[Le bureau de l’Assemblée nationale vient de voter une modification du règlement concernant la tenue des députés. Sur propositions des questeurs, dont Eric Ciotti (LR), le port de la veste est désormais obligatoire pour les hommes et celui de la cravate recommandé. La tenue dans « le périmètre sacré » doit rester « convenable et non détendue, ni a fortiori négligée ». La présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet souhaitait que le port de la veste soit simplement recommandé et non obligatoire, mais elle a été mise en minorité. Cette nouvelle modification du règlement, après celle de 2018, fait suite à une série de polémiques cet été concernant les vêtements des parlementaires, notamment suite aux attaques de Marine Le Pen (LR) contre les députés polynésiens, et celles d’Eric Ciotti (LR) contre l’élu FI Louis Boyard.]
À l’Assemblée, l’habit fait-il le député ?
— Par Aurélien Soucheyre —
Costume bleu ou gris, cape rouge, robe à fleurs, maillot de football, perruque de l’Ancien régime, soutane, gilet jaune, chemise ouvrière et bleu de travail… Depuis la Révolution, plusieurs députés se sont signalés à travers différentes tenues, parfois anodines, et parfois très politiques de par le symbole convoqué.
Large collier de fleurs autour du cou. Tatouages tribaux. Lavalava encadrant la taille. Chemises aux motifs floraux et végétaux. Sandales aux pieds. Les trois députés de Polynésie française Moetai Brotherson, Tematai Le Gayic et Steve Chailloux ont fait une entrée remarquée à l’Assemblée nationale, fin juin. Au plus grand déplaisir de certains esprits hostiles à toute altérité, fut-elle vestimentaire. « On ne vient pas en tongs et en chemise à fleurs ! », s’est écriée l’élue d’extrême droite Marine Le Pen, fustigeant l’habit traditionnel porté par les trois parlementaires. L’accoutrement ne fait pas le moine, prévient pourtant l’adage. Mais la blouse blanche fait l’infirmière, et le képi le gendarme. Qu’en est-il pour les députés ? « Il n’y a pas d’uniforme officiel. Si le costume reste majoritaire chez les hommes, il n’a rien d’obligatoire », note l’historien Bruno Fuligni. La tenue des trois membres du Tavini, parti indépendantiste, s’avère même parfaitement réglementaire. « Il va falloir que tous s’habituent à nous voir ainsi. Nous représentons le peuple dans la Nation, mais plus particulièrement dans notre cas le peuple polynésien, c’est donc tout à fait symbolique que nous portions nos vêtements », ont tranquillement réagi les trois élus ciblés, qui se distinguent aisément dans l’hémicycle, où ils siègent avec les communistes au sein du groupe GDR. « Ces habits sont tout à fait respectueux de l’institution et de leurs électeurs », a également indiqué Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale. Et n’ont pas grand-chose de neuf, en réalité, n’en déplaise au RN. Les parlementaires des anciennes colonies portaient en effet fez et turbans. Le bachaga Boualam, député d’Algérie française élu vice-président de l’Assemblée en 1958, siégeait même au perchoir en tenue traditionnelle berbère, avec bangoura blanche et coiffe, sans que personne ne s’en offusque.
La question vestimentaire a cependant rebondi un mois plus tard. Le très droitier député LR Eric Ciotti a demandé de rétablir le port de la cravate obligatoire dans l’hémicycle, au motif que des députés FI siégeraient avec des tenues « de plus en plus relâchées ». « La véritable indécence, c’est de se pavaner avec des costumes qui coutent plus d’un Smic », lui a répondu l’élu FI Louis Boyard, qui a sollicité l’interdiction du port de tenues « aux prix indécents ». Yaël Braun-Pivet a rétorqué qu’elle n’entendait instaurer aucune « police vestimentaire », rappelant simplement qu’une « tenue correcte » est exigée. Fin du débat ? Il existe en réalité depuis… 1789 et la Révolution française ! Élu député du Tiers-Etat, le seul paysan de la chambre, Michel Gérard, se présenta en tenue de laboureur ! « Son habit de cultivateur va prendre une tonalité politique supplémentaire en influençant les vêtements des jacobins, qui finissent même par rejeter la perruque, trop aristocratique », relève Bruno Fuligni. Si les modes ont depuis changé, certaines filiations idéologiques perdurent. Le père Gérard, dont l’almanach est resté célèbre, est l’un des oncles éloignés de Charles Tillon, résistant communiste, député du Front populaire et ministre à la Libération, qui bien que siégeant en costume s’est toute sa vie revendiqué de son aïeul, député du peuple qui s’habillait comme le peuple.
