Un Faust façon vaudou, santeria et candomblé!
— Par Roland Sabra —
Mise en scène de Jandira Bauer les 23 et 24 mai 2014 à 20h Salle de théâtre Aimé Césaire du Lycée Schoelcher
Jandira Bauer est une diablesse. Pour qui en doute encore il lui suffit d’avoir vu son travail à propos de « Faust » pour en être convaincu. Définitivement. Que revienne le temps béni où l’on excommuniait les gens de théâtre, les comédiens en tout premier lieu et qu’on en juge. Oh! Jésus, Marie, Joseph, Jandira Bauer sera de la première charrette. Qui aujourd’hui peut affronter une pièce de 4615 vers écrite en allemand au XVIIIème siècle et traduite par Gérard de Nerval en 1828 ? Qui peut avoir maintes fois et maintes fois plongé ses yeux dans ce texte et ne l’avoir lu qu’à la lueur instable et troublante d’une bougie du vaudou, de la santeria et plus précisément du candomblé ? Pour la metteure en scène martiniquaise d’origine brésilienne, le fil narratif du Faust originel n’a d’autre fonction que de détourner le regard de ce que le lecteur européanisé ne veut pas lire. Il faut s’en défaire. Les Orishas, les Kimpungulu, les Cabocles, sont là dans les vers de Goethe. Il suffit de savoir les lire et Jandira Bauer nous les montre. Du coup puisque la longue histoire du Faust goethéen n’est qu’une diversion, son travail va consister à faire émerger l’essentiel, à ne retenir que le prologue sur le théâtre, puisque théâtre il y a avant toute chose, la passation du pacte avec Méphistophélès et la déréliction abandonnique de Marguerite.
La scénographie met l’accent sur les couleurs, noir, rouge et blanc, avec une belle occupation du plateau par la troupe. Le monde autre, celui donc de l’au-delà, celui du plateau où se tiennent les comédiens est souligné par la mise en valeur du quatrième mur, cher à Denis Diderot, ce mur imaginaire qui sépare le spectateur du public. La perte des repères orthonormés et la défragmentation spatiale des lieux d’énonciation sont figurées par le dédoublement multiplié des personnages par ailleurs souvent « dégenrés », si l’on nous permet ce néologisme barbare. Le regard du spectateur est sans cesse sollicité, à divers endroits du plateau comme pour mieux l’éparpiller, mieux le dissoudre dans la beauté plastique qui émane des tableaux et que rehausse le travail des lumières dans le climat inquiétant que suggère la bande sonore. Si les comédiens, des comédiennes pour la quasi-totalité, butent parfois sur les vers, ont des liaisons « mal-t-à-propos », montrent quelques raideurs, elles et il sont dans leur ensemble méritants. Ce sont des amateurs, certaines n’avaient jamais fait de théâtre auparavant. Alors que beaucoup de théâtreux se fourvoient dans la croyance qu’une initiation au théâtre passe par le boulevard il en est d’autres, des gens de théâtre, heureusement plus téméraires, moins pusillanimes, qui empruntent les chemins escarpés de la création. Un partie de la salle, pleine comme un œuf en l’occurrence, a peut-être été dérangée. C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux!
Qui donc peut avoir la démesure de lancer des débutants dans un tel dérèglement ? Vous connaissez la réponse ! Et Dieu merci elle est en Martinique, pour notre plus grand plaisir.
Fort-de-France, le 24 mai 2014
R.S.