–Par Julie Ostan-Casimir, Psychologue clinicienne, Docteure en Psychologie —
Comment l’extrême droite française exploite les concepts de Césaire : le génocide par substitution, l’ensauvagement, fait référence à Fanon.
Jean-Luc Mélenchon de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale se réclame de Glissant avec le thème de la créolisation.
« Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral. au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sur, de l’ensauvagement du continent. » Aimé Césaire(1950) : Discours sur le colonialisme, p.12
Situation démographique de la Martinique,
Le déclin démographique noté depuis des années se poursuit. La population vieillit et décroit. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques(Insee), au 1er janvier 2020, la population de la Martinique est estimée à 359 820 habitants. En dix ans, le pays a perdu 35 000 habitants. Les tranches d’âge déficitaires concernent principalement les jeunes adultes. Ils font souvent le choix de quitter le département pour poursuivre leurs études ou pour la recherche d’un emploi explique l’Insee. Un quart de la population a moins de 25 ans (contre un tiers en 2010).
Les plus de 60 ans, sont de plus en plus nombreux (31%). la part des femmes en âge de procréer (entre 15 et 49 ans), a perdu 5 points en dix ans, passant de 26 % de la population de la Martinique à 21 %. Avec le vieillissement de la population, le nombre de décès rejoint celui des naissances.
Le chômage frappe la jeunesse, mais touche aussi les plus âgés Cela fait plus de trente ans que le taux de chômage se situe à un niveau très élevé.
Par ailleurs, il semblerait qu’en Martinique 26 % des 25-34 ans ayant quitté le système éducatif, sont sans diplôme.
Le vieillissement de la population et le départ des jeunes interrogent quant au repeuplement et à l’avenir de la Martinique et de la Guadeloupe, vieillissantes.
Quelles solutions ?
1-Relancer le flux migratoire
Lors d’un entretien avec Gabriel Gallion, journaliste de F.A le 12 juin 2016, décédé depuis, Gerry L’Etang anthropologue met l’accent sur la question de la démographie décroissante, un défi dit-il à traiter en urgence pour revitaliser l’économie martiniquaise et toute la société.
A défaut d’une prise en compte rapide du problème, il craint que la Martinique ne devienne un pays de « vieillards ». Il propose « de relancer le flux migratoire, la société martiniquaise s’étant construite à travers des flux migratoires divers, avec des résultats heureux. »
Nous marquions lors d’un article publié le 10 juin 2022 dans Madinin-Art le rejet des populations de la Caraïbe, par la population des français d’Outre-Mer de la Martinique, de la Guadeloupe, de La Guyane.
2-Proposition : ale viré.
Une association initiée par la Sénatrice Catherine Conconne vise à faciliter le retour au pays des Martiniquais qui souhaitent revenir sur l’île, y rester. L’initiative intéressante ne semble pas suffisante. Elle a le mérite toutefois d’attirer l’attention sur la situation problématique due au vieillissement.
Quel repeuplement ?
L’extrême-droite en France, dans les départements d’Outre-Mer, en Europe et dans le monde rassemble de plus en plus de citoyens, comme on a pu le noter aux dernières élections. Le Rassemblement National totalise 89 sièges en juin 22 contre 7 en 2017. Le nombre d’adhérents pourrait subir encore des augmentations compte-tenu des crises qu’endure le monde.
Les théoriciens de l’extrême droite, dont Renaud Camus, exploitent sans vergogne des textes d’Aimé Césaire, Frantz. Fanon, pour donner des couleurs à leur idéologie.
Nous sommes, départements français, notre repeuplement se ferait-il uniquement avec des populations issues de l’Europe ? Dans quelles conditions et avec quels risques ? Nos compatriotes noirs et français sont-ils conscients de la réalité de leur vote ? Des fondements idéologiques que l’extrême-droite utilise pour forger leur identité ?
Le terme « Génocide par substitution », celui de « l’ensauvagement », apparu dans un texte d’Aimé Césaire en 1950, sont aujourd’hui utilisés malproprement, par ces organisations droitières, avec une signification contraire au sens que leur attribue l’auteur.