Mais impossible d’évoquer plus longtemps les tenues des députés sans évoquer Patrick Roy, socialiste qui siégeait en costume rouge jusqu’en 2011, ou encore le coup d’éclat de Patrice Carvalho : En 1997, l’élu PCF de l’Oise entre en bleu de travail dans l’hémicycle. « Des centaines de personnes m’ont applaudi et serré la main, dont les travailleurs de l’Assemblée, ça m’a touché », se rappelle le mécanicien de profession, qui voulait montrer que les ouvriers « bien trop exclus de l’Assemblée, ont leur mot à dire et peuvent voter les lois ». Ils n’étaient d’ailleurs que quatre à siéger cette année-là. Patrice Carvalho a donc voulu marquer le coup, inscrivant ses pas dans ceux de Martin Nadaud, maçon élu député de la Creuse en 1849, qui entre dans la chambre en chemise ouvrière, réclamant des retraites pour les plus modestes et une protection contre les accidents du travail. Les élus de la bourgeoisie, majoritaires et tirés à quatre épingles, refusent. Entre Nadaud et Carvalho, il y eut aussi Christophe Thivrier, député de l’Allier en 1889 sous l’étiquette du Parti ouvrier, tout premier parti marxiste fondé en France. Cette année-là, l’ancien mineur se présente en blouse bleue conformément à une promesse faite à ses camarades. Les huissiers de l’Assemblée l’invitent aussitôt à changer de tenue, mais Thivrier refuse, avec cette phrase restée célèbre : « Quand l’abbé Lemire posera sa soutane, quand le général Galliffet quittera son uniforme, je poserai ma blouse d’ouvrier ».
Qu’une tenue militaire (celle du « massacreur de la Commune » qui plus est) ou d’ecclésiastique passe sans soucis quand celle d’un ouvrier interpelle dit tout des équilibres alors en place à l’Assemblée. En plus de montrer que le vêtement, chargé de symboles, peut être politique. Napoléon l’avait bien compris, lui qui impose un uniforme de magistrat aux députés, « afin de les rabaisser du rang de législateurs à celui de fonctionnaires aux ordres », note Bruno Fuligni. Louis XVIII aussi, lors de la restauration de la monarchie, en obligeant les parlementaires à se vêtir d’une tenue « bleu roi », en plus d’arborer une fleur de lys blanche. Pas besoin d’un vêtement, cependant, pour être les serviteurs zélés d’un monarque, fut-il républicain, comme l’ont montré les macronistes depuis 2017, en votant le doigt sur la couture du pantalon selon les instructions de l’Élysée. On ne sera d’ailleurs pas surpris d’apprendre que le terme de « godillots », pour évoquer des élus soumis à l’exécutif, renvoie à des chaussures militaires… Ceux qui les mettent, à n’en pas douter, ont une vision limitée de leur rôle. Certaines tenues, prestigieuses et grandiloquentes, peuvent laisser penser l’inverse. Les élus du Conseil des Cinq-Cents, sous le Directoire, siégeaient ainsi avec une grande cape rouge, un plumet tricolore, et même un glaive d’appart. « Nous sommes dans l’imitation de l’Antiquité, qui est alors la nourriture intellectuelle de tout le monde. Les élus se veulent les continuateurs de la Grèce antique », analyse l’historien. Ils seront surtout ceux de la Rome antique, puisque la République tombera suite au coup d’État d’un général, et les députés, en simili toges, courberont l’échine devant un nouveau césar, alors connu sous le nom de Bonaparte.
