Dix ans après la mort de l’auteur du « Dernier des Justes », sa femme, Simone, reprend le cycle antillais qu’ils avaient imaginé ensemble et dû abandonner devant les critiques. Elle s’en explique.
C’est le plus beau couple métis de la littérature française. Un demi-siècle d’amour fou. Le mariage, pour l’éternité, du yiddish et du créole. Et le poids, sur leurs épaules accolées, de deux tragédies dont ils ont été les mémorialistes : le génocide des juifs et la traite des Noirs. Chacun a écrit son chef-d’œuvre.
Pour André, ce fut «le Dernier des Justes» (prix Goncourt 1959), qui retrace mille ans d’une lignée de Justes, les Lévy, depuis York, au Moyen Age, jusqu’au camp d’Auschwitz. Et pour Simone, de dix ans sa cadette, «Pluie et vent sur Télumée Miracle» (1972), la longue généalogie de femmes guadeloupéennes, les Lougandor, depuis l’époque de l’esclavage jusqu’aux temps modernes.
Deux livres monstres, deux romans encyclopédiques de la persécution, deux épopées lyriques, deux monuments de papier élevés à la mémoire de ces deux peuples réunifiés. Schwarz-Bart, sang mêlé.
« Abîmé, étrillé, ostracisé »
Le couple, installé en Guadeloupe, devenue la terre promise du Mosellan André, était fusionnel. Ensemble, ils écrivirent et signèrent «Un plat de porc aux bananes vertes». Ensemble, ils imaginèrent un grand cycle romanesque qui retracerait, en sept volumes, l’histoire des Antilles, dont le premier tome, «la Mulâtresse Solitude», parut en 1972 sous le seul nom d’André Schwarz-Bart. Mais le livre, qui illustrait l’idée de métissage, la symbiose des civilisations, fut mal accueilli.
« Lorsqu’on est précurseur, dit aujourd’hui Simone, on le paie cher. Les Antillais ne voulaient pas alors de leur histoire.» On fit, à son auteur, un procès en légitimité – que pouvait-il savoir, lui l’enfant de Metz d’origine polonaise, l’ancien résistant, l’homme blanc, de la geste caribéenne? – et on le soupçonna même de s’être approprié l’œuvre de sa femme.
Le choc fut violent, dévastateur. Seul Léopold Sédar Senghor prit haut et fort sa défense. «Abîmé, étrillé, ostracisé», André fit alors vœu de silence. Il continua d’écrire, mais ne publia plus. Après avoir donné un ultime roman, «Ti Jean l’horizon», en 1979, Simone accompagna son mari dans son exil intérieur.
Je me suis, nous confie-t-elle, totalement solidarisée de lui. Il n’était pas question pour moi de continuer à être écrivain après le choix qu’il avait fait de se taire et alors qu’il s’enfonçait dans une immense et terrible mélancolie. C’est grâce à lui que je suis venue à l’écriture. Sans lui, cela n’avait plus de sens….
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l’Ancêtre en Solitude,
par Simone et André Schwarz-Bart,
Seuil, 234 p., 18 euros