ». Quant à lui, le Dictionnaire de l’Académie française définit « glose » de la manière suivante : « XIIème siècle. Emprunté, par l’intermédiaire du bas latin glosa, glossa, « terme rare ; explication d’un terme rare », du grec glôssa, « langue », et, en grammaire, « mot rare ou dialectal ». 1. Explication d’un mot ou de quelques mots obscurs d’une langue par d’autres mots de la même langue. Glose marginale. Glose interlinéaire. Glose ordinaire, appliquée au latin de la Vulgate. Par extension : commentaire servant à l’intelligence d’un texte. La glose du droit canon. La glose d’une œuvre, d’un passage difficile ».
Le « Oxford English Dictionary » ainsi que le « Oxford Advanced American Dictionary » consignent la definition suivante du terme « glossary » : « Noun (plural : glossaries) – « a list of technical or special words, especially those in a particular text, explaining their meanings » – a glossary of financial terms » [« une liste de mots techniques ou spéciaux, notamment ceux d’un texte particulier, expliquant leur sens »]. De son côté, le « Cambridge Dictionnary » donne la définition suivante du terme « glossary » : « an alphabetical list, with meanings, of the words or phrases in a text that are difficult to understand » [« une liste alphabétique, avec explication de leur signification, des mots ou des phrases d’un texte qui sont difficiles à comprendre »]. Dans le « Cambridge Dictionnary », le terme « gloss » (noun – EXPLANATION) est ainsi défini : « an explanation for a word or phrase » – « Difficult expressions are explained in the glosses at the bottom of the page » [« Les expressions difficiles sont expliquées dans les gloses en bas de page »].
Il ressort de cet ample éclairage notionnel que dans le domaine juridique comme en d’autres domaines, l’appellation générique anglaise « glossary » en lieu et place de l’anglais « lexicon » est inadéquate et fausse, et elle conforte une grande confusion notionnelle entre deux catégories distinctes de production lexicographique. Au plan méthodologique, cette grande confusion notionnelle a donné lieu –dans plusieurs « glossaries » anglais-créole élaborés aux États-Unis–, à la confusion entre les unités lexicales (les termes) placées en entrée d’un lexique et deux types de phraséologie, la phraséologie d’équivalence et la phraséologie définitionnelle données comme équivalents lexicaux : une unité lexicale a pour faux équivalent une phrase en lieu et place d’un terme lexicalisé correspondant à la même notion. En voici quelques exemples :
TABLEAU 1 – Échantillon de termes anglais suivis d’une phraséologie d’équivalence OU phraséologie définitionnelle donnée comme équivalent lexical
Ouvrage | Auteur, date de parution et éditeur | Terme anglais |
Phraséologie d’équivalence OU phraséologie définitionnelle donnée comme équivalent lexical |
English – Haitian Creole Computer Terms / Tèm Konpyoutè : Anglè – Kreyòl | Emmanuel Vedrine, Creole Editions, 2006 |
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Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms | National Center for Interpretation, University of Arizona, 2018 |
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Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative | MIT – Haiti Initiative [2017 ?] |
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NOTE / La confusion entre les unités lexicales (les termes) placées en entrée d’un lexique et deux types de phraséologie, la phraséologie d’équivalence et la phraséologie définitionnelle données comme équivalents lexicaux est l’une des grandes caractéristiques de la « lexicographie borlette » promue par le MIT Haiti Initiative dans son fantaisiste « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » (voir les articles de Robert Berrouët-Oriol, « Le traitement lexicographique du créole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haïti Initiative » (Le National, 21 juillet 2020) et « Le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative » (Le National, 15 février 2022). Dans ces articles et ailleurs, nous avons amplement démontré que la « lexicographie borlette » promue par le MIT Haiti Initiative se caractérise pour l’essentiel (1) par l’ignorance assumée de la méthodologie de la lexicographie professionnelle, (2) par la promotion d’un pseudo « modèle » lexicographique de type Wikipedia inconnu dans l’enseignement et la pratique de la lexicographie à l’échelle internationale, (3) par la promotion d’un grand nombre de néologismes « créoles » fantaisistes, faux, irrationnels et non conformes au système morphosyntaxique du créole, et (4) par l’opacité structurelle et le caractère a-sémantique d’un grand nombre de pseudo équivalents « créoles » que le locuteur créolophone ne peut comprendre. La « lexicographie borlette » promue par le MIT Haiti Initiative dans son « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » est d’autant plus dommageable pour l’ensemble de la lexicographie créole que les rédacteurs-bricoleurs du MIT Haiti Initiative —dépourvus de la moindre compétence connue et mesurable en lexicographie créole–, prétendent fallacieusement mener une entreprise de néologie créole. En effet, l’élaboration du « Glossary » est présentée, sur le site du MIT – Haiti Initiative –au chapitre « Kreyòl-English glosses for creating and translating materials in Science, Technology, Engineering & Mathematics (STEM) fields in the MIT-Haiti Initiative »–, dans les termes suivants : « (…) l’un des effets secondaires positifs des activités du MIT-Haïti (ateliers sur les STEM, production de matériel en kreyòl de haute qualité, etc.) est que nous enrichissons la langue d’un nouveau vocabulaire scientifique qui peut servir de ressource indispensable aux enseignants et aux étudiants. Ces activités contribuent au développement lexical de la langue » créole » [Traduction : RBO]. Ces fallacieuses prétentions ne résistent pas à l’analyse comme nous l’avons exposé dans les articles ci-haut cités, et il est symptomatique que le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », depuis sa mise en ligne en 2017 (?), n’ait jamais été soumis à l’évaluation institutionnelle de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti ni à celle du Comité international des études créoles. Selon les données de terrain dont nous disposons, ce médiocre « glossary » n’a jamais pu s’implanter dans les écoles d’Haïti en dépit du fait que le MIT Haiti Initiative est aveuglément soutenu par le Département de linguistique du MIT où, faut-il le rappeler, aucun enseignant n’est spécialisé en lexicographie et où l’enseignement de la lexicographie n’est pas offert. Sur le site officiel du MIT Haiti Initiative, nulle part il n’est indiqué que les rédacteurs-bricoleurs du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » disposeraient d’une quelconque compétence en lexicographie générale et en lexicographie créole. Le site officiel du MIT Haiti Initiative ne comprend aucune étude consacrée spécifiquement à la lexicographie créole de 1958 à 2024 et aucun des lexiques, aucun des dictionnaires créoles publiés de 1958 à nos jours n’a fait l’objet au MIT Haiti Initiative d’une étude spécifique selon la méthodologie de la lexicographie professionnelle. Alors même que sur son site officiel le MIT Haiti Initiative prétend fallacieusement qu’il enrichit « la langue [créole] d’un nouveau vocabulaire » et que ses activités contribuent au « développement lexical de la langue [créole] », nulle part il ne précise les fondements scientifiques de cette prétendue activité néologique. Nous avons amplement démontré que la prétendue activité néologique du MIT Haiti Initiative ne repose sur aucune base scientifique et que la néologie comme discipline spécifique de la terminologie est un domaine inconnu des rédacteurs-bricoleurs du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative ». Nous avons rigoureusement démontré que c’est dans la plus totale ignorance (1) de la méthodologie de la lexicographie professionnelle et (2) dans l’ignorance des règles méthodologiques de la néologie créole que le MIT Haiti Initiative a produit un « glossary » chimérique et erratique comprenant un grand nombre de pseudo équivalents « créoles » fantaisistes, faux, irrationnels et non conformes au système morphosyntaxique du créole (voir le tableau 1 ; voir aussi nos articles « Le traitement lexicographique du créole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haïti Initiative » (Le National, 21 juillet 2020) et « Le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative » (Le National, 15 février 2022).
