— Par Olivier Lancien —
L’archipel a été placé en zone d’alerte maximale, avec la fermeture totale des restaurants et des bars. Une mesure jugée « disproportionnée » Baie-Mahault (Guadeloupe) correspondance Un coup de massue sur la tête de professionnels de la restauration en Guadeloupe.
Dans ce petit snack de Bragelogne, à Baie-Mahault, commune du nord de Basse-Terre, ce jeudi 24 septembre au matin, c’est un peu le grand flou qui règne. L’entreprise fait de la vente de repas à emporter, mais possède aussi des tables pour le service du midi. Au lendemain des annonces d’Olivier Véran, le ministre de la santé, indiquant que l’île était placée en « zone d’alerte maximale » face au coronavirus, les deux employées, charlotte sur la tête et masque de protection sur le visage, sont inquiètes. « Il faut fermer, mais personne ne parle des modalités. Et nos salaires ? Si ça continue comme ça, on va mettre la clé sous la porte », expliquent-elles.
Les restaurateurs ont le sentiment que leur secteur est pris pour cible par l’État. Déjà, le 11 septembre, la préfecture avait annoncé la mise en place de la fermeture anticipée à 22 heures. Une mesure diversement appréciée, à cause du manque à gagner.
Le flou aussi pour les Guadeloupéens. Cécile travaille dans l’insertion professionnelle. Le weekend, elle aime bien aller au restaurant avec sa fille, collégienne. Une manière de se retrouver après une semaine où elles n’ont pas vraiment le temps de discuter. Cécile ne comprend pas que l’Etat ferme pendant quinze jours les restaurants et continue à permettre les regroupements d’élèves dans les établissements scolaires – pire, que le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, y assouplisse le protocole sanitaire. Mêmes questionnements sur le maintien de l’ouverture des centres commerciaux de l’île.
« Casser la courbe »
La fermeture totale des bars et restaurants, à partir de vendredi soir à minuit, Josette Bore-Lincertin n’approuve pas. Pour la présidente du département de la Guadeloupe, c’est une « mesure disproportionnée ». Elle pénalise ces établissements qui ont déjà « payé un lourd tribut économique et social » après deux mois de confinement au printemps.
Présidente du conseil de surveillance du centre hospitalier universitaire (CHU), Mme Borel-Lincertin est au fait des analyses locales de propagation du virus et sait que les établissements qui accueillent du public ne sont pas les principaux vecteurs de la contamination, quand les regroupements privés y participent pour beaucoup. La présidente du département est plus favorable à un couvre-feu pendant quinze jours dans tout l’archipel. Une mesure qui serait, selon elle, plus efficace. Rody Tolassy, le délégué départemental du Rassemblement national (RN), parle, lui, d’un « manque de cohérence » de l’État. Le RN guadeloupéen fustige la gestion de crise par Emmanuel Macron et le gouvernement, qualifiée d’« amateurisme », dénonçant les fêtes clandestines organisées ces derniers temps, sans « intervention des forces de l’ordre ». Le préfet de région, Alexandre Rochatte, a déjà pointé du doigt il y a deux semaines ces rassemblements. Dans ses mesures complémentaires au placement de l’archipel en zone d’alerte maximale, l’État interdit tout rassemblement festif, même dans un lieu privé, dès lors qu’il y a un appel sur les réseaux sociaux ou une réception du public.
Les mesures en Guadeloupe vont bien au-delà de la fermeture des bars et restaurants pour les deux prochaines semaines. Il faut « casser la courbe ascendante » des contaminations, selon Alexandre Rochatte. Le représentant de l’Etat insiste sur l’application stricte des gestes barrières et le port du masque, et demande aux entreprises de privilégier le télétravail. Bannis aussi les rassemblements de plus de dix personnes dans l’espace public. Les plages et les rivières sont interdites entre 11 h 30 et 14 heures, et le soir de 19 heures à 5 heures le lendemain, pour éviter les regroupements. Les liaisons interîles sont également touchées : pour aller en Martinique ou à SaintMartin, il faudra désormais motiver son voyage.
Des membres du service santé des armées doivent arriver en renfort pour suppléer les personnels soignants du CHU. L’alerte la plus inquiétante vient de Valérie Denux. Après le bilan de la mobilisation du CHU dans le cadre du plan blanc déclenché le 23 août, la directrice de l’agence régionale de santé a souligné le cocktail souvent mortel que représentent le Covid19 et les maladies chroniques, comme l’obésité, le diabète ou les pathologies cardiaques.
Mme Denux affirme qu’un tiers de la population guadeloupéenne est en danger, avec 100 000 personnes qui souffrent de pathologies de longue durée dans l’archipel.
Olivier Lancien
Source : LeMonde.fr