— par Janine Bailly —
Après Bernard Lagier, invité à ouvrir en septembre la nouvelle saison des « Mercredis d’ETC Caraïbe » à l’Université des Antilles, c’est Françoise Dô, jeune artiste martiniquaise de talent, qui était ce 24 octobre reçue par Axel Artheron, Maître de conférence en Études Théâtrales et qui anime avec compétence et conviction des entretiens intitulés « Paroles d’auteur.e.s ».
La salle de cours L3, prêtée à ces rencontres, accueillait un public trop restreint, où peu d’auditeurs extérieurs s’étaient joints aux étudiants présents. Une absence regrettable en comparaison de la qualité inhérente à ce type de rencontre ! Une qualité qui fit oublier la relative tristesse des murs, comme le parasitage des bruits alentour !
Cheveux fous aujourd’hui disciplinés en une natte sage, toute de noir vêtue, tantôt grave tantôt souriante, Françoise Dô s’est livrée volontiers à l’exercice, répondant à toutes les questions, avec une sincérité sans faille. Un sérieux n’excluant pas l’humour, un désir de parler au plus juste, une disponibilité réelle ont permis que l’échange soit chaleureux, enrichissant, et qu’il ne distille pas une seule once d’ennui.
Comment définir le théâtre ? Pour elle c’est d’abord un lieu, lieu clos où l’on va comme dans un autre monde. Un monde où elle dit n’être entrée qu’assez tardivement, sur l’insistance d’une amie, et pour une pièce de Maïmouna Gueye, donnée à l’Atrium, « Bambi est noire mais elle est belle » . Comment arriver au théâtre ? Alors qu’elle termine ici ses études, d’ailleurs plus scientifiques que littéraires, elle entre dans un atelier, la Pagode, où se réalisent des courts métrages : c’est décidé, elle fera du cinéma ! Arrivée à Paris, elle se rend au cours Florent… et découvre qu’on n’y fait pas de cinéma, mais bien du théâtre. Coup de chance, coup de cœur, elle y restera trois ans, au terme desquels elle choisira de rentrer au pays. Comment être actrice au théâtre ? C’est en collaboration avec Tropiques-Atrium qu’elle trouvera les chemins du plateau, non seulement pour y jouer ses propres textes mais encore pour les mettre elle-même en scène, pour en assurer la scénographie. D’ailleurs, elle ne sépare pas l’écriture de la mise en scène ou de la scénographie — qu’elle voudra toujours sobres et dépouillées —, les choses étant étroitement liées dans sa pensée.
Françoise Dô n’est pas une inconnue, nous l’avons découverte en 2017 dans le Festival des Petites Formes, où elle était la Sophia de « Aliénation noire », un monologue théâtral devenu « Aliénation(s) » en 2018 à la Bibliothèque Universitaire. Parce que le premier titre, très beau pourtant, aurait pu sembler trop connoté, éloigné de son projet. Qui est Sophia ? Un personnage de jeune antillaise qui veut, dans cette famille transportée là-bas, lever les tabous, faire parler les non-dits, redessiner le parcours de sa mère, partie et revenue sur son île, et morte dans des circonstances assez floues ; une jeune femme qui mène en quelque sorte l’enquête à la recherche de la vérité. Au cœur de l’histoire, il y aura, inévitable, le Bumidom, tous les témoignages recueillis et qui divergent. Car si les textes semblent égocentrés, Françoise Dô dit que forcément elle est aussi traversée par ce qui se passe, par les courants actuels, par l’histoire de notre société… Pour notre plaisir, elle donnera de cette pièce lecture de deux extraits, l’un qui évoque la rencontre avec l’homme — l’amoureux de Sophia venu du Cameroun — cet « instant suspendu » où la vie peut basculer ; l’autre où la fille se demande si elle est condamnée à revivre ce qui fut le destin de la mère, avec ce déchirement lancinant : « besoin d’ici, envie d’ailleurs ».
Mais le présent de Françoise Dô, c’est la publication, à Théâtre Ouvert Éditions, de sa nouvelle pièce, « A PARTÉ », lauréate du programme Écritures de la Cité internationale des arts de Paris, que nous aurons la chance de découvrir en janvier sur la scène de Tropiques-Atrium. Une publication sous forme de Tapuscrit, le Tapuscrit étant pour Théâtre Ouvert « un moyen de faire circuler un texte théâtral choisi parmi les 600 manuscrits reçus chaque année ». Une pièce faite de monologues qui se croisent pour qu’à la fin deux histoires initiées se rejoignent. Un trio amoureux, une sorte d’histoire à la Jules et Jim, sans fausse pudeur, sans crainte de donner parfois par les mots une vie prégnante aux corps et au sexe.
Pourquoi chez la comédienne cette préférence pour le monologue ? Parce qu’il donne plus de liberté, permet à l’acteur de ne faire qu’un avec son personnage, et offre au spectateur d’entrer dans la tête de ce personnage ? De ce fait, dans « A PARTÉ », la notion d’enquête pourrait disparaître puisque le spectateur qui entend les monologues en sait davantage que les personnages eux-mêmes. Enfin, il sera fait remarquer la prédilection de la dramaturge pour l’histoire, qui lui semble être la chose primordiale dans une représentation ; pour les femmes à toutes leurs époques, qui sont nombreuses et qui davantage que les hommes ont la parole ; pour la famille contemporaine, de préférence déstructurée ; pour la répétition comme chemin vers davantage de vérité. Quant aux lieux géographiques, peu importe, encore que l’île soit perceptible et reconnaissable à ceux qui en sont les enfants, ou à ceux qui l’ont fréquentée.
ETC Caraïbe par ces rencontres mensuelles nous permettra d’entrer dans l’univers du théâtre contemporain de notre région, défendu par des auteurs émergents, « vivant dans la Caraïbe ou issus de la Caraïbe », et qu’il faut s’empresser de découvrir !
Fort-de-France, le 24 octobre 2018