D’autre part, la promotion de l’amateurisme en lieu et place de la méthodologie de la lexicographie professionnelle est une caractéristique commune des ouvrages dans lesquels est modélisée la confusion entre les unités lexicales (les termes) placées en entrée d’un lexique et deux types de phraséologie, la phraséologie d’équivalence et la phraséologie définitionnelle données comme équivalents lexicaux. L’amateurisme préscientifique ayant fait école dans un grand nombre de dictionnaires et lexiques anglais-créole élaborés aux États-Unis, il est indispensable d’en tirer d’utile leçons –en particulier au plan méthodologique–, par une rigoureuse évaluation analytique. Ainsi, de la tentative de modélisation de la « lexicographie borlette » promue par le MIT Haiti Initiative dans son « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » à la phraséologie d’équivalence OU phraséologie définitionnelle donnée comme équivalent lexical dans plusieurs lexiques et dictionnaires anglais-créole élaborés aux États-Unis, nous sommes en présence de l’une des plus grandes lacunes de la lexicographie créole : l’inadéquation des équivalences lexicales et des équivalences notionnelles tel qu’illustré au tableau 1. Il y a lieu de rappeler, au plan de la méthodologie de la lexicographie professionnelle, que L’ÉQUIVALENCE LEXICALE APPARIÉE À L’ÉQUIVALENCE NOTIONNELLE EST UN CRITÈRE MAJEUR PLACÉ AU CENTRE DE TOUTE DÉMARCHE LEXICOGRAPHIQUE ET TERMINOLOGIQUE. Ainsi, « En lexicologie et en traduction, l’équivalence est la relation entre deux termes de langues différentes qui désignent une même notion. L’équivalence peut être parfaite ou partielle. Justesse de l’équivalence. Équivalence textuelle. Équivalence fonctionnelle ou notionnelle (en terminologie juridique). État d’équivalence. (…) Pour justifier un choix terminologique, on pourra, dans certains cas, faire prévaloir dans sa démarche analytique la règle de l’équivalence fonctionnelle, que l’on distingue de l’équivalence structurelle (la syntaxe anglaise diffère de la syntaxe française) et de l’équivalence systémique (la culture anglaise produit des formes linguistiques ou d’expression différentes de celles que crée ce qu’on appelle le génie français). (…) On définit en lexicographie juridique l’équivalent fonctionnel comme le terme de la langue cible qui correspond à la même notion juridique que le terme de la langue source tout en remplissant la même fonction terminologique, la fonctionnalité des équivalents étant, dans cette perspective, la capacité pour ce premier terme de remplir la même fonction sémantique et terminologique que le second. Plus exactement, il s’agit de déterminer le but de l’institution juridique qu’évoque le terme et de trouver l’équivalent, en droit civil, de l’institution de common law en cause. Recherche de l’équivalence. Obtenir l’équivalence » (« Juridictionnaire » : Concordance/ Équivalence », Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ), Faculté de droit, Université de Moncton). Sur le registre de l’équivalence lexicale, il est essentiel de bien comprendre que « Le principe élémentaire de la lexicographie bilingue est celui de l’équivalence : les mots d’une langue sont présentés comme les équivalents de ceux d’une autre langue, afin de permettre la traduction, la compréhension de la langue étrangère, ou l’expression dans cette langue. Cette notion d’équivalence est apparue spontanément dès les origines du dictionnaire et demeure naturellement et implicitement celle qui vient le plus souvent à l’esprit des utilisateurs de dictionnaires. C’est tout aussi naturellement que cette équivalence est envisagée au niveau du mot, les correspondances entre les deux langues étant décrites en fonction des éléments lexicaux. On sait que deux langues n’opèrent pas la même structuration de la réalité référentielle : il n’y a pas d’isomorphisme des langues ni dans leur structuration globale ni au niveau de leurs unités élémentaires » (Cosimo De Giovanni, Université de Cagliari (Italie), Laboratoire de lexicographie bilingue : « L’équivalence lexicographique dans la différence / Des réflexions pour l’avenir », Verbum University Press / Vol. 2 (2011) ; voir aussi « La traduction et son processus didactique : introduction », par Daria Zalesskaya et Malika Ben Harrat, Cahiers du CLSL (Centre de linguistique et des sciences du langage, Université de Lausanne n° 66, 2022).
Enfin, le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française définit comme suit le terme « équivalence » : « Relation de correspondance entre deux unités de traduction de langues différentes. » (…) « Sur le plan lexical, on nomme équivalent le terme ou l’expression dont le sens correspond à celui d’un terme ou d’une expression d’une autre langue. Dans le domaine de la traductologie, il existe divers types d’équivalence, dont l’équivalence linguistique, l’équivalence stylistique et l’équivalence sémantique ». (Sur la problématique de l’exactitude des équivalents lexicaux, voir l’étude « Fonction des équivalences dans un dictionnaire bilingue » de Martine Schuwer (revue Geras, 3/1994 : Actes de l’atelier « Langue de spécialité » du 33ème congrès de la SAES, Perpignan, 1993. Voir aussi Annaïch Le Serrec : « Analyse comparative de l’équivalence terminologique en corpus parallèle et en corpus comparable : application au domaine du changement climatique », thèse de doctorat, Université de Montréal, avril 2012 ; voir enfin Robert Dubuc, enseignant émérite de traduction et de terminologie à l’Université de Montréal et auteur du « Manuel pratique de terminologie » (Éditions Linguatech, 2002). Il nous enseigne que « Deux termes sont dits équivalents s’ils affichent une identité complète de sens et d’usage à l’intérieur d’un même domaine d’application. (…) Il y a équivalence même si chaque langue n’envisage pas la même notion sous le même angle »).