L’eau a coulé sous les ponts. La République est revenue. La cravate a fait son apparition. Elle est restée obligatoire jusqu’en 2017. « Les huissiers avaient même une petite réserve au cas où, afin qu’en cas d’oubli les députés attrapent la bande de tissu au vol et se l’enfilent autour du cou en arrivant en séance », rappelle Bruno Fuligni. Cette cravate, certes, n’était pas obligatoire pour les femmes : ce sont les femmes qui, jusqu’en 1945, étaient interdites d’hémicycle, quelle que soit leur tenue, le mandat de député étant réservé aux hommes. Les premières élues siégeaient en tailleur. Ce n’est qu’en 1980 que le port du pantalon leur est autorisé dans l’hémicycle… Quant aux robes, qui s’imposent de plus en plus, cela ne s’est pas fait sans heurts ou remarques sexistes. Même sous le quinquennat Hollande, les députées et femmes ministres étaient encore publiquement interpellées selon leurs tenues. En 2012, Cécile Duflot est à la fois huée et sifflée pour avoir mis une robe bleue et blanche alors qu’elle s’apprêtait à prendre la parole. « C’est très symbolique : cela montre que les femmes sont victimes de sexisme avant même d’ouvrir la bouche », dénonçait-elle. Cette année, la députée écologiste Marie-Charlotte Garin est venue siéger avec exactement la même robe que celle portée par la ministre dix ans plus tôt, en clin d’œil à « ce moment qui a cristallisé quelque chose que l’on perçoit au quotidien : notre corps est toujours objet ». Si les choses progressent, il reste du travail. Chez les hommes, bien sûr, et chez quelques femmes, à l’image de Nadine Morano (LR), qui avait déclaré e 2019 que la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, siégeait en « tenue de cirque » dans l’hémicycle pour cause de vêtements colorés…
Reste que si les robes sont désormais portées par les femmes à l’Assemblée, l’une d’elles est devenue interdite en 2018 : la robe de prêtre, tout signe religieux ostensible étant désormais prohibé. L’abbé Grégoire siégeait en soutane pendant la Révolution, tout comme le chanoine Kir (à qui l’on doit la célèbre boisson) jusqu’en 1967. L’abbé Pierre lui aussi a été parlementaire, et le dernier élu à avoir porté le col blanc sur les bancs reste l’abbé Lorrain, jusqu’en 1977. Le premier député musulman quant à lui, élu dès 1896 dans le Doubs, n’était autre que Philippe Grenier, médecin des pauvres, radical-socialiste converti à l’islam, qui siégeait en habit berbère. Des tenues qui ont disparu d’elles-mêmes. Alors que la loi de 1905 les autorise, la République ne reconnaissant par l’habit religieux, l’Assemblée les a tout de même exclus en 2018. En plus de prohiber les maillots de foot.
Car fin 2017, le député FI François Ruffin monte à la tribune pour défendre le football amateur via l’instauration d’une taxe sur les clubs professionnels. En plein discours, il enlève son pull et dévoile le maillot vert de l’Olympique Eaucourt. Puis il reproche aux ministres de n’en parler « qu’en termes de compétitivité, comme des traders », avant de rendre hommage aux bénévoles « qui lavent, plient et rangent les maillots pour pas un rond », soulignant leur « don de soi dans une société où tout se marchande ». Le président de l’Assemblée, François de Rugy, dénonce de suite une « provocation » et adresse un rappel à l’ordre. François Ruffin écope d’une amende de 1378 euros. Juste avant la décision, il avait adressé un courrier à François de Rugy. « Notre histoire s’est offerte des crises parlementaires. Il ne nous reste plus que des crises vestimentaires », écrivait-il, fustigeant une chambre aux ordres de l’Élysée. « L’Assemblée n’est qu’habit. De pouvoir, elle n’a que l’apparat. D’où la panique, lorsqu’on touche à l’habit, qui fait le parlementaire. Qu’est-ce qu’il va nous rester, en effet, si on nous enlève les apparences ? », pointait-il, appelant à ce que l’Assemblée « soit habillée de réels pouvoirs ».
Depuis, les forces se sont équilibrées au Parlement, et la majorité macroniste est devenue relative. Ce qui ne nous dit pas quel sera le prochain coup d’éclat vestimentaire, à l’image d’un Jean Lassalle siégeant en gilet jaune en 2018, ou d’un Garibaldi venu en chemise rouge et poncho en 1870 avant de démissionner avec fracas, rejetant une Assemblée alors monarchiste.
Source : L’Humanité.fr