— Par Jérôme Talpin —
Archéologues et historiens étudient les vestiges d’une « colonie pénitentiaire agricole » où, au XIXe siècle, les mineurs vagabonds et les petits voleurs étaient envoyés afin d’être « redressés » par des prêtres qui les exploitaient.
Enfoui dans une végétation tropicale dévorante, un ensemble de murs moussus et de ruines de bâtiments apparaît, vestige de la colonie pénitentiaire d’Ilet à Guillaume qui, entre 1864 et 1879, a accueilli entre 3 000 et 4 000 mineurs incarcérés. Le site est perdu sur les hauteurs de Saint-Denis, à plus de deux heures et demie de marche du village de Saint-Bernard. Depuis l’unique sentier d’accès, on le distingue grâce à sa forme en triangle. Niché à 700 mètres d’altitude, ce petit plateau est posé sur une crête et cerné par de vertigineux remparts au fond desquels coulent la rivière Saint-Denis et le Bras Guillaume.
« Une prison sans barreaux tant les évasions étaient rendues difficiles », décrit Pascale Moignoux, autrice de Graine de Bagnard. Ce roman, paru en 2006 (Surya éditions), a sorti de l’oubli ce pénitencier pour enfants fondé par les missionnaires de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie, sur le modèle de celui ouvert à Saint-Ilan, en Bretagne, en 1843.
Connu des randonneurs, ce site abandonné, qui a vraisemblablement été un lieu de marronnage – une cache pour esclaves évadés –, est inscrit au titre des monuments historiques depuis 2008.
Après avoir fait réaliser une cartographie en 3D grâce à la technique laser du Lidar (Light Detection and Ranging), le département a lancé en octobre 2020 une étude archéologique et historique, toujours en cours. Son objectif : mieux connaître le fonctionnement de cette « colonie pénitentiaire agricole » et resituer sa création dans une histoire nationale des « maisons de correction » ou « de redressement » qui ont vu le jour en métropole à partir des années 1830 et un peu plus tard dans les colonies, comme à La Réunion. Ces institutions avaient pour principes directeurs la régénération morale et la rédemption par le travail de la terre et la prière. Les meilleurs moyens de ramener les enfants dans le droit chemin et de les éloigner des mauvaises influences de la ville, considérait le pouvoir judiciaire de l’époque.
Pour permettre l’intervention des archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), trois semaines de nettoyage par des ouvriers de l’Office national des forêts ont été nécessaires afin de dégager des entrelacs de longoses les restes des bâtiments et des enceintes de parcelles cultivées en terrasses.
« Surhumains pour des bras d’enfants »
Ce travail pénible, à coups de sabre, a révélé l’ampleur, insoupçonnée jusque-là, des chantiers réalisés en une quinzaine d’années. Mais aussi la brutalité de l’époque à l’encontre de ces mineurs, encadrés de religieux et de laïcs pour construire là où il n’y avait rien : un chemin carrossable à flanc de falaise, un captage et des canalisations d’eau, des dortoirs, des ateliers, une église et une chapelle, des murs de soutènement en pierres sèches – dont certaines pèsent plus de trois tonnes – pour les plantations de vanille, quinquina, café, agrumes, fruits et légumes, qui permettaient de vivre en autosuffisance…
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