TABLEAU 2 – Illustration de l’équivalence lexicale / équivalence notionnelle : sèmes définitoires communs pour une même notion dans trois langues différentes
Terme et langue | Définition et source documentaire |
intelligence artificielle, n.f. | Ensemble des théories et des techniques développant des programmes informatiques complexes capables de simuler certains traits de l’intelligence humaine (raisonnement, apprentissage…) (Source : dictionnaire Le Robert) |
artificial intelligence, noun | -1- A branch of computer science dealing with the simulation of intelligent behavior in computers.-2- The capability of a machine to imitate intelligent human behavior. (Source : Merriam-Webster Dictionnary) |
inteligencia artificial, f. | Disciplina cientifica que se ocupa de crear programas informàticos que ejecutan operaciones comparables a las que realiza la mente humana, como el aprendizaje o el razonamiento lògico. (Source : Diccionario de la lengua española de la Real Academia española) |
Deuxième partie : évaluation analytique de l’« English Haitian Creole Legal Glossary » de Jean-Robert Cadely et Joelle Haspil
L’évaluation analytique de l’« English Haitian Creole Legal Glossary » est ici conduite selon le protocole méthodologique de la lexicographie professionnelle, à savoir : (1) l’identification de l’ouvrage et de ses auteurs, le nom de l’éditeur, le nombre de pages et la date de publication ; (2) la détermination du projet éditorial-lexicographique et la présentation de la méthodologie d’élaboration de l’ouvrage ; (3) les modalités de l’établissement du corpus de référence ; (4) la confection de la nomenclature répertoriant les termes retenus ; (5) le traitement des données lexicographiques présentées à la suite des « mots-vedettes » (les entrées classées en ordre alphabétique dans les rubriques) : catégories grammaticales et variantes orthographiques s’il y a lieu, mention des domaines et sous-domaines d’emploi, renvois vers des notions apparentées.
(1) Identification de l’ouvrage et des auteurs
Le « English Haitian Creole Legal Glossary » est l’œuvre de Jean-Robert Cadely et Joelle Haspil, il a été édité en 1999 par Educa Vision Inc et il comprend 109 pages. Le linguiste Jean-Robert Cadely est professeur associé au Département des langues modernes et à l’École des affaires internationales et publiques de la FIU (Florida International University). Soutenue en 1994 à l’Université du Québec à Montréal, sa thèse de doctorat a pour titre « Aspects de la phonologie du créole haïtien ». Spécialiste mondialement reconnu de la phonologie du créole haïtien, Jean-Robert Cadely est l’auteur de plusieurs articles scientifiques, entre autres « L’opposition /r/ et /w/ en créole haïtien : un paradoxe résolu », Canadian Journal of Linguistics 33 (2), juin 1988 ; « Représentations syllabiques et distribution des diphtongues en créole haïtien », revue Études Créoles, XI (1) (1988) ; « Les sons du créole haïtien », Journal of Haitian Studies (vol. 9, no 2, 2003). Pour sa part, Joelle Haspil est une traductrice/interprète oeuvrant en Floride. Elle est l’auteure du « Leksik Angle/Kreyol pou entèprèt ayisyen nan tribinal ameriken », (Éditions Fardin, [1999] 2004).
Au format grand cahier d’écolier, le « English Haitian Creole Legal Glossary » est d’une conception graphique soignée et sa consultation est aisée. La table des matière, rédigée en anglais uniquement, indique que l’ouvrage comprend les sections I à X. En voici les énoncés : section I, « Common Criminal Terms », page 5 ; section II, « Legal Terms Used in Interpreted Proceedings », page 15 ; section III, « Action Words », page 21 ; section IV, « Appliance Vocabulary », page 25 ; section V, « Auto Parts and Auto Vocabulary », page 27 ; section VI, « Human Body Description », page 33 ; section VII, « Judicial Vocabulary », page 37 ; section VIII, « General Legal Terms », page 41 ; section IX, « Court Lingo », page 51 ; section X, « Alphabetical linsing », page 65. Les critères d’évaluation lexicographique que nous avons ci-haut énoncés –en particulier la détermination du projet éditorial-lexicographique et la présentation de la méthodologie d’élaboration de l’ouvrage et les modalités de l’établissement du corpus lexicographique–, permettront d’apprécier la pertinence ou la non-pertinence du choix des domaines de la section III (« Action Words », curieusement traduit par « Mo aksyon ») ; de la section IV, « Appliance Vocabulary », étonnamment traduit par « Vokabilè pou aparèy nan kay », de la section VI, « Human Body Description », curieusement traduit par « Pati nan kò moun ». Mais l’on peut déjà émettre des réserves sur la pertinence des « Mo aksyon » (« Action Words »), du « Vokabilè pou aparèy nan kay » (« Auto Parts and Auto Vocabulary ») et du vocabulaire traitant de « Pati nan kò moun » (« Human Body Description ») dans une publication qui, en principe, ne devrait répertorier que les termes appartenant spécifiquement au domaine juridique et de l’administration de la justice.
(2) Détermination du projet éditorial-lexicographique et la présentation de la méthodologie d’élaboration de l’ouvrage
Le projet éditorial-lexicographique de l’ouvrage est formulé à la page 2 en un court paragraphe de 5 lignes : « This glossary is the most current work from authentic and highly regarded sources accurate court interpretation and translation for Haitian Creole Interpreters and Translators. It was created to assist those interested in a career as a Court Interpreter and Translation within the American legal System ». (Ce glossaire est le travail le plus récent provenant de sources authentiques et hautement reconnues pour leur pertinence. Il est destiné aux interprètes et traducteurs du créole haïtien qui travaillent dans le domaine de l’interprétation et de la traduction judiciaires. Il a été créé pour aider les personnes intéressées par une carrière d’interprète judiciaire et de traducteur au sein du système judiciaire américain. ») [Traduction : RBO]
Formulé de manière aussi lapidaire, ce mode de présentation de l’ouvrage renseigne très peu sur le projet éditorial-lexicographique mis en route par les auteurs. Pourquoi et comment les sources consultées sont-elles « authentiques et hautement reconnues pour leur pertinence » ? S’il s’agit de la « pertinence » des termes retenus parce qu’ils appartiennent en propre au domaine juridique, le choix du « Vokabilè pou aparèy nan kay » (médiocre traduction créole de « Auto Parts and Auto Vocabulary ») et celui du vocabulaire traitant de « Pati nan kò moun » (médiocre traduction créole de « Human Body Description ») est totalement infondé et confère une lourde lacune méthodologique à l’ensemble de la publication. Cette lourde lacune s’éclaire de la phrase suivante : « [l’ouvrage] est destiné aux interprètes et traducteurs du créole haïtien qui travaillent dans le domaine de l’interprétation et de la traduction judiciaires » aux États-Unis. Autrement dit, il s’agit d’une publication à visée « corporatiste » destinée non pas aux avocats, aux greffiers et aux administrateurs des tribunaux où comparaissent des justiciables créolophones haïtiens, mais plutôt à un public-cible restreint, les interprètes et traducteurs du créole haïtien oeuvrant aux États-Unis. Ainsi défini, le projet éditorial de cette publication circonscrit non pas une production lexicographique stricto sensu mais plutôt une sorte de listage anglais-créole élaboré pour « aider les personnes intéressées par une carrière d’interprète judiciaire et de traducteur au sein du système judiciaire américain ». La mention « aider » n’est pas définie, mais en lien avec le titre général de l’ouvrage, l’on peut inférer qu’il s’agit d’une « aide » traductionnelle éclairant des termes de la langue source, l’anglais, vers des équivalents dans la langue cible, le créole, et ces termes appartiendraient tous, selon les auteurs, au domaine judiciaire américain.