La thèse du grand remplacement
-Jean Raspail publie en 1973, un roman de politique fiction : le Camp des Saints, fait écho au thème du grand remplacement. Il y décrit « la fin du monde blanc sous l’invasion des millions et des millions d’hommes affamés, “sous-développés”, qui constituent les trois quarts de l’humanité ». Porte drapeau auprès de l’extrême-droite, nationale et internationale l’ancien conseiller de Donald Trump, Stephen Bannon, s’y réfère. Marine Le Pen recommande vivement l’ouvrage aux Français
La thèse du « grand remplacement » est forgée par Renaud Camus dès 2010 dans son Abécédaire de l’In-nocence. Il légitime « l’immigration devenue invasion », « des peuples hostiles, vindicatifs, voire haineux et conquérants », « il n’est d’autre issue que la remigration », c’est-à-dire le déplacement forcé de populations considérées comme étrangères vers leur supposé « pays d’origine ».
Des solutions doivent être trouvées pour sauver la France, la sortir du déclin. Avec Zemmour, « Reconquête », parti politique d’extrême droite est créé en décembre 2021 dans le cadre de sa candidature à l’élection présidentielle 2022. « Dans tous les endroits où j’ai grandi, ils nous ont remplacés», annonce E. Zemmour. Ce dernier ainsi que R.Camus ont été condamnées à plusieurs reprises, notamment pour provocation à la haine raciale et provocation à la haine religieuse.
-La substitution, est le crime contre l’humanité du XXIe siècle.
À l’instar de Renaud Camus, le président de Debout la France n’hésite pas à comparer l’immigration à un processus de nature coloniale. Une colonisation de la France, de l’Europe serait en cours, car il est observé un déclin démographique de l’Occident et les immigrés féconds sont de plus en plus nombreux à entrer dans le pays. Pour Renaud Camus, « un peuple, issu de la population d’immigrés venus d’Afrique et du Maghreb, se substituerait à un autre, les Français de souche ». Souhaitant rassembler « tous ceux qui s’opposent à l’islamisation et à la conquête africaine », Renaud Camus déclare en 2017: « On ne met pas fin à une occupation sans le départ de l’occupant. […] Le génocide par substitution, selon l’expression d’Aimé Césaire, est le crime contre l’humanité du XXIe siècle. »
Adoptant la posture du résistant à l’envahisseur, de la « victime », Renaud Camus se réclame du double héritage de l’antitotalitarisme et de la tradition anticolonialiste. Sur le site du Parti de l’In-nocence dont il dirige la publication, il n’hésite pas davantage écrivent Valerie Igounet, politologue et historienne et Rudy Reichstadt politologue, à afficher en page d’accueil une citation extraite des écrits politiques de Frantz Fanon. Dans son discours au congrès des écrivains et artistes noirs, en 1956, Fanon dit : « L’asservissement, au sens le plus rigoureux, de la population autochtone est la première nécessité. Pour cela il faut briser ses systèmes de référence ; l’expropriation, le dépouillement, la razzia, le meurtre objectif se doublent d’une mise à sac des schèmes culturels ou du moins conditionnent cette mise à sac. Le panorama social est déstructuré, les valeurs bafouées, écrasées, vidées. »
Génocide par substitution développée par Césaire au XX siècle :
Que nous signifie Aimé Césaire en avançant le terme d’ensauvagement ? De génocide par substitution ?
Au début des années soixante, nous dit Claire Palmiste, docteure qualifiée en études anglophone, alors que de jeunes martiniquais et guadeloupéens émigraient vers la Métropole pour occuper des emplois dans le secteur secondaire et tertiaire, l’arrivée de fonctionnaires métropolitains aux Antilles à des postes de responsabilités conduisit en 1977 Aimé Césaire, député du centre de la Martinique, à qualifier cette tendance de « génocide par substitution ». La prise de position de ce dernier reflétait la crainte de voir ressurgir le spectre du colonialisme par le transfert dans les départements d’Outre-Mer de fonctionnaires métropolitains et à l’inverse l’éloignement des jeunes antillais. Pour Aimé Césaire, les ressources dont disposaient les nouveaux arrivants et l’idéologie dont ils étaient porteurs, les plaçaient dans une position de force. La situation ne s’améliore pas, bien au contraire. Les cadres métropolitains occupent des postes de responsabilité et semble-t-il, selon Martinique Première, lors du journal d’information de 19h, dans certains restaurants et autres commerces, les employés sont métropolitains. Prétextant un « manque d’expertise », peu d’antillais seraient donc recrutés, alors que le chômage des jeunes est important. ???????
