—Par Max Rustal—
Au cours des événements de février 2009 à la Guadeloupe, le syndicaliste Jacques Bino (CGTG) est tué par une balle à ailettes aux abords d’un barrage nocturne. Par la suite, un père de famille de 35 ans, Ruddy Alexis, soupçonné d’avoir été l’auteur du crime est arrêté, mis en examen pour meurtre, tentative de meurtre, association de malfaiteurs, violences aggravées et entrave délictuelle à la circulation. Il est gardé en détention provisoire pendant 44 mois, sous le régime de l’isolement.
Le 30 novembre 2012, devant la faiblesse du dossier d’accusation, les jurés la Cour d’assises de Basse-Terre prononcent l’acquittement de Ruddy Alexis. En effet, outre que ce dernier n’a jamais cessé de clamer son innocence, l’arme de chasse tout comme les munitions spéciales utilisées sont demeurées introuvables en dépit des perquisitions musclées. L’expertise en psychiatrie ne révèle aucun trouble chez le suspect. Enfin, le principal témoin révèle que c’est sous la menace policière qu’il a été amené à charger Alexis.
Cette décision du jury populaire est malgré tout contestée puisque la procureure générale Catherine Champrenault a interjeté appel et obtenu de la Cour de cassation que l’affaire soit de nouveau jugée, non à Basse-Terre comme cela est d’usage courant, mais par la Cour d’assises de Paris.
Les quatre avocats de Ruddy Alexis (Me Démocrite, Daninthe, Plumasseau, Derussy) ainsi que les de signataires de la pétition ci-jointe (en ligne), dénoncent un tel dépaysement en y voyant mesure d’exception discriminatoire, de toute évidence défavorable à la défense.
Le 1er octobre 2013
Le Comité Respect et Justice
A
Monsieur François HOLLANDE
Président de la République française
Palais de l’Élysée
55, rue du Faubourg-Saint-Honoré
75008 Paris
Monsieur le Président de la République,
Une terrible injustice est à l’œuvre en Guadeloupe et, sans votre intervention, elle risque de connaître de regrettables prolongements.
Saisie d’un appel du Procureur Général, à la suite de l’acquittement du jeune Ruddy Alexis par la Cour d’assises de Basse-Terre après 44 mois de détention provisoire (dont 24 mois sous le régime insupportable de l’isolement), la Cour de cassation a désigné la Cour d’Assises de Paris pour statuer dans cette affaire.
Pourtant, le législateur a prévu que le procès se déroule devant la Cour d’Assises de la Guadeloupe autrement composée. Par ailleurs, la Chancellerie recommande cette solution à moins que des circonstances exceptionnelles y fassent obstacle. Et de fait, tous les procès d’assises depuis que la procédure d’appel a été instaurée se sont toujours déroulés devant la Cour d’Assises d’appel de la Guadeloupe (autrement composée).
Ainsi, cela fait treize ans que l’on procède de la sorte à une seule exception près: celle d’un citoyen franco-américain qui avait commis des faits aux Etats-Unis et dont le procès en appel n’aurait pu être pris en charge en Guadeloupe en raison de contraintes évidentes à la fois techniques et financières (tous les témoins résidant aux U.S.A.).
Or, la Cour de Cassation, sans que les parties aient connaissance de circonstances exceptionnelles justifiant son choix, en a décidé autrement, laissant le justiciable et la Guadeloupe avec un amer sentiment d’injustice. Cette situation revient inévitablement à priver Ruddy ALEXIS d’une défense efficiente.
Quelles défiances justifient qu’un jury parisien soit préféré à un jury de Guadeloupe lorsque les faits incriminés se sont déroulés dans ce département ? Comment justifier un tel privilège en faveur de Paris ou d’un «ailleurs» hexagonal ? L’idée de défiance est immédiatement suggérée dès lors que l’on prive un justiciable de son juge naturel en matière criminelle…Un jury de GUADELOUPE serait-il moins capable qu’un jury de PARIS pour rendre la justice?
L’indulgence, la bienveillance, l’émotion, est-ce cela qu’il faut craindre ? Dans ce cas, prescrire que le procès ait lieu ailleurs, c’est peut-être vouloir exposer le justiciable à davantage de distance, dureté ou de froideur et remettre en cause ce qui constitue le cœur même de l’institution du jury populaire : la justice délivrée par l’homme de la rue dont la proximité garantit qu’il comprendra le contexte et les enjeux du procès.
Quelle est donc cette justice qui envisage d’arracher le justiciable à sa famille, à son milieu où les faits ont eu lieu, et aux défenseurs en qui il a placé sa confiance ? En exigeant qu’il entreprenne ce long voyage pour se présenter à ses juges, elle alourdit considérablement les coûts du procès, engendre de nombreuses difficultés matérielles, et elle fait peser malencontreusement la balance du côté de l’accusation.
On a délibérément fait le choix que ce procès soit jugé à Paris alors que l’accusé, ses quatre avocats et tous les témoins de défense, résident en Guadeloupe.
Nul doute que vous comprendrez le désir de justice qui nous anime et inspire notre démarche tant il est légitime de vouloir que des faits qui se sont produits en Guadeloupe soient jugés par un jury populaire se trouvant en Guadeloupe.
L’émoi que suscite cette décision de la Cour de Cassation conduit naturellement à vous interpeller sur cette situation injustifiée et injuste, discriminatoire puisqu’elle fausse l’égalité entre tous les citoyens.
Recevez, Monsieur le Président de la République, nos respectueuses salutations
Copie à Madame le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et à Monsieur le Ministre des Outre-mer
Pour le comité
Jacqueline ABAUL, professeur des universités Jean Claude COURBAIN, statisticien
Ernest DANINTHE, avocat Daniel DEMOCRITE, avocat
Gérard DERUSSY, avocat
Ancien bâtonnier Fred DESHAYES,
maitre de conférences en droit public (UAG)
Max DORVILLE,
maître de conférences en mathématiques, retraité Michel DORVILLE, sociologue
Patrice GANOT, ingénieur pour la Ligue des Droits de l’Homme Guadeloupe
Hubert JABOT
Michel ROVELAS, artiste plasticien Delphine PRUD’HOMME, enseignante
Roger TOUMSON, professeur des universités