La méthodologie d’élaboration de l’ouvrage n’est nulle part exposée –ce qui constitue en amont une très lourde lacune. Le court paragraphe de 5 lignes consigné en page 2 de l’ouvrage semble être suffisant aux auteurs qui se sont contentés d’indiquer très lapidairement que les termes répertoriés proviennent de « sources authentiques ». Le court paragraphe de 5 lignes situé sous le titre « English Haitian Creole Legal Glossary » de la page 2 de l’ouvrage ne comprend donc pas d’un énoncé du type « Guide d’utilisation » ou « Comment utiliser ce dictionnaire ».
(3) Modalités de l’établissement du corpus de référence
Le dictionnaire Ortolang du Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRS, France) définit comme suit le terme « corpus » : « Ensemble de textes établi selon un principe de documentation exhaustive, un critère thématique ou exemplaire en vue de leur étude linguistique ». Les modalités de l’établissement du corpus lexicographique de l’« English Haitian Creole Legal Glossary » n’ont pas fait l’objet d’une présentation élaborée, et cela constitue également une très lourde lacune méthodologique. Le court paragraphe de 5 lignes consigné en page 2 de l’ouvrage est, sous la plume des auteurs, suffisamment éclairant puisqu’il mentionne très brièvement que les termes répertoriés proviennent de « sources authentiques » de la langue source, l’anglais. Mais sur le registre de l’établissement du corpus référentiel de l’ouvrage, quelle est la nature de ces documents ? S’agit-il de textes de loi, de jurisprudence relevant de tel ou tel État américain, de directives administratives internes au système judiciaire américain ? De manière générale, les critères justifiant l’établissement du corpus de référence ne sont nulle part précisés dans le « English Haitian Creole Legal Glossary », et les deux auteurs se sont contentés d’indiquer de manière lapidaire que ce corpus se limite à des « sources authentiques » qui ne sont toutefois pas identifiées. L’absence de critères lexicographiques justifiant l’établissement du corpus de référence explique le fait que les auteurs aient cru pertinent d’inclure dans leur ouvrage des termes appartenant non pas au droit mais plutôt au « Vokabilè pou aparèy nan kay » (« Appliance Vocabulary ») et au « Pati nan kò moun » (« Human Body Description »). Cela conforte l’idée que le « English Haitian Creole Legal Glossary » a été conçu non pas comme un ouvrage lexicographique répondant aux normes méthodologiques de la lexicographie professionnelle mais plutôt comme un simple outil traductionnel, une sorte de listage anglais-créole élaboré pour « aider les personnes intéressées par une carrière d’interprète judiciaire et de traducteur au sein du système judiciaire américain ». (Sur la notion de « corpus de référence », voir Stéphanie Lopez, « Corpus de référence et corpus d’usages : méthodologie de constitution pour une analyse des communications pilote-contrôleur », Cahiers de praxématique, 54-55 | 2010 ; voir aussi Marcel Cori, Sophie David, Jacqueline Léon, « Présentation : éléments de réflexion sur la place des corpus en linguistique » revue Langages 2008/3 (no 171).
(4) Confection de la nomenclature répertoriant les termes retenus
Le dictionnaire Le Larousse définit comme suit le terme « nomenclature » : « Ensemble des mots en usage dans une science, un art, ou relatifs à un sujet donné, présentés selon une classification méthodique ; méthode employée pour l’établissement de cette classification ». Les modalités de l’établissement de la nomenclature du « English Haitian Creole Legal Glossary » n’ont pas fait l’objet d’une présentation élaborée, et cela constitue également une très lourde lacune méthodologique. L’usager n’est nulle part renseigné sur les critères de sélection des termes de la nomenclature, sauf à se rappeler que les termes retenus proviennent de « sources authentiques » qui ne sont ni identifiées ni référencées identifiées. De manière liée, l’usager n’est pas renseigné sur la provenance des termes de la nomenclature : s’agit-il de textes de loi, de jurisprudence relevant de tel ou tel État américain, de directives administratives internes au système judiciaire américain ? L’absence de critères lexicographiques justifiant l’établissement de la nomenclature explique le fait que les auteurs aient cru pertinent d’inclure dans leur ouvrage des termes appartenant non pas au domaine du droit mais plutôt au « Vokabilè pou aparèy nan kay » (« Appliance Vocabulary ») et au « Pati nan kò moun » (« Human Body Description »). Ainsi s’explique la profusion de termes qui n’appartiennent pas au domaine du droit et de l’administration de la justice : « fan elektrik » = « vantilatè elektrik », « ice maker » = « aparèy kif è glas », « surge protector » = « plòg ki pwoteje aparey elektrik kont blakawout » avoisinent « abelienate » = « rantre yon kote san pèmisyon », « appeal » = « voye yon kòz devan yon tribinal ki pi wo pou l kontwòle oubyen chanje desizyon yon tribinal pi ba », « bailable offense » = « tip zak ki mande pou depoze yon kosyon pou rete an libète pwovizwa ». Cela conforte l’idée que le « English Haitian Creole Legal Glossary » a été conçu non pas comme un ouvrage lexicographique répondant aux normes méthodologiques de la lexicographie professionnelle mais plutôt comme un simple outil traductionnel, une sorte de listage anglais-créole élaboré pour « aider les personnes intéressées par une carrière d’interprète judiciaire et de traducteur au sein du système judiciaire américain ». NOTE – Les équivalents créoles qui précèdent sont particulièrement intéressants à analyser car ils renvoient à la problématique identifiée plus haut dans cet article, à savoir la phraséologie d’équivalence OU phraséologie définitionnelle donnée comme équivalent lexical créole. Nous reviendrons là-dessus à la section consacrée au traitement des données lexicographiques de l’ouvrage. (Sur la notion et le rôle de la « nomenclature » en lexicographie, voir Christine Portelance, « Définition et potentiel de dénomination d’une nomenclature », revue TTR, 3 (1), (1990) ; voir aussi Marie-Claude L’Homme et Sylvie Vandaele, « Lexicographie et terminologie : compatibilité des modèles et des méthodes », Presses de l’Université d’Ottawa, 2007.)