Ces théories d’extrême droite, campent la France, l’Europe en position de victimes. Elles appellent aussi à la haine, à la destructivité, à la barbarie. En Nouvelle Zélande, Brenton Tarrant, « est celui qui a donné une notoriété mondiale à l’expression »(grand remplacement), explique l’historien Nicolas Lebourg. Avant de tuer 51 personnes en mars 2019, ce suprématiste blanc avait publié un manifeste, The Great Replacement, traduction littérale du « grand remplacement », dans lequel il fait référence à Renaud Camus. L’écrivain d’extrême droite avait alors rejeté cette filiation évoquant « une utilisation abusive » « imbécile ». Aux États-Unis, la droite suprématiste, l' »alt-right », a progressivement adopté cette notion impliquant une disparition à terme de la population blanche. « Ces dernières années, l’expression ‘Great Replacement’ y a supplanté la notion de « White Genocide » [« génocide blanc », écrit l’historien Nicolas Lebourg. Ce concept a aussi été mentionné dans le manifeste publié par Patrick Crusius, qui a tué 22 personnes dans un supermarché d’El Paso, au Texas, en août 2019.
La thèse de l’ensauvagement
À partir des années 1970, le terme « sauvage » est présent dans le discours de l’extrême droite.
Jean-Pierre Chevènement ministre de l’Intérieur affirmant en 1990, qu’il faut lutter contre l’insécurité «sans surenchère ni démagogie», qualifie de «sauvageons» les mineurs multirécidivistes. Puis en 2020 le terme « ensauvagement » est utilisé par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin déclarant : « Il faut stopper l’ensauvagement d’une certaine partie de la société.» Il précise peu après : « J’ai lu dans la presse que le mot que j’ai employé avait un lien avec ‘sauvage’, donc avec immigration, donc avec ethnicisation. Je suis à 100.000 lieues de cela ». Marine Le Pen a immédiatement rebondi sur le terme, qui a été repris et s’est répandu parmi les cadres du RN. Dans Valeurs Actuelles l’élu européen Jordan Bardella à appeler à «sortir du déni» face à «l’ensauvagement de la société». Et le mot est adopté et intégré dans le vocabulaire des caciques de la droite «républicaine», de Laurent Wauquiez à Eric Ciotti, en passant par Bruno Retailleau.
L’emploi de ce terme a pour objectif de faire peur, de distiller la méfiance, le rejet, mais aussi de trouver des bouc-émissaires en qualifiant les immigrés de sauvages, de primitifs. Le terme distille la violence, implique la délinquance, suppose la criminalité, d’une population non civilisée. Une représentation de groupes brutes, brutales, incapables de maitriser leurs pulsions, est ainsi donnée.
Et si le colonisateur était le sauvage et le dit « primitif », le civilisé ? Le renversement s’opère sous la plume de Césaire. Dans « discours sur le colonialisme », il retourne l’accusation de sauvagerie, en raison des multiples exactions que les colons s’autorisent dont les massacres, déportations, humiliations, sévices, enfermement et esclavagisme infligés par des Blancs convaincus de leur supériorité « de race » à des individus qualifiés de primitifs, cela relève d’une idéologie qui fut défendue pendant des siècles pour justifier l’exploitation de millions d’êtres humains. Le système colonial oppresse les colonisés, mais aussi les colonisateurs qui sont touchés par la déshumanisation.
L’auteur dénonce tous les actes de violence et de barbarie, la mise en esclavage de nombreux peuples et le pillage de leurs biens. Il pointe du doigt un crime contre l’humanité et explique que le colonialisme «décivilise» et entraîne le «progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent européen».
Le sauvage, c’est l’oppresseur et non plus l’inverse.
Selon l’historien Pap Ndiaye, Césaire serait même allé plus loin en disant que le Nazisme a été le produit de l’ensauvagement de l’Europe.
La politologue et philosophe Thérèse Delpech avait réanimé le terme en 2005 en publiant son ouvrage intitulé « l’Ensauvagement, le retour de la barbarie au XXIe siècle » dans lequel elle alertait sur la puissance des moyens de destruction et la radicalité des idéologies.
