— par Janine Bailly —
L’épidémie semble s’ancrer dans le territoire, et pourtant la vie culturelle, trop longtemps contrainte au sommeil, se hasarde à reprendre des couleurs.
Vinrent d’abord les manifestations organisées par diverses associations en l’honneur du 150° anniversaire de l’Insurrection du Sud de 1870. Ainsi, le dimanche 13 septembre de ce mois, à l’initiative de Culture-Égalité une marche théâtralisée eut lieu au Vauclin, au cours de laquelle artistes et comédiennes ont « jalonné le parcours pour nous raconter et mimer l’histoire des Insurgés du Sud ». Le 19 du même mois, l’Union des Femmes de Martinique nous a invités au village-mémoire « Fanm limiè, léritaj lensireksion lisid », à l’Habitation La Mauny, offrant aux uns la possibilité de découvrir, aux autres celle de se remémorer « l’héritage de Lumina Sophie et des femmes insurgées », au travers notamment de performances artistiques et théâtrales.
Sont maintenant inscrites à notre horizon deux représentations théâtrales, que nous attendons dans l’impatience et la fébrilité ! La première, un Oratorio nommé « Antigone ma sœur », composé à partir de la pièce de Sophocle et proposé par l’enfant bien connu et bien-aimé du pays Nelson-Rafaell Madel, aura lieu les 2 et 3 octobre sur la scène Frantz Fanon de Tropiques Atrium. La deuxième, dans le cadre plus intime du théâtre Aimé Césaire, nous permettra de voir « Ponce Pilate », une pièce d’après Roger Caillois, qui programmée au printemps s’était trouvée empêchée par le confinement. Cependant qu’à la librairie Présence Kréol, sise au 40 Rue Antoine Siger, à Fort-de-France, Catherine Marceline nous invite le 26 septembre à 9 heures, à une conférence sur l’histoire, le parcours d’excellence de Christiane Eda-Pierre, première cantatrice noire de France à rayonner à l’international.
Et si les salles du cinéma Madiana depuis le déconfinement se sont réouvertes à nous, proposant par exemple en ce moment un bel hommage en quatre films sur quatre vendredis à l’acteur, malheureusement trop tôt disparu, Chadwick Bosnan – et pour m’y être rendue je peux affirmer que dans le respect des règles sanitaires, la salle s’est vite remplie, avide de s’émouvoir et de s’émerveiller au portrait particulièrement bien incarné du chanteur James Brown –, elles se mettent à nouveau au service de Tropiques Atrium et des « séances VO » choisies, présentées et commentées comme toujours par Steve Zébina… en attendant le Ciné Martinique Festival (du 23 au 31 octobre, la 15° édition) !
ATTENTION :
Cinémartinique Sélection propose par ailleurs toute une programmation, à partir de ce 22 septembre, programmation « bicéphale », puisque l’équipement de la salle Frantz Fanon enfin réalisé permet que les films soient de nouveau projetés à Tropiques Atrium !
Cliquez ici pour obtenir le dossier cinéma complet du 22 septembre au 17 octobre, les deux programmations Tropique Atrium et Madiana, la présentation par Steve Zébina, et surtout la bande-annonce de chaque film ! Vous pouvez aussi consulter le calendrier date par date.
Les quatre premiers films VO-Art et Essai au programme à Madiana sont :
Epicentro : Un regard personnel sur Cuba.
Le cinéaste Hubert Sauper – réalisateur de « Nous venons en amis » et du « Cauchemar de Darwin », nommé aux Oscars – a réalisé Epicentro, portrait immersif et métaphorique de Cuba, utopiste et postcolonial, où résonne encore l’explosion de l’USS Maine en 1898. Ce Big Bang a mis fin à la domination coloniale espagnole sur le continent américain et inauguré l’ère de l’Empire américain. Au même endroit et au même moment est né un puissant outil de conquête : le cinéma de propagande. Dans Epicentro, Hubert Sauper explore un siècle d’interventionnisme et de fabrication de mythes avec le peuple extraordinaire de La Havane, en particulier ses enfants, qu’il appelle « les jeunes prophètes », pour interroger le temps, l’impérialisme et le cinéma lui-même.
D’après le livre « Energie and utopie » de Johannes Schmidl. Réalisation : Hubert Sauper avec Hubert Sauper. France/Autriche – 2020 – 1h47
Projections à Madiana
•Mardi 22 septembre | 19h30 • Lundi 28 septembre | 14h • Jeudi 1er octobre | 19h30 • Dimanche 4 octobre | 19h30
Quelques critiques
Télérama : Moins sombre que ses films précédents, Epicentro salue surtout la fierté bravache des Cubains, qui s’opposent à l’arrogante Amérique. On n’oubliera pas la détermination de ces deux petites Cubaines de onze ans qui parlent de géopolitique avec une intelligence et un naturel déconcertants.
Libération : C’est la part la plus intéressante, la plus simplement filmée aussi, celle qui consiste à recueillir, au fil des nuits, un récit officiel tant répété et déformé qu’il devient une sorte de conte vague que les enfants racontent en riant.
Culturebox – France Télévisions :Hubert Sauper emmène sa caméra à La Havane où il interroge des enfants sur Cuba. Sans clichés, il parle de la colonisation, de l’impérialisme, de la Révolution et du futur, par la voix d’enfants à la clairvoyance singulière.
