Mardi 7 janvier 2020 à 20h 30 Tropiques-Atrium
— Par Schultz Laurent Junior —
Réalisé par Arnold Antonin, Anthony Phelps, à la frontière du texte passe en revue les moments clés de la carrière et les luttes personnelles qui ont émaillé la vie de cette figure mythique des lettres francophones. Antony Phelps, né en Haïti le 28 août 1928, est l’un des membres fondateurs de Haïti littéraire et de la revue Semence. Le film propose de superbes plans un tantinet impressionnistes sur la beauté de notre pays ; un voyage subtil qui se marie admirablement bien avec l’œuvre poétique d’Anthony Phelps âgé maintenant de quatre-vingt-onze ans. Arnold Antonin a fait intervenir Emmelie Prophète Milcé, Yanick Lahens, Louis Phillipe Dalembert, le sociologue et prêtre jésuite Claude Souffrant, le critique littéraire Joseph Ferdinand et l’historienne Suzy Castor qui appelle affectueusement Anthony Phelps « Thony » pendant tout le film. Chacune de ces personnalités, sous un angle différent, revient sur l’itinéraire inentamé de Phelps, diffuse à travers leurs points de vue une lumière vive sur son humanisme pour permettre aux cinéphiles de mieux apprendre et vivre dans l’ombre discrète de cet homme bien vivant dans le film d’Antonin. Avec toute l’unicité de son être, Anthony Phelps est un homme à multiples facettes qui a beaucoup marqué la vie socio littéraire d’Haïti. Après ses études à l’Institution St Louis de Gonzague, il avait participé avec tout l’élan de sa jeunesse aux mouvements de protestations qui allaient aboutir au renversement du président Elie Lescot. Chimiste de formation, photographe, travailleur de la plume, Phelps a beaucoup voyagé à travers le monde et a gardé tout au long de sa vie le regard distant des voyageurs. Ce regard qui lui permet de temps en temps de revenir sur les territoires fragiles de son enfance, et vers les frémissements de son âme contenant les cris déchirants de sa patrie bien- aimée une terre encore blessée. L’enfance, la patrie bien aimée, la femme, représentée à travers l’image d’Hélène, son amie, son amour qui partage sa vie pendant plus de cinquante ans, constituent entre autres la thématique et la sève nourricière la plus importante de son œuvre.
Phelps avait aussi protesté contre le « noirisme » tel que l’avait compris le dictateur haïtien François Duvalier. Il a laissé le pays en 1962. Ce sera alors le début d’un long exil, cette longue insomnie. Pendant cinquante ans, il a connu le pain amer de l’étranger, parcourt le monde avec comme point d’ancrage le Canada. « Montréal, je viens d’un île de soleil, Haïti, une ile au nom indien », écrivait-il dans l’un de ses textes. Mon pays que voici, texte fondamental de son œuvre mêle présent tragique, passé glorieux inspire beaucoup de jeunes et introduit l’autre à une très belle histoire d’Haïti, pour citer Claude Souffrant. « Mon pays que voici est l’une des œuvres les plus marquantes que la francophonie ait produites », a souligné l’historienne Suzy Castor. Avec vingt recueils de poèmes et cinq romans, Phelps qui a reçu le grand prix de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre est aussi un écrivain « Nobélisable ». Admirateur de Paul Claudel, Pablo Neruda, St John Perse qui lui a offert un espace poétique où ses pas cheminent. Le vers chez Phelps est souvent léger. Doux comme des murmures. Le poète aime le classique avec beaucoup d’alexandrins. Il écrit ses poèmes comme un artiste trace ses lignes. C’est un poète qui a consacré sa vie à saisir le pouvoir incantatoire des mots. Ciseleur et magicien du verbe, il malmène les mots pour dire le silence. « Anthony Phelps poète est beaucoup plus simple et beaucoup plus accessible. Il y a une forme de sincérité poétique chez lui. Phelps parle à notre place et nous touche » a affirmé Emmelie Prophète Milcé. « À la frontière du texte, c’est la fin d’une quête de poème de Phelps au cours de laquelle le poème se débarrasse du poids de la réalité qui l’empêche de prendre son envol. L’inspiration du poème du Phelps c’est de parvenir à cette dimension « valérienne » de l’écriture poétique. L’œuvre de Phelps incarne plus que tout le mystère de la poésie. Une poésie où la poésie dialogue avec la poésie. Un dialogue qui contribue à sa longue marche de poète » a souligné la critique littéraire Joseph Ferdinand.
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