Jean-Luc Mélenchon et la créolisation
« Créolisation : Mélenchon en terrain Glissant ? » Une opportunité politique ?
Jean-Luc Mélenchon s’est inspiré et réclamé d’Edouard Glissant, en portant le thème de la créolisation pendant sa campagne électorale, qualifiant ainsi les phénomènes de métissage à l’œuvre en France. Alors que la nouvelle campagne promet d’être centrée plus que jamais sur les questions identitaires, le député semble avoir trouvé la parade. C’était ou c’est ( ?) une arme sensée anti-Zemmour, un concept pour contrer les théories de l’extrême droite. Françoise Simasotchi-Bronès, Professeure des universités en littératures francophones à l’université Paris 8 et co-autrice du livre Archipels, définit le terme en précisant que «c’est l’idée que des humanités différentes qui se trouvent réunies dans un endroit du monde participent à la création d’une nouvelle identité.»
Avec intelligence, Jean-Luc Mélenchon, qui explique avoir redécouvert le concept d’Édouard Glissant grâce au député européen Younous Omarjee, originaire de la Réunion, y voit « une lecture plus optimiste de l’évolution de nos sociétés, » qu’il oppose à celle d’Éric Zemmour qu’il estime «inquiet par rapport au mouvement de l’histoire ».
La créolisation, rempart de la gauche contre le discours identitaire de droite? «Je crois que ça plairait à Glissant que l’on dise ça.» dit Françoise Simasotchi-Bronès,.
Le candidat Insoumis répète le terme à tout-va dans sa campagne, répète, qu’il y voit même le chaînon manquant à l’universalisme qu’il défend. Face à Éric Zemmour, il fait du concept, le cœur de sa pensée sur les questions identitaires et oppose le processus de créolisation au communautarisme: «La Martinique, la Guadeloupe et la Réunion, souligne Jean-Luc Mélenchon sont des terres profondément créolisées. Et, contrairement à ce que vous dites, ça n’a pas créé une addition de communautés, ça a créé une communauté commune sous l’empire de la loi.»
La créolisation serait donc un processus sans fin puisque tous les nouveaux apports vont être intégrés dans cette construction identitaire commune.
« Étymologiquement, le terme vient, évidemment, de l’expérience créole. La colonisation de l’Amérique, de ses îles caraïbes ou l’Océan Indien, ont fait se rencontrer des peuples d’origines diverses aux cultures tout aussi variées: Indigènes, Africains déportés et colonisateurs européens. Ils ont dû apprendre à vivre ensemble et à trouver une sorte de culture commune, de mode de vie commun, souligne Françoise Simasotchi-Bronès. Une situation qui a débouché sur l’invention d’une langue commune, propre à chaque territoire: le créole. L’esclavagisé n’avait pas la même langue, donc une langue s’est créée à la rencontre de toutes les langues: africaine, amérindienne, européenne, poursuit la chercheuse. Une vraie langue, pas un jargon.»
Deux documents de la CTM, l’un portant sur la relance durable de la Martinique par le financement de la CTM et l’autre sur un diagnostic territorial des besoins des personnes âgées en matière de prévention de la perte d’autonomie et recensement des initiatives en Martinique, nous signifient la démographie de l’ile. Par contre la problématique du vieillissement de la population et de son repeuplement ne semble pas une priorité. La situation ne parait pas être une préoccupation de nos politiques. Il nous semble, cependant qu’un projet est à mettre en place, pour ouvrir une analyse, et mettre en place des actions concernant le repeuplement, mais aussi la formation professionnelle, la réussite scolaire de jeunes. Nous pensons que ce repeuplement devrait se faire avec les peuples de la Caraïbe. Une communication, des échanges s’instaurent nécessaires avec nos compatriotes dans le but de les entendre, leur apporter une connaissance la plus objective possible des situations, des enjeux, leur permettant de décider en connaissance de cause. Dans nos îles aussi nous avons à lutter politiquement contre ces extrémistes de droite, véhiculant racisme et xénophobie. Par ailleurs nous pensons qu’il est possible de créer un pont avec ces personnes super formées, travaillant et vivant à l’extérieur prêtes à porter leur savoir et expériences à leur lieu de naissance., d’autant que les nouvelles technologies facilitent grandement la communication.