Light of my life : Une fable touchante sur une relation père-fille, après une épidémie apocalyptique… Une belle histoire de survie… Un chemin d’initiation…Une chute pleine d’amour et d’espoir…
Dans un futur proche où la population féminine a été éradiquée, un père tâche de protéger Rag, sa fille unique, miraculeusement épargnée. Dans ce monde brutal dominé par les instincts primaires, la survie passe par une stricte discipline, faite de fuite permanente et de subterfuges. Mais il le sait, son plus grand défi est ailleurs : alors que tout s’effondre, comment maintenir l’illusion d’un quotidien insouciant et préserver la complicité fusionnelle avec sa fille ?
USA – 2020 – 1h59 – Réalisation : Casey Affleck. Avec Casey Affleck, Anna Pniowsky, Elisabeth Moss
Projections à Madiana
•Mercredi 23 septembre | 19h30 • Vendredi 25 septembre | 14h • Lundi 28 septembre | 19h30
Quelques critiques
Les Inrockuptibles : Conçu avant le scandale, Light of My Life n’est pas une opportune opération rédemption, mais un film sincèrement personnel…
Madinin’art : Un film que Madiana nous a déjà proposé, en version française, à sa réouverture. Mais que je retournerai voir bien volontiers. Un film sensible, une dystopie tendre et cruelle, sans villes qui s’écroulent ni mer déchaînée submergeant les continents ni aucune autre catastrophe spectaculaire. Où le danger est ailleurs. Où le futur est oblitéré par l’épidémie certes, mais surtout par la méchanceté de l’espèce humaine. On peut penser à La Servante écarlate, parce que les thèmes semblent proches. Mais ici, pas de scènes suggestives, tout naît de la parole, de ce que l’on se dit ou de ce que l’on tait, des histoires que l’on conte, que l’on invente, ou que l’on reconstruit.
Cahiers du Cinéma : “Survival” anti-spectaculaire, ce n’est pas tant le monde apocalyptique qui compte ici, mais la façon d’y construire un monde à soi. C’est la question, simple, du film : dans un monde d’hommes, quel homme peut-on être ?
Eva en août : Le nouveau cinéma espagnol : un portrait de femme tout en douceur, comme la chaleur d’un été madrilène.
Eva, 33 ans, décide de rester à Madrid pour le mois d’août, tandis que ses amis sont partis en vacances et ont fui la ville. Les jours s’écoulent dans une torpeur madrilène festive et joyeuse et sont autant d’opportunités de rencontres pour la jeune femme.
Espagne – 2019 – 2h09 – Réalisation : Jonás Trueba. Avec Itsaso Arana, Vito Sanz, Isabelle Stoffel
Projections à Madiana : Jeudi 24 septembre | 19h30 • Dimanche 27 septembre | 19h30 • Vendredi 2 octobre | 14h
Quelques critiques
Libération : Ruisselant de charmes, le film musarde dans les rues de Madrid qu’il embrasse dans tous les plans, fuyant l’espagnolade de carte postale sans renier la qualité picturale de la ville.
Cahiers du Cinéma : Au fil de ses déambulations loin des clichés touristiques, elle se construit « une nouvelle façon d’être au monde » : accueillir l’imprévu tout en le provoquant, laisser le hasard la guider tout en prenant acte.
Le Monde : Itsaso Arana et les comédiens, tous très justes, apportent l’énergie du collectif théâtral dans ces moments de discussion qui jaillissent, ou bien s’écoulent tranquillement, sans jamais causer de victimes, comme lors de ce somptueux pique-nique au bord de la rivière, seule scène de campagne dans ce film urbain.
Adolescentes : Deux jeunes filles d’aujourd’hui que la caméra accompagne pendant cinq ans… leur amitié, leurs différences, leurs rêves et leurs émois, leurs métamorphoses…
Emma et Anaïs sont inséparables et pourtant, tout les oppose. Adolescentes suit leur parcours depuis l’âge de treize ans jusqu’à leur majorité, cinq ans de vie où se bousculent les transformations et les “premières fois”. Quand elles ont dix-huit, on se demande alors quelles femmes elles sont devenues, et où en est leur amitié. À travers cette chronique de la jeunesse, le film dresse aussi le portrait de la France de ces cinq dernières années.
Documentaire de Sébastien Lifshitz / 2h 15min /
Projections Madiana : Vendredi 25 septembre | 19h30 Mercredi 7 octobre | 19h30
Quelques critiques
Cahiers du Cinéma : L’écart qui se creuse entre Emma et Anaïs et qui les éloigne petit à petit l’une de l’autre constitue sans doute le plus bel objet du film, le plus mystérieux aussi, puisque y ouvre un champ de forces imperceptibles et non figurables qui appartiennent aussi bien aux structures profondes de la société française qu’à la personnalité en construction des jeunes filles.
Le Figaro : Pendant cinq ans, Sébastien Lifshitz a filmé Anaïs et Emma jusqu’à leurs 18 ans. Le résultat n’est pas si passionnant, peut-être parce que les deux amies de Brive se livrent peu.
Télérama : Le passé est déjà lourd à porter, l’avenir est plein de questionnements qui n’ont rien de léger non plus. Entre les deux, il y a le présent, un peu étroit et inconfortable, qui confronte Anaïs et Emma à leur solitude. C’est là que le film et la vie se jouent, là que les filles tiennent bon. Les voir s’affirmer contre vents et marées est rassurant, réjouissant, galvanisant.
Marianne : Adolescentes, en évitant à chaque instant les pièges du voyeurisme et du « cinéma vérité » (les deux héroïnes savent pertinemment qu’elles sont filmées et jouent avec la caméra), entraîne le spectateur dans une histoire à la fois intime et collective qui passionne et touche.
PS : les deux films suivants à Madiana seront Ondine, de Christian Petzold, et Mignonnes, de Maïmouna Doucouré (qui suscite la polémique, aux États-Unis notamment)
Fort-de-France, le 21 septembre 2020