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Traitement des données lexicographiques
Pour chacune des 10 sections de l’« English Haitian Creole Legal Glossary » (voir plus haut la partie « Identification de l’ouvrage et des auteurs »), les données lexicographiques sont présentées sur 2 colonnes et elles sont classées en ordre alphabétique. La colonne de gauche consigne les termes dans la langue de départ, l’anglais, et la colonne de droite comprend les équivalents créoles (termes simples ou termes complexes ou bien phraséologie d’équivalence / phraséologie définitionnelle donnée comme équivalent lexical). Les catégories grammaticales et les éventuelles variantes orthographiques ne sont nulle part précisées, pas plus que les domaines et sous-domaines d’emploi ou les éventuels renvois vers des notions apparentées. L’une des plus grandes lacunes de l’ouvrage consiste à mettre sur un pied d’égalité des termes qui appartiennent en propre au domaine du droit et à l’administration de la justice et des termes issus d’autres domaines, notamment le « Vokabilè pou aparèy nan kay » (« Appliance Vocabulary ») et celui des « Pati nan kò moun » (« Human Body Description »). Il s’agit là d’une très lourde lacune théorique renvoyant à la définition même du projet éditorial des auteurs qui confondent le vocabulaire d’un domaine spécialisé – celui du droit et de l’administration de la justice–, et des termes appartenant soit à des vocabulaires distincts soit à la langue générale. En voici un échantillon.
TABLEAU 3 – Échantillon de termes anglais suivis d’équivalents créoles (termes simples, termes complexes) ou d’équivalents créoles consistant en une phraséologie d’équivalence OU phraséologie définitionnelle donnée comme équivalent lexical + indication du domaine identifié par les sections I à X de l’ouvrage
Terme anglais |
Équivalent créole |
Section/domaine de l’ouvrage |
bifurcate | separe ka kriminel ak ka sivil | Common Criminal Terms [Termes courants du droit pénal] |
expungement (1) | Lè yon dosye pa piblik ankò | Common Criminal Terms [Termes courants du droit pénal] |
jurylist | dokiman ki gen enfòmasyon sou chak manm yon jiri | Common Criminal Terms [Termes courants du droit pénal] |
lineup | idantifikasyon sispèk / aliyen sispèk yo pou kab idantifye kilès nan yo ki fè zak la | Common Criminal Terms [Termes courants du droit pénal] |
direct examination (2) | entèwogatwa (2) | Judicial Vocabulary / Vokabilè lajistis |
prosecution witness (3) | temwen leta (3) | Judicial Vocabulary / Vokabilè lajistis |
affidavit | papye deklarasyon ki fèt sou sèman | General Legal Terms / [Termes juridiques généraux] |
asphalt | asfalt | General Legal Terms / [Termes juridiques généraux] |
canal | kanal | General Legal Terms / [Termes juridiques généraux] |
diabetes | dyabèt | General Legal Terms / [Termes juridiques généraux] |
debris on the road | fatra sou wout | General Legal Terms / [Termes juridiques généraux] |
nolle pros (4) | retire yon akizasyon (4) | General Legal Terms / [Termes juridiques généraux] |
no contest plea (5) | ni wi ni non (5) | General Legal Terms / [Termes juridiques généraux] |
NOTE (1) TermiumPlus, la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada, consigne le terme « radiation » comme équivalent français de l’anglais « expungement ». Une personne peut être visée par un jugement de « radiation » et en aucun cas un « dosye » ne saurait être « radié » au sens de « Lè yon dosye pa piblik ankò ». NOTE (2) TermiumPlus consigne le terme « direct examination » ainsi défini : « The first questioning of a witness in a trial or other proceeding, conducted by the party who called the witness to testify » (« Le premier interrogatoire d’un témoin lors d’un procès ou d’une autre procédure, mené par la partie qui a appelé le témoin à témoigner » [Traduction : RBO]. TermiumPlus donne pour équivalent français « interrogatoire principal » suivi de l’observation terme « normalisé par le Comité de normalisation dans le cadre du Programme national de l’administration de la justice dans les deux langues officielles (PAJLO) ». L’équivalent créole « entèwogatwa », très général, ne comprend pas les traits définitoires de « interrogatoire principal ». NOTE (3) TermiumPlus consigne le terme « prosecution witness » traduit en français par « témoin à charge » et assorti de deux observations : « (…) terme normalisé par le Comité de normalisation dans le cadre du Programme national de l’administration de la justice dans les deux langues officielles (PAJLO). Dans le terme anglais, « prosecution » fait uniquement référence à une poursuite pénale », et ce trait définitoire n’est pas attesté par l’équivalent créole « temwen leta ». NOTE (4) Le site dictionary.law.com définit ainsi le terme « nolle pros » (abv. usuelle de « nolle prosqui » : « (…) n. Latin for « we shall no longer prosecute, » which is a declaration made to the judge by a prosecutor in a criminal case (or by a plaintiff in a civil lawsuit) either before or during trial, meaning the case against the defendant is being dropped. The statement is an admission that the charges cannot be proved, that evidence has demonstrated either innocence or a fatal flaw in the prosecution’s claim or the district attorney has become convinced the accused is innocent » / « (…) n. latin pour « nous ne poursuivrons plus », qui est une déclaration faite au juge par un procureur dans une affaire pénale (ou par un plaignant dans un procès civil) avant ou pendant le procès, ce qui signifie que les poursuites contre le défendeur sont abandonnées. Cette déclaration est un aveu que les charges ne peuvent être prouvées, que les preuves ont démontré soit l’innocence, soit une faille fatale dans l’accusation, ou que le procureur est devenu convaincu de l’innocence de l’accusé » [Traduction : RBO]. NOTE (5) Le portail traductionnel Lenguee consigne, pour le terme anglais « no contest plea », l’équivalent français suivant : « plaidoyer de non-contestation ». L’équivalent créole « ni wi ni non », en plus d’être fantaisiste et erratique, ne désigne aucune sorte de « plaidoyer ».
