Carnet de route du Laos
— Par Roland Sabra —
Le soir de mon arrivée à Luang Prabang je me suis donc précipité dans l’ancienne salle de bal et du protocole du Palais Royal de Luang Prabang aujourd’hui transformée en salle de théâtre pour voir le troisième épisode du Phralak Phrralam, une adaptation lao du célèbre Ramayana, considéré comme l’une des quatre plus grandes épopées, les trois autres étant le Mahabharata, l’Iliade et l’Odyssée. Au fil du temps, la version lao de cette épopée a perdu son association avec l’hindouisme et représente plutôt la vie antérieure du Bouddha. L’épopée a été introduite pour la première fois au Laos par des missions bouddhistes. L’histoire du Rama est décrite dans de nombreuses peintures murales et des sculptures en relief en bois sur les portes et les fenêtres de temples bouddhistes. Il existe deux versions connues de l’histoire de Ramayana au Laos: la version de Luang Prabang dans la capitale royale et la version de Vientiane peinte sur les murs du temple Wat Pa Khe. Phralak Phralam est devenu l’un des thèmes les plus populaires du répertoire du ballet royal lao jusqu’en 1975, date de la prise du pouvoir par le Pathet Lao. Il faudra attendre 27 ans et un assouplissement du régime, d’une grande orthodoxie communiste à ses débuts pour que cette tradition soit reprise en 2002 par le Ballet Royal du Theatre de Luang Prabang ou plus simplement le Ballet Royal du Phralak Phralam. La troupe de plus de cent danseurs et musiciens fait revivre en neuf épisodes l’épopée indienne parvenue au Laos au XVIe siècle par la voie de missions bouddhistes. Elle s’est adaptée à la géographie et les noms des personnages se sont pliés aux langages régionaux. Toute l’histoire se situe dans la vallée du Mékong, la grande citée du royale se nomme Chanthabouri Si Sattanak, quand à Lanka (Sri Lanka), elle reste une île bien loin du cœur du royaume, inaccessible, et dangereusement fréquentable.
De quoi s’agit-il ? Le ciel et les dieux ont été ordonnés par Indra, divinité céleste, qui fut malheureusement dérangée dans sa plénitude lors de la destruction de son palais du mont Maru par un lézard maladroit. L’équilibre du monde ainsi rompu nécessitera le souffle divin pour retrouver son équilibre.
Plus concrètement : c’est l’histoire du prince Phralam (Rama) et de l’amour infini qu’il partage avec la jolie princesse Sida (sic!). Malheureusement cet amour est troublé par la jalousie de Totsakhan (Rāvana) qui, grâce à un adroit subterfuge, enlève la princesse pour l’ile de Lanka (Sri Lanka), l’ile des géants (Niaks, Rākshasa). Jatayu le roi des vautours, fils de Garuda, apportera la preuve de cet enlèvement à Phralam en lui confiant la bague de Sida perdue durant son vol vers Lanka. S’ensuivra la quête de l’amour disparu. Phralak(Lakshmani) frère de Phralam, l’accompagnera, aidé de l’armée des singes commandée par Hanuman et ses généraux.
Après une longue et rude bataille par delà un bras de mer, le méchant roi de Lanka sera tué et son armée de géants décimée.
De retour au palais princier, après la liesse des célébrations, Phralam doutera un moment de la réelle fidélité de Sida durant ce long séjour chez son ennemi.
Celle-ci prouvera son innocence en se soumettant à l’épreuve du feu. Et tout rentrera dans l’ordre et la paix.
Le troisième épisode s’intitule « A la recherche de la princesse Sida«
Il y a déjà plusieurs mois que la princesse a été enlevée par Totsakhan. Phralam est triste et malade. Son armée dont la mission était de retrouver la princesse lors de toutes ses tentatives. La belle Sida reste introuvable. Le prince donne l’ordre à Hanuman de prendre la tête de son armée de singes et de se diriger vers le palais de Thotsakan situé sur l’île de Lanka (Sri Lanka). Mais la grande armée, arrive, épuisée et affamée au bord de la mer qui sépare le continent indien de l’île. Elle établit son campement pas très loin de la grotte de Samphati, l’oiseau rouge, le grand frère de Phragma Khout, un aigle âgé de 60 000 ans, gardien des Lois de la forêt, qui avait pris fait et cause pour Phralam et s’était engagé dans un combat contre Thotsakham dont il sortit vaincu, les deux ailes coupées. Malgré son grand âge et quelque peu déplumé Samphati, promet à Hanuman de le conduire au royaume de Linka (Sri Lanka) par les airs !
Cher lecteur il faut te dire que sur scène, l’histoire que je tente de te raconter, est encore un peu plus obscure pour le spectateur occidental que je suis. Les laotiens présents dans la salle reconnaissent les personnages à leur code vestimentaire et vibrent au moindre pas de danse. Et quand j’écris pas de danse je suis un peu dans l’exagération tant il semble que ce sont les bras, les mains, les doigts et la tête qui sont d’abord sollicités, le bas du corps et de façon générale la partie en dessous du bassin semble secondaire ou tout au moins utilisée comme support d’une gestuelle autre.
Ce soir là ils étaient trois bonnes douzaines sur la plateau, musiciens compris. C’est un privilège des troupes subventionnée qu de pouvoir réunir un tel plateau. Une comparaison qui n’a peut-être pas lieu d’être m’est venue à l’esprit. Je te la ivre quand même cher lecteur. Un autre pays communiste pas très loin de chez nous a lui aussi favorisé l’expression artistique, je pense à Cuba et en particulier à Santiago de Cuba, ou pullulent dans les rues du soir au matin et du lever du jour au coucher du soleil musiciens et autres artistes, le choix d’un métier se faisant plus par goût que par recherche pécuniaire. Les revenus étaient, à l’époque, les mêmes pour tous. Je n’ai pas retrouvé la même passion exubérante chez les danseurs laotiens. Mais il est vrai que la réserve, la pudeur, l’expression et la maîtrise des sentiments là encore ne relèvent pas des mêmes codes culturels.
Luang Prabang, le 20/02/2019
R.S.