— Yves-Léopold Monthieux —
Même si les Cassandre accusent la mère-patrie d’abandonner ses enfants, la perspective d’une Martinique guérie de la pandémie Corid-19, alors que la Métropole ne le serait pas encore, est une hypothèse à prendre en considération. Nos frontières n’en resteraient pas moins fermées ou soumises au contrôle strict des personnes et peut-être des biens d’importation. A cet égard, la proposition des députés de la Délégation aux Outre-mer, présidée par le député guadeloupéen Olivier Serva, de permettre que les territoires ultramarins puissent «faire office de territoires pilotes en matière de dépistage généralisé de la population», est une initiative intéressante conforme au droit à l’expérimentation.
Il demeure qu’un confinement prolongé de l’Hexagone aurait des conséquences graves pour les territoires d’outre-mer. J’y vois un argument supplémentaire pour regretter que n’ait pas été mise en place ni ne soit envisagée une politique agricole martiniquaise orientée vers l’autosuffisance alimentaire. En plus de jouer au marronage sur le terrain régalien c’est bien à cette tâche que devraient s’atteler les élus martiniquais, laquelle ne serait pas, comme l’eau ou les transports – autres secteurs défaillants –, hors de la compétence de la CTM. Si les ouvriers agricoles qui manquent au pays – plus cruellement sans doute que les médecins -, il faudrait peut-être envisager d’importer des agriculteurs cubains pour défricher et cultiver les surfaces non polluées, notamment celles détenues par la collectivité. Mais je crains que, s’agissant de Cuba, on ne préfère les produits d’affichage idéologique.
Ainsi que le rappelle Gilbert Pago dans son livre La Martinique de l’amiral Robert – An tan Wobè, « Entre 1941 et 1943, les terres plantées en vivres passent de 4000 ha à 7500 ha, soit une spectaculaire augmentation de 87,5% qui ne parvient pourtant pas à assurer la subsistance ». La population était d’environ 200 000 habitants et composée essentiellement de travailleurs manuels aptes à faire face aux circonstances. Un sursaut avait donc été possible qui n’avait pas été toutefois suffisant et que les Américains devaient en partie suppléer. Quatre-vingts ans plus tard, la population ayant doublé et la culture d’assistanat étant devenue triomphante, combien de temps faudrait-il pour passer des 3 000 ha actuels de cultures vivrières, aux 10 000 ha ou plus sans doute nécessaires qu’il conviendrait d’obtenir ? Il n’y avait rien de tel en février 2009, car vers la fin de la grève qui n’avait duré qu’un mois on assistait déjà au débitage de bœufs près des rivières et aux vols de légumes dans les plantations. Qu’en aurait-il été si la grève s’était prolongée ?
Si la pandémie du Covid-19 en vient à s’accompagner de pénurie, il n’est pas sûr que la Martinique puisse échapper à l’instinct de recherche de boucs émissaires. On peut espérer avec un journaliste de l’hebdomadaire Le Point « que n’advienne aucun lynchage de Covid-19, que personne ne vole, n’abuse, ne rejette ou ne maltraite l’autre ».
Fort-de-France, le 29 mars 2020
Yves-Léopold Monthieux
1« Au temps de l’Amiral Robert », Haut-Commissaire du régime de Vichy en Martinique.