De manière plus essentielle, les équivalents créoles regroupés dans le tableau 3 appellent plusieurs observations analytiques. D’une part le « English Haitian Creole Legal Glossary » comprend peu d’équivalents créoles véritablement lexicalisés (termes simples, ex. « entèwogatwa ») et peu de termes créoles complexes véritablement lexicalisés, ex. « temwen leta ». Il rassemble également un grand nombre de termes qui n’appartiennent pas en propre au vocabulaire du droit et de l’administration de la justice (ex. « asfalt », « kanal, « dyabet »), ce qui renvoie comme nous l’avons précédemment noté à une lourde lacune théorique en lien avec la définition même du projet éditorial des auteurs qui confondent le vocabulaire d’un domaine spécialisé –celui du droit et de l’administration de la justice–, et des termes appartenant soit à des vocabulaires distincts soit à la langue générale et qui sont utilisés dans les échanges langagiers lors d’un procès. Dans le « English Haitian Creole Legal Glossary », un nombre indéterminé d’équivalents créoles s’avère faux ou inadéquats : ainsi en est-il de « acquainted » = « konnen » » (section X, page 66), qui ne semble pas circonscrire et le processus et le résultat du trait « connaissance » compris dans le terme anglais « acquainted ». Le terme anglais « allegation » (section X, page 67), traduit en créole par l’obscur « swa dizan », est symptomatique des grandes faiblesses traductionnelles et lexicographiques repérables dans le « English Haitian Creole Legal Glossary » et illustrées au tableau 3. Non seulement « swa dizan » n’est pas un terme lexicalisé stricto sensu et dénommant une notion du domaine juridique, mais de surcroît il ne comprend pas les traits définitoires du terme anglais « allegation ». Voici ce que consigne TermiumPlus pour le terme « allegation » : /anglais/ « A declaration, statement, or assertion communicated in writing to an institution or [federal funding] agency to the effect that there has been, or continues to be, a breach of one or more agency policies, the validity of which has not been established » – /français/ « Déclaration, affirmation ou énoncé non confirmé transmis par écrit à un établissement ou à un organisme [subventionnaire fédéral] indiquant qu’il y a eu violation d’une ou [de] plusieurs politiques des organismes ». L’un des traits définitoires majeurs de cette définition réside dans « affirmation ou énoncé non confirmé transmis par écrit », l’« allégation » pouvant dès lors être inscrite sur le registre des présumées preuves que le tribunal est appelé à examiner. Et puisque « swa dizan », à l’instar de tous les autres équivalents créoles de l’ouvrage, n’est pas classé selon sa catégorie grammaticale d’appartenance, l’on ne sait pas s’il est un substantif, un adjectif ou un adverbe. Les catégories grammaticales de « swa dizan » (subst., adj., loc.) figurent bel et bien, aux pages 684 et 685, dans le remarquable « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman (Creole Institute, Indiana University, 2007).
D’autre part –et comme nous l’avons exposé dans la première partie de cet article–, le « English Haitian Creole Legal Glossary » comprend un nombre élevé d’équivalents créoles non lexicalisés consistant en une phraséologie d’équivalence OU une phraséologie définitionnelle donnée comme équivalent lexical (voir le tableau III). En l’espèce, il y a dans cet ouvrage une lourde confusion entre la nature des unités lexicales (les termes) placées en entrée du lexique et deux types de phraséologie, la phraséologie d’équivalence et la phraséologie définitionnelle données comme équivalents lexicaux : une unité lexicale a pour faux équivalent une phrase en lieu et place d’un terme lexical correspondant à la même notion. Cette lourde confusion est repérable dans d’autres productions lexicographiques créoles, notamment le « English – Haitian Creole Computer Terms / Tèm Konpyoutè : Anglè – Kreyòl » d’Emmanuel Vedrine (Creole Editions, 2006), le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » du National Center for Interpretation (University of Arizona, 2018), et le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » [2017 ?] (voir le tableau I). Tel que nous l’avons précédemment exemplifié, la confusion –entre les unités lexicales (les termes) placées en entrée d’un lexique et deux types de phraséologie, la phraséologie d’équivalence et la phraséologie définitionnelle données comme équivalents lexicaux créoles–, constitue LA CARACTÉRISTIQUE MAJEURE DES OUVRAGES LEXICOGRAPHIQUES CRÉOLES ÉLABORÉS EN DEHORS DE LA MÉTHODOLOGIE DE LA LEXICOGRAPHIE PROFESSIONNELLE. Cette confusion est également l’une des grandes caractéristiques de la « lexicographie borlette » promue principalement par le MIT Haiti Initiative dans son « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » (voir les articles de Robert Berrouët-Oriol, « Le traitement lexicographique du créole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haïti Initiative » (Le National, 21 juillet 2020), « Le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative » (Le National, 15 février 2022), et « La lexicographie créole à l’épreuve des égarements systémiques et de l’amateurisme d’une « lexicographie borlette », Observatoire européen du plurilinguisme, 27 mars 2023).
La phraséologie d’équivalence et la phraséologie définitionnelle, qui sont la caractéristique majeure des ouvrages lexicographiques créoles élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle, renvoient à la problématique de l’existence ou de l’inexistence, de la disponibilité ou de la non disponibilité d’unités lexicales capables de dénommer –dans le domaine du droit comme dans les domaines scientifiques et techniques–, des notions appartenant à une langue de départ (le français, l’anglais ou l’espagnol) et que l’on entreprend de traduire en créole. L’existence ou l’inexistence, la disponibilité ou la non-disponibilité d’unités lexicales créoles dans ces domaines ne signifie nullement que le créole serait une langue « pauvre » ou qu’elle serait incapable de dénommer les notions appartenant à ces domaines (voir notre article « Le créole est-il une « langue scientifique » ? », Rezonòdwès, 12 janvier 2024). L’enjeu ici évoqué est celui de la méthodologie de la lexicographie créole : comme nous l’avons précédemment exposé dans cet article, l’établissement d’une nomenclature s’effectue au préalable par le dépouillement d’un corpus issu de sources documentaires ; le traitement lexicographique des termes retenus dans la nomenclature se réalise en conformité avec les règles de la lexicographie professionnelle (nous en donnerons une brève illustration à l’aide des caractéristiques lexicographiques du remarquable « Dictionnaire de l’écolier haïtien ».
