— Par Yves-Léopold Monthieux —
S’il est évident que la France se droitise dans les urnes, elle est solidement ancrée à gauche par ses institutions, sa presse, ses écoles, sa culture, ses syndicats, ses corporations. Sans oublier la rue, bien évidemment. Une majorité du RN exprimée dans les urnes se heurterait illico et même avant à une opposition déterminée, laquelle apparaît déjà à travers des pétitions parfois nominatives ou/et incitant à la désobéissance. Si le RN parvenait au pouvoir, ne serait-ce pas pour une courte parenthèse qui permettrait simplement à la France de se purger de son extrême-droite, avant de passer à autre chose ? Mais la crainte n’est-elle pas en définitive que le FN réussisse à prouver son aptitude à gouverner ?
Les armes institutionnelles du Président de la République
L’histoire de la Vème République est celle de la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles dévolues à l’Exécutif pour surmonter les obstacles législatifs. Première arme présidentielle caractérisée, le référendum a été étendu pour permettre à l’exécutif, moyennant certaines modalités, de légiférer sans passer par la loi ordinaire. Le referendum du 8 janvier 1961 validant la politique du général de Gaulle en Algérie a précédé celui du 8 avril 1962 concernant l’élection du chef de l’État au suffrage universel. Les remous politiques occasionnés par cette initiative avaient conduit en octobre 1962 à la dissolution de l’Assemblée nationale, autre arme lourde du président de la République. Mais la plus grave de ces dispositions, l’article 16, avait été utilisée en 1961 par le général de Gaulle pour répondre à la mutinerie des généraux en Algérie. Autre disposition utilisée en 1967, l’autorisation de prendre par ordonnances des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Cette procédure de l’article 38 avait beaucoup ému au sein de l’Assemblée où elle avait été comparée à celle de l’article 16. Mais le plus connu fut l’article 49 alinéa 3 de la constitution, largement utilisé. Engageant la responsabilité du gouvernement auprès de l’Assemblée nationale, cet article fait surtout appel à la responsabilité des députés.
Pertinence de la cohabitation.
Rappelons que l’accident institutionnel craint avait été l’hypothèse de la présence à l’Assemblée nationale d’une majorité hostile au président de la République. Des constitutionnalistes y voyaient même une circonstance mortelle pour la 5ème République. Or, théorisée par le président Giscard d’Estaing qui en eut l’idée et y échappa de peu, la cohabitation fut mise en œuvre par François Mitterrand. Utilisée à deux reprises, cette pratique non prévue par la constitution a été regardée comme un espace de respiration de la démocratie, que la suppression du septennat a rendue caduque. Mais au vu des incertitudes politiques du moment, la cohabitation pourrait retrouver quelque pertinence. Reste que le Front national aura été, d’une façon ou une autre, un facteur essentiel de l’élection de tous les présidents de la République depuis 2002. A cette date, c’est grâce à la présence inattendue de Jean-Marie Le Pen au second tour que Jacques Chirac avait obtenu le renouvellement de son mandat présidentiel. En 2007, Nicolas Sarkozy avait profité du hiatus d’entre les deux Le Pen, la fille n’étant pas encore prête pour remplacer le père, et de leur soutien implicite. En 2012, le président sortant ayant été cette fois ostensiblement boudé au second tour par Marine Le Pen, arrivée en 3ème position, la route de la présidence s’ouvrait à François Hollande. Tandis qu’en 2017 puis en 2022, en privant la gauche de second tour, Marine Le Pen a fait mieux que son père, face à Jacques Chirac, en n’étant plus une candidate résiduelle. Elle a fini de jouer.
Le prix d’une certaine désinvolture …
Emmanuel Macron paie sans doute aujourd’hui le prix d’une certaine désinvolture manifestée tant à l’occasion de son second succès présidentiel qu’au cours des “législatives” qui ont suivi. Il a fait à la “présidentielle” une campagne a minima et commis pendant la campagne des “législatives” la faute politique peut-être la plus grave de sa présidence, pour lui-même, pour ses partisans et pour la France. En effet, son inaction pendant l’une des séquences politiques les plus importantes pour tout régime parlementaire, a puissamment contribué à ses déboires et ceux de sa majorité. En avril – mai 2022, pour nommer un nouveau Premier ministre et entrer en campagne, il avait observé un délai interminable que, revenu de sa défaite aux présidentielles, Jean-Luc Mélenchon a su mettre à profit pour créer une véritable machine de guerre contre le gouvernement, la NUPES. Emmanuel Macron avait renoncé à organiser les législatives dans la foulée de son succès à la “présidentielle” ce qu’il vient de faire au lendemain de la victoire porteuse du RN aux …“européennes”. Il n’avait pas cru s’investir comme il tente de le faire aujourd’hui, d’où le recours systématique à l’article 49-3, qui s’en trouve démonétisé.
L’arme ultime de l’article 16 de la constitution
Ainsi donc, ayant procédé dans de pires conditions politiques à la dissolution de l’Assemblée nationale, le président de la République a quasiment brûlé tous ses vaisseaux. Il lui resterait l’arme ultime de l’article 16 qui lui permettrait d’assumer tous les pouvoirs. En effet, en ces circonstances de crise politique et institutionnelle voire de régime, si les conditions drastiques exigées étaient réunies, on ne pourrait pas exclure le recours à cet article. Dans un fracas qui ne déplairait pas au sulfureux Jean-Marie Le Pen, le camp présumé de la haine serait sur le point de franchir l’étape ultime du pouvoir, que le camp naturel du bien pourrait s’épuiser à lui contester. Laissons la responsabilité de son propos au gauchiste Mathieu Kassovitz, l’auteur adulé de La Haine qui fait autorité dans le milieu du cinéma : « Peut-être que le FN a sa place en France, peut-être qu’ils vont faire un meilleur boulot, peut-être que c’est une expérience à essayer ».
Fort-de-France, le 20 juin 2024
Yves-Léopold Monthieux