Annonce sur le site Montraykréyol
La littérature féminine martiniquaise, qui faisait, jusqu’à tout récemment, pâle figure à côté de son alter ego guadeloupéen, s’affirme d’année en année. Avec Térez Léotin, Ina Césaire, Nicole Cage, Suzanne Dracius, Christiane Sacarabany, Jala, Anique Sylvestre, Gaël Octavia, Nady Nelzy-Odry… et tant d’autres, elle trace son chemin, certes dans un relatif silence médiatique, lentement mais sûrement, cela avec une vigueur et une inventivité surprenantes : le 25 mars 2021, le nouveau roman de Mérine Céco, Ce pays d’où l’on ne vient pas, qui paraît aux éditions Écriture, sera disponible en librairie.
Biographie brève : extrait de Mondesfrancophones
Corinne Mencé-Caster, de son nom de plume Mérine Céco, née en 1970 à La Martinique, est une universitaire et écrivaine française (romancière, essayiste…).
Elle suit en parallèle des études de philosophie et de littérature. À 22 ans, elle est agrégée d’espagnol puis docteur en sciences du langage (1996). Elle commence sa carrière à l’Université des Antilles et de la Guyane (UAG), en 1994, en tant qu’attachée temporaire d’enseignement et de recherche. Elle devient ensuite maître de conférences (1997-2007), puis professeur des universités, en 2009 doyen de la Faculté de lettres et de sciences humaines sur le pôle Martinique. Présidente de l’Université des Antilles de janvier 2013 au 31 août 2016, elle démissionne de ses fonctions, pour rejoindre Paris, où elle occupe la chaire de linguistique hispanique à l’Université de Paris IV-Sorbonne.
Les éditions Écriture ont déjà publié La Mazurka perdue des femmes couresse (2013, prix Gilbert Gratiant), Au revoir Man Tine (finaliste prix Carbet, 2017), Le Talisman de la présidente (2018) et D’autres vies sous la tienne (2019).
Le cinquième roman
2021. Le Pays d’où on ne vient pas se présente comme un roman sur le refus des identités assignées, sur la mémoire de l’esclavage, et sur le racisme.
De son père, Fèmi ne sait rien, ou presque. Face au silence de sa mère, la jeune Béninoise se lance à la recherche de ses origines. Après une étape en banlieue parisienne, elle gagne la Martinique, patrie de son père. Menant une enquête pour la réalisation d’un documentaire, elle découvre une société en proie au malaise, traumatisée par la colonisation et l’esclavage, qui rendent difficile la construction d’un récit sur ses origines. Sur place, elle apprend l’arrivée d’une délégation, composée d’administratifs et de scientifiques. Leur objectif ? Effacer la mémoire collective et individuelle des habitants pour briser leurs revendications, liées aux réparations de l’esclavage et à la néo-colonisation qui s’accélère. Se met alors en place une farouche rébellion féminine… Du Bénin à Paris et de Paris aux Antilles, ce roman met en scène, entre amitiés, secrets de famille et souffrances, l’action de femmes décidées à forger un projet de “vivre-ensemble” compatible avec les tourments de la mémoire et les défis du présent.
Les œuvres précédentes : continuité et cohérence dans l’écriture.
Ce cinquième roman poursuit la quête de l’écrivaine, initiée dès la première œuvre, dans une écriture libératoire. Une quête, sous forme fictionnelle assumée, parfois intimiste, ou plus ouvertement autobiographique. À la recherche de ses racines, de l’âme de son pays, à la découverte d’elle-même et de son identité. Une œuvre intimement liée au pays martiniquais, dont elle est l’enfant aujourd’hui éloignée.
2013. La mazurka perdue des femmes couresse
Une adolescente, Reine, en quête de ses origines, entend la nuit la voix de son arrière-grand-mère. Celle-ci lui raconte, en créole, sa vie de femme, faite de misère et de labeur, lors de « La Grande Catastrophe », la révolte qui marqua la prise de conscience, en Martinique, de la survivance de la condition d’esclave. Coupée de ses racines, Reine est étrangère à ce passé, mais elle se laisse gagner par cette voix et s’engage dans le mouvement de révolte baptisé « Révolution des ventres » : ses partisans sont en quête d’une identité propre, qui leur a été volée par des années de colonisation. Le passé, dont elle veut parler et qu’elle veut défendre, s’offre alors à Reine, en horizons tissés de douleurs, de sensations, de couleurs… Mais comment dire cette histoire ?
Par cet entrelacs de voix de femmes se tisse un roman polyphonique à la recherche d’une langue, d’une tonalité, d’une manière de raconter, contre l’histoire officielle – celle des vainqueurs – et contre l’aveuglement consenti de la majorité d’un peuple. Une autre voix, la « Parole critique », ponctue également ce récit de ses considérations sociologiques, linguistiques et historiques.