L’enjeu ici évoqué est également celui, essentiel, de L’ÉQUIVALENCE LEXICALE APPARIÉE À L’ÉQUIVALENCE NOTIONNELLE QUI EST UN CRITÈRE MAJEUR PLACÉ AU CENTRE DE TOUTE DÉMARCHE LEXICOGRAPHIQUE ET TERMINOLOGIQUE. Or nous avons vu que ce critère de base n’a pas été respecté dans l’élaboration du « English Haitian Creole Legal Glossary » de Jean-Robert Cadely et Joelle Haspil comme du reste dans de nombreux lexiques et dictionnaires créole de 1958 à 2023. La lexicographie créole est donc lourdement déficiente et lacunaire sur le registre de l’exactitude de l’équivalence lexicale appariée à l’équivalence notionnelle, tout comme elle l’est dans le domaine de la néologie créole et de la didactisation du créole. La néologie créole est un champ d’activité relativement jeune de la lexicographie haïtienne et elle devra élaborer et consolider ses principes et méthodes loin, très loin d’une médiocre folklorisation du créole couplée au populisme linguistique et repérable chez certains créolistes fondamentalistes promoteurs d’un verbeux petit catéchisme « militant » dans lequel d’improbables « trouvailles » lexicographiques –notamment les ci-devant « gwojemoni » et « gwojemoni neyokolonyal », à l’aune d’une compulsive « fatwa » contre la langue française en Haïti, servent en réalité à masquer et à banaliser la politique impérialiste des États-Unis en Haïti de 1915 à nos jours… La lexicographie créole et la néologie créole ont tout à gagner à s’approprier les riches enseignements de la linguiste Marie-Christine Hazaël-Massieux auteure de « La lexicologie et la lexicographie à l’épreuve des études créoles », revue Études créoles XII-2, 1989, et de « Prolégomènes à une néologie créole », Revue française de linguistique appliquée – Dossier « Lexique : recherches actuelles », vol. VII – 1, juin 2002. Les enseignements de la linguiste Annegret Bollée consignés dans son article « Lexicographie créole : problèmes et perspectives » paru dans Revue française de linguistique appliquée, vol. X, 2005, sont également d’un inestimable apport. En ce qui a trait à la néologie créole, il y a lieu de souligner notre longue étude intitulée « La néologie scientifique et technique, un indispensable auxiliaire de la didactisation du créole haïtien » parue dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robert Berrouët-Oriol et al., Éditions Zémès, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, Montréal, 381 pages, 2021). Il y a également lieu de rappeler une dimension majeure de la réflexion du linguiste Renauld Govain, doyen de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti, sur la standardisation, la didactique et la didactisation du créole : « Dans l’état actuel des expériences linguistiques en Haïti, il se pose le problème de la standardisation, voire de la « didactisation » du créole comme objet et outil d’enseignement, afin qu’il puisse remplir convenablement sa fonction de langue d’enseignement » (Renauld Govain : « L’état des lieux du créole dans les établissements scolaires en Haïti » (revue Contextes et didactiques 4/2014). Renauld Govain poursuivra, en l’approfondissant, la réflexion sur la didactisation du créole dans une étude de grande amplitude analytique réalisée avec le concours de Guerlande Bien-Aimé, « Pour une didactique du créole haïtien langue maternelle ». Cette étude est consignée dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robert Berrouët-Oriol et al., Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 381 pages, 2021). Renauld Govain est également l’auteur d’une autre étude de grande amplitude analytique, « De l’expression vernaculaire à l’élaboration scientifique : le créole haïtien à l’épreuve des représentations méta-épilinguistiques », revue Contextes et didactiques, 17 | 2021 ; voir en particulier la section 6, « La question de la (in)disponibilité des concepts en CH, un vrai faux problème » et les sections 6.1. « La question de la transversalité des concepts » et 6.2. « Cas de concepts transversaux relatifs au métalangage grammatical ».
La problématique de la néologie créole renvoie à celle des emprunts : à l’instar de toute langue naturelle, le créole au cours des ans a emprunté et lexicalisé des termes issus des langues régionales sœurs, ce dont rend bien compte le livre de Renauld Govain, « Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol » (Éditions L’Harmathan, 2014). Nombre de termes issus des langues régionales sont bien installés dans la langue créole, entre autres « blakawout », « manadjè », « plòg », « dèlko » (de l’anglais) ; « vityelo » (dans l’expression « kanpe sou de pye vityelo w », terme issu du patronyme du cordonnier italien Vitiello installé en Haïti au 19ème siècle) ; « adoken » (de l’espagnol « adoquìn », « Piedra labrada en forma de prisma rectangular para la pavimentación de calles y otros usos » : « Pierre taillée en forme de prisme rectangulaire pour le pavage des rues et autres usages » [Traduction : RBO], « bouske » (de l’espagnol buscar). La linguiste Annegret Bollée note, dans son ample et riche article intitulé « Le Dictionnaire étymologique des créoles français d’Amérique (DECA) et le « langage des îles » (revue Études créoles, 33 / 1, 2016) que le terme « morne » (« colline », « montagne »), vient de l’espagnol « morro », « monticule », « rocher » (TLFi) et est attesté aux Antilles depuis 1640 (revue Études créoles, 33 | 1 | 2016). Dans le même article, Annegret Bollée nous enseigne que « le portugais a transmis des mots d’origine africaine au « langage des îles » : igname (v. GFr 451, et Arveiller 1963, 265-271) et banane, qui est d’origine bantoue, attesté en portugais depuis 1563 ; banane apparaît dans un texte français (adapté du latin) en 1602 et chez le Père Claude d’Abbeville en 1614, mais c’est aux Antilles que le mot s’est vulgarisé à partir de 1640 : « les Antillais ont dû d’abord emprunter le terme au portugais au cours d’escales en Afrique occidentale (Cap Blanc, Cap Vert, Iles du Cap Vert) » (Arveiller 1963, 85). Pour ce qui est des mots d’origine africaine, Jansen constate qu’ils « sont extrêmement rares [dans le DCF] et se limitent à des emprunts très anciens qui sont entrés dans le français par l’intermédiaire du portugais (cf. igname) »
Il y a lieu de distinguer (1) les emprunts spontanés effectués dans la langue usuelle par les locuteurs créolophones (2) des emprunts planifiés en langues de spécialités (appellation usuelle du registre de langue propre aux vocabulaires spécialisés). Les emprunts planifiés constituent des réponses institutionnelles à des besoins langagiers préalablement identifiés dans une communauté de locuteurs, ils sont élaborés dans un processus d’aménagement linguistique et leur adaptation morphologique, syntaxique et phonologique répond à des règles précises. Les emprunts planifiés sont mis en œuvre dans le cadre d’un énoncé de politique linguistique relative aux emprunts. À l’échelle internationale, le plus emblématique énoncé de politique linguistique relative aux emprunts est l’œuvre de l’Office québécois de la langue française, l’institution chargée de l’aménagement linguistique au Québec. Il a publié en 1980 son « Énoncé d’une politique relative à l’emprunt de formes linguistiques étrangères » qui présentait les lignes directrices sur lesquelles s’appuyaient les décisions de l’organisme pour le traitement des emprunts. Cette politique de l’emprunt a été révisée en septembre 2007, et sa plus récente mise à jour, intitulée « Politique de l’emprunt linguistique », date de janvier 2017.
Le « Dictionnaire de l’écolier haïtien », un modèle de rigueur pour la lexicographie en Haïti
En dépit de ses lacunes et de ses faiblesses, la lexicographie haïtienne dispose de solides acquis issus des travaux de Pradel Pompilus, Pierre Vernet, Henry Tourneux, Albert Valdman, André Vilaire Chery et Renauld Govain, auteur de « Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol » (Éditions L’Harmathan, 2014). Comme nous l’avons démontré dans notre article « Lexicographie créole : revisiter le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman » paru sur le site Fondas kreyòl le 30 août 2022, ce dictionnaire d’Albert Valdman –édité par le Creole Institute, Indiana University, en 2007–, constitue, sur le versant bilingue anglais-créole, le modèle méthodologique le plus achevé et le plus rigoureux de toute la lexicographie haïtienne de 1958 à nos jours. Sur le versant unilingue français de la lexicographie haïtienne, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » d’André Vilaire Chery constitue le modèle méthodologique le plus achevé et le plus rigoureux de toute la lexicographie haïtienne de 1958 à nos jours tel et nous en avons fait la rigoureuse démonstration dans notre article « Le « Dictionnaire de l’écolier haïtien », un modèle de rigueur pour la lexicographie en Haïti » paru sur le site Fondas kreyòl le 16 septembre 2022. Voici, brièvement, les principales qualités lexicographiques de l’excellent « Dictionnaire de l’écolier haïtien » élaboré par le lexicographe haïtien André Vilaire Chery et ses collaborateurs et paru en 1996 aux Éditions Deschamps/ÉDITHA.
Le « Dictionnaire de l’écolier haïtien », qui comprend 15 000 entrées, a été réalisé avec la collaboration de cinq auteurs et la contribution d’une équipe de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti sous la direction du linguiste Pierre Vernet. Sur le plan de l’infrastructure rédactionnelle, il y a lieu de préciser que le maillage institutionnel entre l’éditeur et la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti constitue, à notre connaissance, une première et sans doute l’unique exemple dans la lexicographie haïtienne contemporaine (sur ses versants créole et français) où l’expertise d’une institution linguistique nationale a été mise à contribution par un éditeur du secteur privé disposant de sa propre équipe de rédaction.
L’examen attentif du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » indique qu’il a été élaboré en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle, ce qui en garantit la fiabilité et la crédibilité scientifique. Il comprend en deuxième page intérieure, à l’instar des dictionnaires usuels, un tableau de l’alphabet phonétique international suivi de la « Liste des abréviations » (page 4). En page 5 il consigne –sur le modèle structurel des grands dictionnaires usuels du français–, un guide méthodologique fort éclairant intitulé « Comment utiliser ce dictionnaire ». Ce guide méthodologique présente et exemplifie la structure et le contenu des données lexicographiques placées à la suite des « mots-vedettes » de l’ouvrage à l’aide de marqueurs, de mentions indicatives et éclairantes : « orthographe (en lettres grasses) », « prononciation », « renvoi aux mots de sens équivalents (synonymes) », « mot de la même famille », « sens figuré », « catégorie grammaticale », « changement de la catégorie grammaticale », « mots qui s’écrivent de la même façon mais qui n’ont pas le même sens », « expression mise en vedette », « indique que le mot (ou le sens) fait partie du français d’Haït » (il s’agit de l’aire géographique d’emploi du terme ou « indicatif de pays », FH pour « français d’Haïti), etc.
Dans le « Dictionnaire de l’écolier haïtien », les données lexicographiques présentées à la suite des « mots-vedettes » sont modélisées en un tout d’accès simple et fonctionnel pour chaque rubrique : le terme est suivi de sa catégorie lexicale : nom, nom m., nom f., adj., v., v. impers., v. pron., adv., loc. adj., loc. adv., etc., et ces abréviations sont toutes explicitées en page 4 où figure la « Liste des abréviations ». Les rubriques du dictionnaire indiquent lorsqu’il le faut des « variantes orthographiques (akasan / acassan), elles mentionnent tantôt des synonymes, tantôt des antonymes. Elles consignent « si c’est le cas des sens nouveaux » acquis en Haïti par des termes comme « audience », « jardin », « sérum », etc. en lien avec la proximité entre le créole et le français. Dans les différentes rubriques de l’ouvrage, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » consigne tantôt des définitions courtes et précises, tantôt des sèmes définitoires compris dans une « phrase exemple » qui a l’avantage d’éclairer le sens du mot et son emploi dans l’environnement naturel de la phrase.
TABLEAU 4 – Exemple de modélisation des rubriques du « Dictionnaire de l’écolier haïtien »
Terme + catégorie lexicale | Indicatif de pays [« Français d’Haïti] | Définition [DEF] et/ou « phrase exemple » [PEX] | Synonyme [SY] ou Antonyme [AN] ou renvoi analogique [REN] |
déchouquer v. [sens] 1, 2, 3 | FH | [PEX] Le président Jean-Claude Duvalier a été déchouqué le 7 février 1986 : il a été renversé du pouvoir dans une atmosphère de violence (déchouquage sens 1). 2. On a déchouqué la maison de l’ex-Premier ministre, on l’a pillée, ou incendiée en représailles (déchouquage, sens 2). 3. Ce directeur général a été déchouqué : il a été destitué de manière arbitraire par des actions violentes (déchouquage, sens 3). | [Remarque RBO : les sens 1 et 2 du substantif « déchouquage » sont définis à la page 156.] |
macoute1 nom f. | FH | [DEF] Grand sac de latanier que le paysan porte en bandoulière et qui sert à divers usages. [PEX] Mon papa a acheté une macoute pour aller au jardin. | Aucun |
macoute2 nom m. | FH | [DEF] Nom donné aux membres de la milice créée par François Duvalier. [PEX] Les macoutes s’appelaient officiellement « Volontaires de la sécurité nationale ». | [SY] tonton-macoute. Chercher aussi : milice |
[REN] [Remarque RBO : Les termes « milice », « milicien », « milicienne » sont définis à la page 372.] |
L’abord analytique du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » montre bien que ses objectifs sont méthodiquement et correctement soutenus par une modélisation adéquate des rubriques, par la clarté et la concision des définitions, par l’utilité des « phrases exemples » et le système des renvois analogiques et par les données lexicographiques relatives aux sens nouveaux acquis en Haïti par certains termes du français commun. L’ouvrage comprend un grand nombre de termes du registre du français régional d’Haïti qu’indique la mention « FH », ce qui a le double avantage d’illustrer, d’une part, la réalité que notre pays enrichit lui aussi un patrimoine linguistique commun à plus de 300 millions de locuteurs francophones à travers le monde et, d’autre part, la reconnaissance, dans la communauté francocréolophone nationale, que le partenariat entre le créole et le français, les deux langues officielles du pays, doit être renforcé et qu’il est porteur d’innovations lexicales. L’élaboration du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » livre par ailleurs d’autres enseignements, l’un d’eux étant qu’il faut impérativement tenir à distance l’amateurisme de la « lexicographie borlette » en matière de lexicographie, qu’il faut privilégier le travail d’équipe faisant maillage de compétences avérées en lexicographie, et qu’il faut concevoir et mettre en œuvre toute œuvre dictionnairique (lexique, dictionnaire, glossaire) au strict périmètre de la lexicographie professionnelle.
Montréal, le 9 février 2024