2017. Au revoir Man Tine
Il y eut l’époque de Man Tine, des enfants – comme José Hassam, le héros de La Rue Case-Nègres, roman de Joseph Zobel – qui, grâce à la ténacité et au courage sans faille de parents ou de grands-parents, ont pu « apprendre à l’école », comme on disait, et sortir de la misère noire de l’Habitation. Ces enfants, dont la littérature de nos pays n’a jamais vraiment suivi la trace, ont grandi, sont devenus pour beaucoup des fonctionnaires de la classe moyenne, mais sans avoir conscience d’être les victimes d’un détournement de mémoire et d’histoire. Ils n’ont pas lu les pages des rescapés de “l’Autre monde” qui, lettre après lettre, de Césaire à Confiant en passant par Schwarz-Bart, se sont évertués à raconter leur Histoire. Ces enfants-là n’ont jamais dit au revoir à Man Tine… En douze nouvelles, qui sont comme autant de madeleines de Proust, Merine Céco revient, avec un sens aigu de l’observation, sur la Martinique de son enfance, composant une mosaïque, cohérente et saisissante, dans le sillage des textes d’une créolité en devenir.
Une quête à rebours de l’amnésie, un parcours nostalgique à la recherche de fantômes trop vite oubliés.
2018. Le talisman de la présidente, un roman à clefs, un récit, un témoignage ?
Mérine revient sur quatre années mouvementées à la direction de l’Université des Antilles et de la Guyane, devenue Université des Antilles après l’indépendance du pôle guyanais en 2015. L’ouvrage représente non seulement le témoignage éclairant d’un engagement contre la corruption et le chantage dans une institution française, mais c’est aussi le récit d’une femme qui a dû se battre, bien souvent seule, face au harcèlement sexiste et au machisme, mené par une oligarchie protégée par des réseaux hauts placés. Sur le plan déontologique, le système universitaire a encore du pain sur la planche !
« J’ai été élue présidente de l’Université franco-caraïbe à un moment où l’on ne m’y attendait pas. Ce n’est jamais facile de raconter une histoire où l’on est si impliquée, une histoire qui a fait basculer votre vie… C’est l’histoire d’une université dominée, depuis bien trop longtemps, par une sorte de gourou que l’on pensait invincible, parce qu’il portait un prénom et un nom porte-bonheur : Félix (heureux), Talisman (protection magique). Mais c’est aussi l’histoire de l’organisation d’une résistance, sous l’égide d’une présidente insoumise.
Déterrer ces racines aurait pu me coûter la vie. Mais je suis vivante, bien vivante. Je suis de la race des maîtresses femmes, de celles qui savent nouer leur mouchoir autour de leur tête et de leurs reins pour arracher les mauvaises herbes sans regarder ni à droite ni à gauche. »
2019. D’autres vies sous la tienne
C’est une île lointaine, dite paradisiaque, que les dépliants touristiques surnomment « l’île des revenants ». Une île que cette femme a fui, tant elle voulait l’oublier, se croyant victime d’un sortilège qui l’aurait pour toujours liée à ce pays. Mais un jour, elle se retrouve confrontée au désir de sa fille – pourtant née dans le pays d’adoption – de renouer avec les âmes errantes de cette île, avec les fantômes du passé. C’est alors qu’affluent tous les souvenirs enfouis, les récits familiaux douloureux, les drames de la violence misogyne, de l’inceste, du viol… Par une lettre qu’elle adresse à sa fille, la mère interroge son passé et son présent, et ce faisant, fait remonter à la surface des tresses de récits, des éclats de paroles étouffées, des questionnements intimes, autour notamment d’une figure trouble, celle du « dorlis » – équivalent créole de l’incube du Moyen-âge –, ce démon mâle qui prend corps pour abuser d’une femme qui dort. Sur l’île répudiée, c’est lui qui règne en maître absolu ; c’est l’Homme, blanc, noir, mulâtre, indien, qu’importe ; riche ou pauvre, croyant ou mécréant. Lui, pour qui le ventre des femmes est à labourer sans répit, à triturer, à torturer parfois …
À travers ce chassé-croisé, l’auteur explore la peur intestine qui habite tous ceux qui naviguent entre plusieurs appartenances, peur qui les conduit à l’invention de figures magiques destinées à recouvrir une réalité trop douloureuse. Si ce roman s’enracine dans une réalité socio-historique indéniablement caribéenne, il témoigne tout autant d’une quête universelle : celle des femmes résistantes, qui osent affronter “à plume découverte” l’obscur éclat des généalogies marquées par une oppression masculine masquée ; celle des « déracinés » qui, dans le silence obstiné des autres, portent leur couleur de peau et leur histoire comme un fardeau.
Fort-de-France, le 20 mars 2021. Janine Bailly.